D’habitude, le changement d’allégeance d’un apparatchik ne fait guère de vagues et ne mérite tout au plus qu’un articulet. Mais le passage à la Coalition avenir Québec du stratège souverainiste Stéphane Gobeil, qui a épaulé tant Gilles Duceppe que Pauline Marois, est d’une autre nature puisqu’il s’appuie sur une réflexion stratégique qui pourrait ébranler certains péquistes dans ce qu’il leur reste de certitudes.
Il y a près de quatre ans, Stéphane Gobeil publiait son livre Un gouvernement de trop, qui se voulait une démonstration que le Québec, en accédant à la souveraineté, profiterait de l’élimination de la lourde administration fédérale, de ses programmes qui ne lui offrent aucun bénéfice et de coûteux chevauchements. Pierre Karl Péladeau aurait d’ailleurs avantage à s’inspirer de cet ouvrage s’il veut répondre à Philippe Couillard quand celui-ci soutient qu’Ottawa dépense 16 milliards de plus pour le Québec qu’il n’y encaisse de revenus, une réplique que n’a toujours pas formulée en Chambre le chef péquiste.
Aujourd’hui, c’est un livre intitulé « Un parti de trop » que pourrait écrire Stéphane Gobeil. Depuis près de 35 ans, le PLQ, pour lequel les Québécois non francophones votent massivement, a fait élire au moins 47 députés, presque 40 % des élus de l’Assemblée nationale. Aux dernières élections, les deux tiers des Québécois francophones n’ont pas voté pour le Parti libéral du Québec. Or ce parti a pourtant obtenu une solide majorité.
La majorité francophone perd ses élections ; elle n’est pas au pouvoir dans le seul État en Amérique où les francophones forment une majorité, déplore le stratège. L’appui au PQ ne dépasse pas 35 % depuis dix ans, ce que rappelle dans son blogue Claude Villeneuve, un ancien collègue de Stéphane Gobeil au sein du cabinet Marois. En 2007, puis en 2014, le PQ a frôlé la déconfiture totale.
L’an dernier, Mario Dumont avait déjà sonné l’alarme dans un de ses billets, mais à la CAQ, c’est la thèse que défend depuis belle lurette Martin Koskinen, le conseiller de François Legault : si le PQ et la CAQ continuent à se partager le vote nationaliste, le PLQ, qui peut compter d’emblée sur 50 circonscriptions, détiendra le monopole du pouvoir.
Une dernière chance
Il est légitime pour les péquistes de vouloir donner une dernière chance à leur projet avec une grosse pointure comme Pierre Karl Péladeau, croit Stéphane Gobeil, une chance pour les vieux souverainistes de voir avant de mourir la souveraineté se réaliser. Mais lui-même n’y croit pas : le PQ de PKP va mordre la poussière en 2018.
Conseiller de Bernard Drainville lors de la course à la chefferie péquiste, Stéphane Gobeil jugeait que le PQ devait d’abord prendre le pouvoir en s’engageant clairement à ne pas tenir de référendum dans un premier mandat : le référendum ne surviendrait que dans un deuxième mandat, et encore, seulement si la mobilisation est là.
Cette option a été clairement rejetée par les militants péquistes, qui ont préféré un baron de la presse dont la seule motivation pour se lancer en politique, c’était de faire du Québec un pays. Or le PQ est la victime d’un paradoxe tragique, estime Stéphane Gobeil : plus le parti renforce sa détermination souverainiste, plus ça fait l’affaire des libéraux. Plus le PQ est fort et menaçant, plus le PLQ en profite. Pas étonnant que, depuis 2003, les libéraux de Jean Charest ou de Philippe Couillard ont mené la même campagne électorale, martelé le même message : voter libéral, sinon c’est un référendum assuré. Et ça a marché. Certes, il y a eu la victoire de Pauline Marois en 2012, mais la surprise de cette élection, c’était que la chef péquiste avait dû se contenter d’un gouvernement minoritaire après neuf ans d’un gouvernement libéral usé qui baignait dans les miasmes de la corruption.
Un contractuel
Stéphane Gobeil n’aura qu’un rôle secondaire au sein de la CAQ. D’abord, il n’est pas un employé du parti, mais un contractuel qui travaillera au programme économique de la formation politique. Le stratège n’a pas eu à abjurer sa foi indépendantiste comme l’ont fait, par exemple, le transfuge du PQ et député de Deux-Montagnes, Benoit Charette, et l’ancien militant péquiste et député de Chambly, Jean-François Roberge.
Les visées de Stéphane Gobeil sont à long terme : il rêve d’une union entre la CAQ et le PQ pour former un seul bloc nationaliste, un objectif qui ne pourra se réaliser qu’après la défaite du PQ, mais aussi celle de la CAQ, en 2018.
Dans l’entourage de Philippe Couillard, on se frotte les mains. D’une part, avec cet indépendantiste qui le conseille, François Legault offre une occasion aux libéraux de remettre en question ses convictions fédéralistes. D’autre part, Pierre Karl Péladeau voit son image de rassembleur quelque peu ternie, alors que, ironie du sort, le stratège ne faisait même pas partie de son équipe. On ne croit d’ailleurs pas à cette grande réunion des forces nationalistes : pour l’essentiel, les caquistes ont déjà fait le plein des fédéralistes nationalistes, quant aux souverainistes, on ne les voit pas abandonner en grand nombre leur credo pour se joindre à la CAQ, raisonne-t-on. Si ralliement il y a, il sera marginal.
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QUÉBEC
Un parti nationaliste de trop
Une union du PQ et de la CAQ peut seule briser le monopole libéral sur le pouvoir
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