La question nationale est lancinante dans l’histoire du Québec. On y revient sans cesse, d’une époque à l’autre, même si le plaisir, à la longue, s’émousse. Tout ce qui traîne se salit, dit la maxime populaire, et le sentiment de plus en plus répandu d’indifférence envers la question nationale semble le confirmer. Dans L’idéologie du hasard (Fides, 2018, 200 pages), le sociologue Jean-François Simard fait le triste constat que « notre société joue aux dés avec son avenir en laissant aux circonstances le soin de décider pour elle ».
Ex-député péquiste (1998-2003) de la circonscription de Montmorency, Simard est un souverainiste déçu. Il affirme se sentir « profondément québécois » et il regrette la défaite du Oui en 1995. Il refuse, cependant, le défaitisme ou la fuite en avant et il entend, en toute fidélité au nationalisme humaniste et républicain dont il se réclame, « [s]’investir dans la construction du “pays réel” ». Le Québec, constate-t-il, « pense désormais son “autoréalisation”, sans forcément vouloir s’engager sur les chemins de l’“autodétermination” ». C’est donc dans cette logique que Simard veut contribuer au renouvellement de la question nationale.
Sortir de la bipolarisation
La parution de L’idéologie du hasard est à marquer d’une pierre blanche. Il s’agit, en effet, à mon humble avis, du premier essai intellectuel caquiste de notre histoire. Le récent livre de Simon Jolin-Barrette, J’ai confiance (Québec Amérique, 2018), relevait plutôt du témoignage et le livre de François Legault, Cap sur un Québec gagnant (Boréal, 2013), se voulait essentiellement un programme politique. L’idéologie du hasard est d’une autre trempe. Penseur de fort calibre au style élégant qui se réclame de Fernand Dumont, Simard ne propose pas un livre militant, mais une riche et parfois émouvante invitation à la réflexion. Avec lui, la Coalition avenir Québec (CAQ) peut s’enorgueillir de compter dans ses rangs son premier véritable intellectuel.
« Après 50 ans d’une stratégie nationale bipolaire qui nous propose de choisir entre l’impossible souveraineté et le rien du tout des Trudeau père et fils, n’y a-t-il pas désormais place pour autre chose que l’impuissance et l’imagerie révolutionnaire ? » demande Simard. C’est une très bonne question.
L’impasse, il faut le reconnaître, est réelle. Les indépendantistes stagnent en espérant la survenue magique des conditions gagnantes, pendant que les fédéralistes « comptent sur l’épuisement tranquille des revendications et la force de l’inertie ». Le Québec est donc incapable de quitter un Canada qui ne le satisfait pas, mais il n’a rien à proposer pour le réformer et il ne reconnaît même pas officiellement la Constitution qui s’impose à lui. Dans un essai récent, le politologue Guy Laforest parlait d’un « exil intérieur » pour définir le sentiment du Québécois dans le Canada. Simard ne dit pas autre chose.
Le sociologue critique sévèrement les libéraux provinciaux actuels qui se complaisent dans le statu quo, acquiescent au trudeauisme et ont perdu toute capacité d’indignation. Les libéraux de Jean Lesage, continue Simard, prônaient une logique d’affirmation nationale québécoise ; ceux de Philippe Couillard « affichent un consentement bonasse » au provincialisme. Les souverainistes, pour leur part, s’indignent, mais sont condamnés, faute d’appuis suffisants, à repousser l’échéance référendaire, ce qui revient à se contenter du Canada actuel sans l’accepter, dans une logique du tout ou rien.
Nationalisme d’accommodement
Pour sortir de l’impasse, Simard invite les souverainistes déçus et les libéraux nationalistes à un grand « dialogue intérieur » visant à penser les conditions d’un « retour honorable du Québec au sein de la Constitution canadienne ». Il évoque le « beau risque » de René Lévesque et l’accord du lac Meech de Bourassa. Pour rassurer tout le monde, il précise que tout gouvernement doit « s’engager solennellement à ne jamais signer la Constitution canadienne sans un mandat populaire explicite pour le faire ».
Pour relancer ce nationalisme d’« accommodement », cette quête d’un « nouveau consensus national », le sociologue mise sur la CAQ, une coalition qu’il compare au mouvement En Marche !, d’Emmanuel Macron, en France. Son argumentation est souvent vibrante et éloquente et son invitation, sincère.
J’y vois cependant deux obstacles importants. Simard dit avoir quitté le Parti québécois notamment parce qu’il le trouvait trop à gauche.