Depuis quelques années, on ne peut ignorer que le Québec devient de plus en plus polarisé politiquement. Syndrome de cette redéfinition politique, les émotions brutes ont largement pris le dessus dans le discours sur le rationnel et l'intelligible, et l'on constate l'émergence de personnalités fortes carburant aux discours vides de contenu, mais forts en images.
Si les années 2000 étaient l'époque des Michael Ignatieff et des Stephen Harper, des politiciens cruellement déficients en matière de charisme, les années 2010 ont vu l'émergence d'une véritable «démocratie de comédiens».
Désormais, le vaudeville politique est un modus operandi pour une classe d'élus qui attire les journalistes comme des mouches en voguant d'une déclaration sentimentale à une autre.
Personne n'exemplifie ce phénomène mieux que deux personnalités ayant vu leur popularité exploser à trois ans d'intervalle, soit Justin Trudeau et Catherine Dorion.
Trudeau et Dorion, frais sortis du conservatoire
Ancien enseignant d'art dramatique, Justin Trudeau a réussi à redynamiser un Parti libéral du Canada largement devenu inintéressant en le transformant en «Équipe Trudeau» à temps pour le scrutin de 2015. Depuis son élection, il a habitué les Canadiens à sa rhétorique à cinq sous et à son émotivité outrancière, de son fameux «Because it's 2015» au sujet de son cabinet paritaire à son tweet «Bienvenue au Canada» qui, dans une tirade larmoyante, invitait toute la misère du monde à venir au Canada.
Le comédien Justin Trudeau est passé de faire semblant de débouler les escaliers aux Francs-tireurs, à jouer «Capitaine Diversité», le superhéros du pays postnational que plus rien ne caractérise sinon sa vacuité.
Sous son règne, le Canada a radicalisé son multiculturalisme anti-québécois et en a fait un dogme moralisateur, enfermé dans le prisme abstrait de «l'ouverture» et du «repli», dispositif idéologique abondamment utilisé pour taper sur ses adversaires politiques. Ainsi, le comédien Justin Trudeau est passé de faire semblant de débouler les escaliers aux Francs-tireurs à jouer «Capitaine Diversité», le superhéros du pays postnational que plus rien ne caractérise sinon sa vacuité.
De l'autre côté du spectre, Catherine Dorion est poétesse et comédienne, elle a notamment joué dans L'auberge du chien noir à une époque. Détentrice d'une maîtrise en War Studies au King's College de Londres et auteure de nombreux livres, la députée solidaire de Taschereau connaît la langue et sait s'en servir.
Cependant, elle connaît son public, et c'est pourquoi elle joue «Catherine-la-cégepienne», tuque, Doc Martens et anglicismes à l'appui.
C'est pour faire plus «peuple», dit-elle, articulant un discours démagogique misant beaucoup sur les apparences, vêtements et shooting photo pour les journaux inclus. Dans son opposition contre un 3e lien à Québec, elle comparait le projet à «une ligne de coke» et à «de la marde».
Lorsqu'on l'a réprimandée pour sa tenue vestimentaire indigne de l'Assemblée nationale et pour son vocabulaire ordurier et provocateur, elle a répliqué que «les appuis déferl[aient] dans le vrai monde», laissant sous-entendre que ce seraient les vilaines élites qui feraient tout en leur pouvoir pour dégommer «le peuple» qu'elle incarne.
Son étoile populiste brillait tellement chez les amateurs de coups d'éclat que le FM93, chaîne radiophonique connue pour ses positions de droite, lui a accordé une intervention hebdomadaire sur ses ondes.
«Qui vit par l'image périra par l'image»
Si la stratégie des politiciens de conservatoire leur permet de briller par l'image, elle devient complètement inopérante une fois que le charme est rompu. Autant «Capitaine Diversité» que «Catherine-la-cégepienne» ont commis des faux pas majeurs qui pourraient bien amorcer le début de leur déclin respectif.
Que dire de «l'affaire SNC-Lavalin», laquelle a pris des proportions stratosphériques avec les tentatives de putsch à l'intérieur même du PLC gracieuseté de Jane Philpott et Jody Wilson-Raybould. Pour le grand-prêtre de «l'ouverture», carburant à l'image du cabinet paritaire et respectueux des peuples autochtones, être critiqué si durement par deux femmes fortes de son gouvernement, dont une Autochtone, a fait très mal. La sortie de la députée Celina Caesar-Chevannes, qui a accusé Justin de l'avoir engueulée en privé, a nui encore davantage à l'image de féministe du chef libéral. Le magazine Macleans qualifiait justement le premier ministre «d'imposteur» dans son édition d'avril, signe que les craques se forment dans l'image de marque du chef de «l'Équipe Trudeau».
Autant «Capitaine Diversité» que «Catherine-la-cégepienne» ont commis des faux pas majeurs qui pourraient bien amorcer le début de leur déclin respectif.
Catherine Dorion a aussi appris à ses dépens qu'elle n'était pas invulnérable la semaine dernière, alors qu'elle racontait dans son balado que les Richard Martineau et les Éric Duhaime de ce monde «radicalis[aient] du monde qui font des actes haineux et qui font des meurtres».
Naturellement, l'élue solidaire a perdu sa «chronique» au FM93 et fait présentement face à une mise en demeure de la part d'Éric Duhaime (animateur au FM93) et Radio X. C'est là un rappel à l'ordre pour Dorion, à qui l'on vient de rappeler que l'on ne peut pas tout dire pour décrédibiliser ses adversaires idéologiques, surtout pas lorsqu'il est question de sujets aussi sensibles.
Les émotions d'abord et avant tout
Notre époque est un véritable âge d'or pour ces comédiens de la politique, qui veulent incarner des émotions plutôt que des idées pour susciter l'adhésion de l'électeur moyen. Ils enchaînent les coups d'éclat, des chaussettes Chewbaccaaux discours en franglais destinés au «peuple» en train de faire sa philo 1, pour se bâtir une image médiatique forte et sortir du lot.
Toutefois, tous ceux qui aspirent à ce style de discours sont en train de s'apercevoir que tout ce qui monte redescend. Lorsqu'on fait principalement campagne sur l'image, celle-ci devient à la fois ce qu'on a de plus précieux et ce qu'on a de plus fragile, comme en attestent les cas de Justin Trudeau et de Catherine Dorion. Rien n'est plus certain, les comédiens de la politique marchent sur un fil de fer en permanence.