Le 13 avril dernier, les Barreaux du Québec et de Montréal (le second étant une section du premier) annonçaient, à la stupéfaction générale, leur intention de contester tous les deux la validité constitutionnelle de toutes les lois du Québec pour le motif farfelu qu’elles n’auraient pas été adoptées correctement dans les deux langues officielles du Canada.
L’affaire était d’autant plus ridicule que la loi habilitante du Barreau du Québec se trouvait par le fait-même à être également visée par ces recours, et que le Barreau de Montréal était en possession depuis mars 2017 d’une opinion qu’il avait sollicitée auprès d’un constitutionnaliste fédéraliste réputé, Me Stéphane Beaulac, qualifiant d’importance « minimale » la « carence » soulevée et le « déficit de bilinguisme » s’ensuivant.
Et, de ridicule, l’affaire devenait éminemment suspecte dès lors qu’on apprenait que
« Le Barreau de Montréal a reçu « une subvention de 125 000 dollars » d'un programme fédéral afin de « couvrir les frais liés » au recours juridique déposé avec le Barreau du Québec pour faire invalider les lois et les règlements adoptés par l'Assemblée nationale au motif qu'ils sont inconstitutionnels. »
C’est ce que j’avais souligné dans un article paru le 20 avril sur Vigile et intitulé « J’ai honte », du fait mon association de plus de trente ans avec le Barreau.
Il se trouve que j’étais loin d’être le seul avocat ou ex-avocat à être choqué par l’embardée balourde des deux Barreaux. Dès l’annonce de la nouvelle, Droit Inc, le site qui se consacre à l’information sur l’exercice de la profession ou d’intérêt pour les avocats, avait publié les résultats d’un sondage rapide démontrant que 80 % des 27 000 avocats du Québec étaient opposés à la démarche de leur ordre professionnel.
Dans les jours suivant l’annonce de l’ouverture du recours, les avocats allaient se mobiliser et obtenir rapidement des deux Barreaux la tenue d’assemblées générales spéciales à Montréal pour débattre du bien-fondé de cette initiative.
Ces assemblées ont eu lieu la semaine dernière et, malgré le fait que seuls 750 des 27 000 avocats du Québec y aient participé, et que le vote sanctionnant l’initiative des deux Barreaux n’ait été que de 52 %, les Barreaux ont reculé et tenté de sauver la face en proposant à la ministre de la Justice de suspendre leur recours en contrepartie de son engagement à régler le problème.
Il ne faut cependant pas être naïfs. La rapidité avec laquelle les deux Barreaux ont jeté la serviette témoigne d’un mouvement d’opposition bien plus fort que ne le suggère le vote de 52 % lors de l’assemblée générale.
En fait, en tenant cette assemblée à Montréal, le Barreau du Québec cherchait à s’assurer d’une victoire facile, la grande majorité des opposants provenant de l’extérieur. Qui plus est, les Barreaux du Québec et de Montréal comptaient sur leur capacité à mobiliser les avocats des grands cabinets de la métropole davantage favorables à leur initiative.
Le fait qu’ils ne soient pas parvenus à l’emporter alors qu’ils croyaient toutes les conditions réunies pour ce faire en dit long sur l’ampleur de leur débandade, et il faut s’attendre à moyen terme à des changements importants dans le leadership des deux Barreaux qui ont témoigné d’un degré de partisannerie politique aussi inacceptable qu’incompatible avec la neutralité que doivent observer les ordres professionnels en la matière.
La faute des Barreaux à cet égard est d’autant plus grave et impardonnable que personne ne connaît mieux que les avocats la responsabilité qu’emporte le statut de fiduciaire qui échoit à toute personne membre d’un conseil d’administration et plus particulièrement au président, en l’occurrence, chacun des deux bâtonniers.
Cette situation est en grande partie attribuable à la prise de contrôle de toutes nos grandes institutions (sociétés d’État, universités, commissions scolaires, municipalités, grands hôpitaux, etc.) au cours des vingt dernières par une clique de pouvoir fortement identifiée au régime fédéral et aux partis Libéraux du Canada et du Québec.
Le Barreau, en raison notamment de l’influence d’un nombre relativement important de ses membres dans ces cercles, n’a pas échappé à ce mouvement, surtout lorsque ces derniers se sont rendus compte, après l’élection de la bâtonnière Lu Chan Khuong, qu’ils avaient perdu le contrôle de leur propre centre de pouvoir.
Un « regime change » au Barreau !
On se souviendra avec quelle férocité un grand cabinet de Montréal, au coeur de ces cercles de pouvoir, avait orchestré en 2015 l’éviction de Me Lu Chan Khuong, en utilisant des moyens ressemblant étrangement, toutes proportions gardées, à ceux de la CIA lors d’un « regime change ». Fallait-il que la menace qu’elle représentait soit si grande qu’il faille en venir à une telle extrémité !
À l’époque, commentant cette affaire, j’avais écrit ceci :
Une fois ou deux par génération survient une affaire qui cristallise en elle-même tous les maux de l’époque et nous renvoie une image peu flatteuse de l’état de notre société. Lorsque nos institutions et nos élites dirigeantes sont en cause, ce portrait n’en prend que plus de relief. C’est le cas de l’affaire de la bâtonnière Lu Chan Khuong qui vient de démissionner après une série de développements sans précédent dont on n’a pas fini de saisir toute l’ampleur et la portée.
La présence aux Barreaux du Québec et de Montréal de deux bâtonniers mis en place par la clique de pouvoir décrite plus haut sous des apparences d’élections démocratiques illustre parfaitement toute l’ampleur et la portée des événements de 2015.
Le Québec et les Québécois l’ont échappé belle
Choisis pour leur disposition à suivre les consignes, que ce soit par docilité intéressée ou motivation réelle, ces deux « agents » de la clique avaient - et ont toujours - pour mission de faciliter l’atteinte de ses objectifs politiques, et leur décision de contester la constitutionalité des lois du Québec avec la collaboration financière du gouvernement fédéral ne visait rien moins qu’à saper toute velléité des Québécois à la recherche de leur émancipation politique, et à l’apparition au Québec d’un État français politiquement séparé et indépendant du Canada.
Il est d’ailleurs assez frappant de voir la corrélation dans le temps entre l’annonce du recours des deux Barreaux et la décision rendue quelques jours plus tard par la juge Claude Dallaire sur la constitutionalité de la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec - Projet de loi no 99 (2000, chapitre 46).
Comme si le Barreau et la clique du pouvoir qui le contrôle s’étaient attendus à une décision contraire pavant la voie à la signature par Philippe Couillard de la Constitution de 1982 avant la prochaine élection, son désir le plus cher énoncé à plusieurs reprises depuis son arrivée au pouvoir et le moyen de river une bonne fois pour toute son clou au mouvement souverainiste Québécois.
Dans un tel contexte, la contestation des deux Barreaux serait apparue comme une simple suite logique à la mise au rancart définitive de l’option indépendantiste. Dans le contexte de la décision de la juge Dallaire, le recours des deux Barreaux prenait l’allure d’un dérisoire pétard mouillé.
Je le disais il y a quelques semaines, nous ne pourrons jamais suffisamment remercier la juge Dallaire.
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