Un faux nom suffit à une agence de placement

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L'immigration massive c'est le nouveau visage de la traite humaine

Au moment où la Sûreté du Québec frappait cette semaine des agences de placement qui exploitent les nouveaux arrivants, notre journaliste a tenté de trouver un emploi en se faisant passer pour une immigrante sans-papiers. Des employeurs cherchent désespérément de la main-d’œuvre, comme Le Journalen a rendu compte ces derniers jours. C’est peut-être pourquoi notre reporter a trouvé ce boulot avec une facilité déconcertante, comme elle le raconte aujourd’hui.




Un faux nom et un numéro de téléphone. C’est tout ce que cela m’a pris pour dénicher un boulot en 33 minutes. Aucun papier d’identité exigé, pas même de numéro d’assurance sociale, et on m’a expédiée dans une usine de textile de la Rive-Nord.


Mardi après-midi. J’appelle dans quelques agences de placement qui font de la publicité qui cible les immigrants. Toutes me disent de venir sur place, mais je choisis de me rendre à celle où on me promet que j’aurai « du travail demain ou après-demain ».


Quand je m’y pointe, je suis étonnée de voir qu’il s’agit d’un haut de duplex, où un appartement semble avoir sommairement été transformé en firme de placement.


Un homme plutôt bourru m’y accueille. Je lui explique dans un français volontairement « approximatif » que je suis ici pour un emploi. D’origine chilienne, je parle couramment l’espagnol et je peux parler en français en feignant un accent.


Rebaptisée


Après avoir très longtemps cherché un formulaire parmi une foule de paperasses, il finit par me tendre une feuille. Il me demande sèchement de remplir une fiche d’employé.


Je m’installe donc sur une tablette bancale qui sert de bureau improvisé et je me rebaptise Lourdes Vasquez.


J’omets de fournir mon numéro d’assurance maladie et mon numéro d’assurance sociale.


C’est un autre homme, qui semble le responsable de l’agence, qui prend possession de ma fiche une fois remplie. Bien plus sympathique, il souligne qu’il pourrait avoir un boulot pour moi dès le lendemain soir, qu’il va me téléphoner en matinée.


Un appel à peine sortie


Après une simple visite à l’agence de placement, notre journaliste s’est fait donner un rendez-vous dans le stationnement d’un restaurant tôt le lendemain matin, d’où elle a été conduite à son lieu de travail.


Je sors de l’agence. Il est 16 h 20.


À 16 h 53, c’est le type aimable de l’agence qui me rappelle déjà.


« Lourdes, j’ai un travail pour toi demain ! Quelque chose de propre, un travail pour femme. »


Il m’explique que je devrai être dans le stationnement d’un restaurant McDonald’s de l’arrondissement Saint-Laurent à 7 h 20 le lendemain.


Il me donne le prénom du contact qui me conduira à mon boulot. Estomaquée par la vitesse à laquelle j’ai été engagée, je me suis couchée tôt ce soir-là, stressée par la journée qui m’attend le lendemain.


Mercredi matin, le temps est gris et frisquet lorsque je me présente au rendez-vous à l’avance.


Mais mon « chauffeur » n’est pas là à l’heure convenue. Je l’appelle à plusieurs reprises. Lorsqu’il répond enfin, il conte être déjà en route, car il ne savait pas qu’il devait venir me chercher. Ça fait 40 minutes que je patiente au froid quand il s’amène au volant d’une bagnole bleue, après avoir fait demi-tour.


Comme la fille de Madonna


Il peste, car on sera en retard. Le trajet vers l’entrepôt de textiles se fera d’ailleurs quasiment en silence, tandis qu’il passe sans cesse d’une station de radio à l’autre.


Une dame, qui semble être une patronne de l’entreprise, nous attend déjà quand on y arrive. Elle s’est impatientée devant notre retard.


« C’est ta première fois ici ? » me demande-t-elle. Je lui réponds que oui.


« Ah ! Lourdes, comme la fille de Madonna », me dit-elle souriante lorsque je lui apprends mon nom.


Après m’avoir expliqué que je devrai remplir une fiche pour tenir le compte du nombre de pièces que j’aurai manipulées, on me dirige vers mon poste de travail.


C’est l’endroit où je resterai plantée la majorité de la journée. On m’apprend que je vais plier des vêtements, en les plaçant en piles de 10.


Si le travail est exigeant et répétitif, l’ambiance est plutôt agréable. Il y a des gens d’un peu partout : Haïtiens, Asiatiques, Maghrébins, Sud-Américains. Et tout ce beau monde échange en français.


Une grosse sirène retentit dans les haut-parleurs de l’entrepôt. Il est 10 h, c’est l’heure de la première pause de 10 minutes. J’ai déjà plié 90 morceaux. Après mon café, je retourne travailler.


Épuisant et répétitif


Après s’être fait passer pour une immigrante sans-papiers, notre reporter a passé une journée à plier des pièces de vêtements dans un entrepôt de la Rive-Nord.


Cent bouts de tissus plus tard, il est midi. À ce moment-là, je suis épuisée, j’ai mal aux genoux et au haut du dos. Et la journée n’est pas encore finie.


Pendant l’heure du dîner, on m’invite à travailler pour récupérer le temps perdu le matin puisque je suis arrivée en retard. Ce que je fais.


À ma pause de l’après-midi, j’appelle à l’agence pour insister sur le fait que je n’ai pas de papier, donc pas de numéro d’assurance sociale, pas d’assurance maladie et pas de pièce d’identité.


« Tu sais quoi, ne le dis pas à personne et va travailler demain. On va s’arranger avec mon collègue. Ne le dis pas à personne ! » insiste le responsable, en me précisant que je serai payée le lundi suivant.


Quand l’alarme sonne à 16 h 30 pour signifier la fin de la journée, j’ai plié au moins 450 pièces de vêtements.


Au terme de sa journée, un collègue l’a ramenée au point de rencontre du matin.


Mon collègue et chauffeur me ramène alors vers Montréal. Plus loquace que le matin, il me raconte être au Québec depuis deux mois seulement, que l’agence lui a trouvé cet emploi il y a trois semaines et qu’il aime bien.


Le lendemain, je téléphone à l’agence pour les aviser que je ne retournerai pas à l’usine de textile, prétextant une blessure.


« En cash... »


« On va s’arranger. Appelle-moi quand tu es disponible. Viens chercher ton argent la semaine prochaine », me rassure-t-on.


Quand je fais remarquer que je n’ai pas de compte de banque, on me rassure : « Pas de problème, ce sera en cash... »