Un rabbin orthodoxe, qui a harcelé une femme de sa communauté parce qu’elle a demandé le divorce d’avec son mari, vient d’être condamné à lui verser 23 000 $ à la suite d’une poursuite civile, après avoir été déclaré coupable en cour criminelle pour la même offense.
Le rabbin Shalom Spira estime que c’est « une mission religieuse, un ordre divin » de « sauver » le couple d’Aviva Engel, une ancienne voisine, peut-on lire dans la décision du juge Éric Dufour, de la Cour du Québec, rendue la semaine dernière.
Sur plus de 10 ans, il lui a envoyé des dizaines de messages, notamment une lettre-fleuve de 71 pages, pour tenter de la convaincre de demeurer avec son mari, puis pour la prévenir qu’elle était toujours liée à son ex-conjoint, selon les préceptes religieux, malgré le divorce prononcé en bonne et due forme.
Pas de divorce sans consentement du mari
Comme l’ancien mari de Mme Engel s’est remarié, Shalom Spira soutient qu’elle est maintenant dans un mariage bigame, ce qui fait d’elle une agounah, femme emprisonnée dans son union parce que son mari n’a pu donner son consentement au divorce, selon les préceptes du judaïsme.
Il lui aurait même suggéré de retourner vivre avec son ex-mari et sa nouvelle femme, et de devenir « coépouse », dans une « famille bigame sanctifiée ».
Il faut savoir que, pour les juifs ultraorthodoxes, le mari doit donner son consentement — appelé « guete » — pour que sa femme obtienne un divorce religieux.
Le mari de Mme Engel avait d’abord refusé de lui accorder le guete, mais y a consenti par la suite. Selon le rabbin Spira, ce consentement a toutefois été obtenu « sous la contrainte », ce qui le rendrait invalide.
Femme adultère
En plus de harceler Mme Engel au sujet de son divorce, le rabbin estime qu’il est de son « devoir religieux » d’aller encore plus loin : il doit avertir tout homme qui fréquenterait Mme Engel de sa situation matrimoniale « car, selon ses convictions religieuses, il vaut mieux qu’un homme se suicide que de placer une femme mariée en situation d’adultère », rapporte le juge Dufour dans sa décision.
Or, Mme Engel est toujours mariée, selon M. Spira. Il affirme donc devoir agir pour « sauver la vie » de ses éventuelles fréquentations. « Cet argument n’a aucune valeur. Il est si faible que ça ne vaut pas la peine d’en dire plus à ce sujet », conclut cependant le magistrat.
Le rabbin Spira a commencé à appeler son ancienne voisine et à lui écrire au sujet de son divorce en 2004. Dès le début, Mme Engel lui a demandé de ne pas se mêler de sa vie personnelle.
Mais ses demandes n’ont pas été respectées. Le rabbin est revenu à la charge à de nombreuses reprises, à différentes époques, sauf pour un épisode de silence de six ans, entre 2006 et 2012.
Coupable de harcèlement criminel
En septembre 2015, découragée de son insistance, Mme Engel a porté plainte à la police, et Shalom Spira a été accusé de harcèlement criminel. Pendant son procès, en novembre 2016, il a été détenu brièvement, le temps de subir une évaluation psychiatrique, à l’issue de laquelle il a été déclaré apte à faire face à la justice.
M. Spira a été reconnu coupable en novembre 2018 et a bénéficié d’une absolution qui l’oblige toutefois à respecter plusieurs conditions, notamment une interdiction de joindre Aviva Engel et sa famille.
Dans sa poursuite, Mme Engel souligne que son harceleur a indiqué lors de son procès criminel qu’il maintenait ses convictions au sujet de l’invalidité de son divorce. C’est pourquoi elle dit avoir toujours peur de lui et sentir sans cesse une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, craignant qu’il parle de sa vie privée à d’autres.
Ces craintes sont justifiées, selon le juge Dufour. « Il n’y a pas de fin à ceci », observe-t-il, en condamnant le rabbin à verser 23 000 $ à sa victime.
« La liberté de religion n’est pas absolue, écrit-il dans son jugement. M. Spira ne peut pas imposer sa croyance ou porter atteinte aux droits et libertés, y compris la liberté religieuse, d’autrui. Le droit d’interpréter et de vivre selon des préceptes religieux tels qu’il les comprend ne lui confère pas le droit de porter atteinte à la croyance religieuse sincère de Mme Engel quant à la validité du guete qu’elle a obtenu, ou de porter atteinte à son droit de vivre sa vie avec qui elle choisit, sans être dénigrée. »