Un peuple de «winners»

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Lanctôt se trompe : Duplessis refusait l'argent d'Ottawa pour défendre l'autonomie de la province


La fin de semaine dernière, l’aile jeunesse de la CAQ rejetait l’idée d’affranchir le Québec des paiements de péréquation, tout juste après que le premier ministre albertain, Jason Kenney, dans une vidéo publiée sur Twitter, eut reproché au Québec de se priver de revenus en refusant d’exploiter ses gaz de schistes, pour profiter paresseusement de la richesse albertaine via la péréquation.


Dimanche, François Legault s’est défendu en affirmant que la péréquation faisait partie du « deal original », celui sur lequel repose la fédération canadienne, et que le Québec n’avait pas à avoir honte — présumant qu’il y a un sentiment d’une telle nature à dissiper. Ce printemps, Legault, qui entretient visiblement un rapport ambigu avec les principes de redistribution en général, affirmait que la péréquation constitue « le premier avantage » à rester dans le Canada, mais qu’il faut néanmoins veiller à ne pas trop en recevoir, de peur d’être mis « dans le même paquet que les provinces maritimes. » Pas de honte, donc, mais tout de même, le Québec doit prouver qu’il peut, lui aussi, générer plus de revenus. Tout signe d’interdépendance, tout recours à la solidarité, est un aveu de faiblesse pour quiconque voit dans la richesse une preuve de vertu, sans égard aux formes sociales que sous-tend sa création.


Par ailleurs, lorsque Legault défend la péréquation en affirmant qu’elle est au coeur du bricolage constitutionnel qu’est le Canada, il applaudit l’unité canadienne en se trompant sur ses fondements. Le premier ministre albertain le lui a d’ailleurs rappelé, quoique de façon opportuniste, en soulignant sur Facebook que la péréquation ne fait pas partie du socle originel de la Confédération. Le politologue Louis Massicotte l’expliquait bien, cette semaine, dans une lettre parue en ces pages : la loi constitutionnelle de 1867 prévoyait certes un paiement aux provinces pour assurer le fonctionnement de leurs institutions, mais cela n’était pas réservé aux provinces les plus pauvres.


Pour retracer l’origine de la péréquation, il faut citer le rapport de la Commission Rowell-Sirois de 1940, qui évalue la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces, en fonction de l’impact économique de cette répartition. On y propose des mesures pour atténuer les inégalités financières entre les provinces, lesquelles ont été mises en relief par la crise de 1930. C’est dans ce cadre qu’on propose l’élaboration d’une formule de péréquation, qui entre en vigueur en 1957, à travers une loi qui instaure les versements aux provinces, mais ce système n’est constitutionnalisé qu’avec la loi constitutionnelle de 1982.


Non, la péréquation ne fait pas partie du « deal original ». Mais plus encore, il faut dissiper l’idée que la fédération canadienne soit fondée sur un quelconque principe de solidarité, et voir plutôt comment, après la guerre, et hanté par la crise des années 30, on a cherché à inventer un sens à ce pays fondé pour l’essentiel sur un projet d’exploitation.


Le « deal original » dont parle François Legault n’existe pas, ou si peu, ce qui d’ailleurs est évident si l’on compare avec nos voisins du Sud, qui eux connaissent leur moment fondateur. Ses traces sont bien visibles, dans les institutions, les lieux et, surtout, dans les textes qui fondent une idée nationale adossée à des écrits, à des récits (la Déclaration d’Indépendance, la Constitution, la Bible, même). Avec cela vient bien sûr une charge de violence — vous connaissez ma méfiance face aux nationalismes de tous acabits. Mais faut-il rappeler que le Canada n’a pas eu de constitution écrite et unifiée avant 1982 ? Il y a un vide au fondement de ce pays, qui laisse toute la place aux perpétuels tiraillements entre le nationalisme québécois et les rancoeurs albertaines ; ou entre tous les morceaux de ce pays qui, au départ, est plutôt quelque chose comme un chemin de fer.


En ce sens, la péréquation, pour y revenir, instaure une solidarité de façade. Elle distribue des fonds entre les provinces, sans considérer vraiment les conditions qui produisent la pauvreté, la défavorisation, là où elles se concentrent. Elle équilibre des parts selon un principe d’attribution neutre, sans attachement particulier à une idée de justice ou d’équité ; ce qui est au fond à l’image de l’État canadien, qui n’incarne aucune idée du bien ou de l’unité, s’en remettant plutôt aux liens du droit et du marché.


Quant à François Legault, lorsqu’il défend la péréquation comme premier avantage de la fédération, défend-il vraiment un principe de redistribution que sa philosophie politique, attachée au règne de la business, refuse ? Mais non. Il y voit un prétexte à l’émulation : le Québec, constatant qu’il reçoit la grosse part du gâteau, doit saisir l’occasion pour faire mieux, afin que le reste du Canada l’aime un peu plus. Legault, nageant ainsi dans les mêmes eaux que Duplessis, veut d’abord montrer que le Québec est une province de gagnants. Il ne s’agit pas de revendiquer plus d’autonomie, de dignité, de justice pour ses citoyens. Il s’agit avant tout de prouver que nous sommes, nous aussi, un peuple de winners.









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