(Photo AFP)
Émilie Côté - Le Tribunal des droits de la personne a donné raison à un centre de la petite enfance (CPE) qui refusait de garantir à un père musulman que ses garçons ne mangeraient aucune viande non halal. Le parent «a eu une conduite contraire avec l'approche coopérative et tolérante qu'exige la pratique de l'accommodement raisonnable», tranche la juge en chef Michèle Rivet.
Quelques jours après le dépôt du rapport Bouchard-Taylor, ce jugement donne raison à une organisation qui refuse d'accorder une demande d'accommodement raisonnable. Il insiste sur le fait que le demandeur doit aussi faire preuve de bonne volonté pour en venir à un compromis.
Abdelhakim Khouas est le père de deux garçons qui fréquentent le CPE Gros Bec, situé dans Hochelaga-Maisonneuve. Selon ses croyances religieuses, l'homme doit veiller à ce que ses enfants ne mangent pas de porc et uniquement de la viande halal (pour qu'une viande soit certifiée halal, l'animal doit avoir été tué selon les rites musulmans).
En septembre 2003, M. Khouas s'entend verbalement avec l'éducatrice responsable de son fils aîné afin qu'elle ne lui donne pas de viande. Mais l'année suivante, une nouvelle éducatrice lui refuse cette même demande. Informée de la situation, la directrice du CPE rappelle alors à M. Khouas que la garderie a une règle de neutralité en matière de croyances religieuses. Mais elle accepte tout de même de continuer l'entente informelle convenue il y a un an.
Les deux parties s'entendent jusqu'à ce que le fils de M. Khouas mange des saucisses de boeuf (non halal) lors d'une sortie à la cabane à sucre. Le lendemain, le père blâme l'éducatrice qui accompagnait les enfants devant son fils.
«La réaction de monsieur Khouas à l'incident de la cabane à sucre est difficilement conciliable avec la philosophie que sous-tend l'accommodement raisonnable qui est de trouver une solution juste et équitable dans un esprit de tolérance, écrit la juge Rivet par rapport à cet événement. Ni madame Boulanger, ni le CPE ne méritait un blâme pour cet incident et encore moins devant des enfants.»
Après l'incident de la cabane à sucre, le deuxième fils de M. Khouas fait son entrée au CPE. Son éducatrice refuse de lui servir des plats sans viande. C'est là que le père dépose une plainte à la Commission des droits de la personne et la jeunesse (CDPDJ).
Dans sa décision, la juge Michèle Rivet souligne que chaque cas d'accommodement raisonnable est à traiter dans son «contexte factuel précis». Dans le litige en question, «la façon dont monsieur Khouas veut assurer l'éducation religieuse de ses fils, en totale conformité avec ses propres croyances, n'a pas été exercée dans le respect des droits d'autrui ni même dans celui de l'intérêt de son enfant».
Quand il était impossible pour les éducatrices de séparer la viande des plats -pour des spaghettis ou du pâté chinois, par exemple-, M. Khouas demandait que son enfant mange plutôt deux entrées et deux desserts. À cet égard, «il n'est pas dans l'intérêt des enfants de subir une telle improvisation lorsqu'il s'agit de leur alimentation», écrit la juge. Et dans la mesure où la garderie a adopté une règle de neutralité religieuse, les demandes de M. Khouas représentent une «contrainte excessive».
La juge Michèle Rivet déplore aussi que le père faisait directement ses demandes aux éducatrices plutôt qu'à la direction. «Cette tentative de s'entendre en catimini est contraire à la logique de l'accommodement raisonnable.»
Me Richard Legault, qui représente le CPE Gros-Bec, se réjouit du jugement rendu jeudi dernier. «C'est un jugement important, dit-il. Le jugement définit que les deux parties doivent être raisonnables. Et que l'accommodement raisonnable ne peut pas se faire au détriment de la santé, de la sécurité et du bien-être des enfants.»
«Je suis déçu, a pour sa part dit Abdelhakim Khouas à La Presse. J'étais confiant. Mais je vais attendre de parler à mon avocat avant de faire des commentaires.»
La Commission des droits de la personne et de la jeunesse, qui représentait le père de famille, accueille tout de même favorablement le jugement. Dans la foulée du dépôt du rapport Bouchard-Taylor, cela vient clarifier le principe et le processus de l'accommodement raisonnable. «Le jugement insiste sur la bonne volonté que doit avoir tout le monde dans la recherche d'un compromis», indique Me Marc-André Dowd, vice-président de la CDPDJ.
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