Accommodements: mais où est passée la crise?

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Accommodements raisonnables post-commission B/T



L'an dernier, des musulmanes avaient rendu visite aux citoyens d'Hérouxville. Photo: Bernard Brault, Archives La Presse


Hidjab, kirpan, les hommes sans les femmes et la cabane à sucre sans lard: voilà les sujets qui alimentaient le débat lors de la dernière campagne électorale au Québec. Ça vous paraît loin? Pourtant, ça se passait il y a moins de deux ans. Pendant cette campagne-ci, plus personne n'en parle. Autopsie d'une crise disparue.
L'an dernier, l'agenda de Marie McAndrew était rempli à craquer de conférences et de tables rondes sur le sujet le plus chaud de l'heure: les accommodements religieux.
Cette année, c'est le désert ou presque. Cette spécialiste des rapports ethniques a été invitée à discuter de ce sujet avec le personnel d'une commission scolaire de l'Outaouais. Mais faute d'inscriptions, la rencontre vient d'être ramenée à une seule journée.
Même chose chez les juges de la Cour du Québec, qui ont eu droit, depuis deux ans, à des séminaires sur la montée des religions et les chocs culturels qui en découlent. Cette année, les organisateurs ont décidé que le sujet était clos. Le séminaire des juges portera plutôt sur de grands enjeux géopolitiques.
Il y a deux ans, La Presse avait reçu des centaines de lettres d'indignation à la suite de la décision de la Cour suprême autorisant les élèves sikhs à porter leur couteau rituel, le kirpan, à l'école. Cette année, un jeune Montréalais s'est retrouvé devant la justice après une altercation au cours de laquelle, selon l'accusation, il aurait brandi son kirpan devant un autre élève. À peine une poignée de lecteurs ont pris la peine de commenter cet incident...
Vote voilé, fenêtre givrée dans un YMCA, fèves sans lard dans une cabane à sucre: voilà les sujets qui faisaient jaser il y a tout juste 19 mois. À l'époque, Mario Dumont avait appelé les Québécois à ne pas mettre «un genou à terre» devant les demandes des minorités religieuses. Ce slogan avait contribué à son succès le jour du scrutin.
Cette année, il a essayé de raviver la flamme en dénonçant le nouveau cours d'éthique religieuse et en protestant contre la disparition des crucifix à l'école. Sa tentative est tombée à plat.
Que s'est-il donc passé? Comment se fait-il que ce qui avait des allures de crise nationale au printemps 2007 se soit dégonflé au point de passer sous le radar de l'opinion publique?
«Les interrogations sur les accommodements ne sont pas complètement disparues, mais la commission Bouchard-Taylor a permis aux gens de s'exprimer et a créé un certain effet de lassitude», constate Marie McAndrew.
Et puis, souligne-t-elle, le Québec a vécu une autre crise depuis: les événements de Montréal-Nord. Selon la spécialiste, cela a remis les pendules à l'heure: dans les écoles, on s'interroge moins sur le hidjab ou le menu des cafétérias et davantage sur les inégalités socioéconomiques...
Détournement de débat
Rachida Azdouz pratique une sorte de «médecine d'urgence» en matière d'accommodements: les institutions font appel à son jugement lorsqu'elles sont aux prises avec des demandes qu'elles jugent délicates.
Selon Mme Azdouz, la question des accommodements continue à donner du fil à retordre aux employeurs publics et privés. Mais depuis les audiences de la commission Bouchard-Taylor, elle se pose différemment.
«Avant, les gestionnaires se demandaient comment satisfaire les minorités pour éviter de se retrouver devant les tribunaux. Maintenant, ils rejettent les demandes d'accommodement en se disant que les minorités n'ont qu'à aller se plaindre si elles ne sont pas contentes», constate Mme Azdouz, qui est la vice-doyenne de la faculté d'éducation permanente de l'Université de Montréal.
La commission Bouchard-Taylor a entraîné, selon elle, une sorte de «détournement de débat»: les gens cherchent davantage à «définir les valeurs communes» qu'à s'ajuster aux différences.
Un exemple récent: un employé musulman de la fonction publique a demandé que son horaire soit ajusté aux exigences du ramadan. L'employeur a dit non, sans autre forme de procès, sous prétexte que cela porterait atteinte aux droits des autres employés. «Il y a quelques années, ce gestionnaire aurait été moins affirmatif. Aujourd'hui, les demandeurs sont plus timides et les employeurs, plus audacieux», note Mme Azdouz.
Ce retour du balancier est l'un des «effets pervers» de la commission Bouchard-Taylor, d'après elle. Avant, on faisait peut-être trop de compromis, mais le risque, c'est que l'on devienne maintenant trop intolérant, craint-elle. Selon Mme Azdouz, le silence actuel donne l'impression que tout est réglé, mais ce n'est qu'une impression.
«Le vrai problème, celui que posent les demandes de communautés religieuses orthodoxes, a été balayé sous le tapis. Mais le jour où un juge décidera qu'un policier a le droit de porter un kirpan, un turban ou la kippa, le débat va resurgir. C'est inévitable», prévoit-elle.
L'avocat Julius Grey, qui avait défendu la cause du kirpan devant la Cour suprême, et qui défend aussi l'écolier sikh accusé de s'être servi de son couteau rituel, est plus optimiste. Selon lui, la commission Bouchard-Taylor a vidé le sujet de son potentiel explosif. «Dans les années 60, il y avait eu de fortes réactions contre les hippies et les cheveux longs, puis les gens se sont habitués. Aujourd'hui, nous nous sommes habitués au fait que certains portent le turban, d'autres le voile et d'autres encore la kippa. Plus personne ne veut aller en croisade contre ça.»
La campagne en cours semble lui donner raison.


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