Le cabinet d'avocats Legault Joly Thiffault savait que Tony Accurso avait prêté de l'argent à Joël Gauthier pour racheter une partie de son empire lorsqu'il a donné la garantie à l'Autorité des marchés financiers que M. Accurso n'était pas impliqué dans la transaction.
Selon l'Unité permanente anticorruption (UPAC), le cabinet d'avocats a même parachevé la convention de prêt entre Louisbourg Simard-Beaudry Construction - appartenant alors à M. Accurso - et Joël Gauthier. Ces informations sont présentées dans un document judiciaire en appui à une demande de mandat de perquisition consulté par La Presse.
Ce document concerne une enquête sur la provenance des fonds utilisés par Joël Gauthier pour financer sa partie du rachat de l'empire Accurso. L'UPAC le soupçonne de fraude pour avoir caché la vérité.
La Presse a joint l'un des associés principaux chez Legault Joly Thiffault, Me Christian Joly, qui reconnaît que son cabinet a rédigé et livré à Joël Gauthier une convention de prêt Accurso-Gauthier et que, sachant cela, il n'en a pas informé l'Autorité des marchés financiers (AMF) parce que l'AMF lui demandait une garantie que M. Accurso n'était pas impliqué dans la transaction.
«On a fait notre job», a affirmé Me Joly, qui ne voit aucun problème à cette situation, ni sur le plan déontologique ni sur le plan moral. «Et je ne fais pas de l'aveuglement volontaire», a-t-il indiqué à La Presse avant d'ajouter: «Je considère que le prêt n'est pas une implication à titre d'acheteur. Le prêt est une relation entre Joël Gauthier et le prêteur. Juridiquement, on me poserait la question aujourd'hui, et c'est ce que je répondrais.»
Aux premières loges
Me Joly était aux premières loges lors de la vente d'une partie de l'empire Accurso en 2013. Il a représenté les six acheteurs: Joël Gauthier, les deux fils Accurso, Jimmy et Marco, ainsi que trois hauts dirigeants des entreprises rachetées. De son côté, Tony Accurso était représenté par le cabinet Dentons.
Selon Me Joly, Joël Gauthier a fait appel à lui parce qu'ils se connaissaient depuis longtemps. M. Gauthier, qui est avocat, a travaillé pour le cabinet de 1997 à 1999, après quoi il est devenu directeur général du Parti libéral du Québec.
Lorsque les négociations ont été terminées et que les parties se sont entendues sur chacune des clauses du contrat, chacun des six acheteurs a transmis à Me Joly une traite bancaire au nom de Legault Joly Thiffault in Trust. La somme versée par chacun était de 166 666 $, soit une mise de fonds totale d'un million de dollars dans une transaction de quelque 220 millions de dollars, se souvient Me Joly.
À la même période, Joël Gauthier a sollicité un collègue de Me Joly du même cabinet, Me James Fisher, pour la préparation d'une convention de prêt entre lui et Louisbourg Simard-Beaudry Construction. Me Fisher a prévenu Me Joly, qui dit avoir été «en maudit», et ce, «même si ce n'est pas illégal».
«Je pogne le téléphone. Je lui dis: "C'est quoi, cette affaire-là, Joël? T'as dit à tout le monde [que c'était ton argent], t'as fait des déclarations assermentées et tu demandes au gars de te faire un prêt? Si t'as des patentes avec Accurso, occupe-toi de tes affaires, et nous autres, on ne s'occupera pas de ça"», relate Christian Joly
Dans le document judiciaire, l'UPAC estime que la convention de prêt a bel et bien été écrite par Legault Joly Thiffault. On souligne également qu'un chèque émis par Louisbourg à l'attention de Joël Gauthier était d'une somme équivalente à celle prévue pour la mise de fonds.
Accréditation conditionnelle
Quelques mois après la clôture de la transaction, le Groupe Hexagone, dont le PDG était alors Joël Gauthier, fait une demande formelle auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour obtenir une autorisation de soumissionner à des contrats accordés par le gouvernement et les municipalités. Cette demande est effectuée en vertu de la Loi sur l'intégrité des contrats publics, qui oblige les entreprises à avoir des dirigeants irréprochables.
Des discussions sont entreprises entre l'AMF et Hexagone, qui s'étirent sur plusieurs mois. «L'accréditation de l'AMF tardait à être émise car il y avait une crainte que M. Antonio Accurso influence ou soit décisionnel dans la nouvelle compagnie Hexagone», souligne l'UPAC dans le document judiciaire.
Il y est aussi souligné qu'à cette époque, «si la provenance des fonds de M. Gauthier avait été mise au grand jour, la compagnie risquait de perdre près de 200 millions de contrats en attente de l'accréditation. Elle en avait déjà perdu 100 millions». Mais l'information n'est pas révélée.
L'AMF et Hexagone conviennent de la nécessité d'apporter des ajustements dans la structure de la nouvelle entreprise. Le bras droit de Tony Accurso, Frank Minicucci, est congédié et les deux fils Accurso sont écartés, «car leurs financements provenaient directement de leur père», écrit l'UPAC. Me Christian Joly souligne d'ailleurs avoir recommandé aux fils Accurso d'utiliser uniquement leurs fonds personnels pour la transaction, sinon «ça [allait] teinter le dossier».
Motus et bouche cousue
Finalement, l'AMF pose une dernière condition avant de délivrer l'accréditation, soit qu'Hexagone lui fournisse «une lettre d'avocat afin de confirmer qu'Antonio Accurso n'était pas impliqué ni de près ni de loin dans Hexagone», comme le révèle le document judiciaire signé par l'UPAC. Le cabinet Legault Joly Thiffault a transmis une telle lettre, mais à aucun moment, on n'a informé l'AMF de la convention de prêt Accurso-Gauthier, admet Me Joly.
Ce dernier explique que la lettre demandée ne concernait pas la provenance des fonds. «Je ne statue pas sur la probité de Joël Gauthier. Je suis là pour donner une opinion juridique sur le contrat», argue Me Joly.
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