Un bilan du Forum social québécois

Forum social québécois


Les réussites du premier Forum social québécois (FSQ) sont nombreuses, mais cela ne doit pas nous empêcher, une fois la poussière retombée, de jeter un regard critique sur cet événement, en envisageant les suites à y donner.
Le premier Forum social québécois a eu lieu fin août. Ce fut un succès à plusieurs égards : grande participation, qualité des échanges, ouverture importante, mélange des générations politiques, inclusion partielle des Premières nations.
Comme le soulignait Lorraine Guay, dans le numéro précédent de Relations – « Un happening du mouvement social », p. 4-5 –, ce fut un moment magique, qui récompense les militants qui ont investi tant d’efforts pour qu’il puisse avoir lieu.
Un bonheur public
Durant trois jours, ceux et celles qui y ont participé ont pu expérimenter ce qu’Arendt qualifie de « bonheur public ». Cependant, quelques semaines plus tard, l’euphorie du moment s’étant calmée, que peut-on en retenir?
Il est d’abord important que l’événement ait eu lieu. L’idée était dans l’air depuis un certain temps déjà et a migré à travers plusieurs collectifs d’organisation. Dès 2002, on parlait, dans le sillage du Forum social mondial (FSM), d’organiser un Forum social Québec-Canada-Premières nations.
Des jeunes, de retour du Forum social mondial de 2003 à Porto Alegre ont également voulu faire l’expérience localement de la créativité et de l’effervescence qui accompagnent ce genre d’événement.
Mais force est de constater qu’au fil des ans, le projet s’est considérablement rapetissé puisqu’il n’a été finalement que québécois, les tentatives précédentes s’étant heurtées à des conservatismes organisationnels ou encore à une difficulté d’ajuster les calendriers militants.
Absence de coordination avec le Canada anglais
À un moment où la présence au gouvernement fédéral d’un parti non seulement (néo)libéral dans ses politiques économiques et sociales – ça, on a l’habitude, depuis le temps! – mais aussi militariste et conservateur sur le plan de l’organisation sociale et des mœurs, une certaine concertation entre les luttes sociales de part et d’autre de l’Outaouais semblerait de mise.
D’ailleurs, quelques jours avant le Forum social, les manifestations contre le sommet de Montebello avaient été l’occasion d’une certaine collaboration entre mouvements québécois et ceux du reste du Canada.
À part la présence de Maude Barlow, du Conseil des Canadiens, sur l’une des tables rondes en soirée, et de quelques autres invités d’ONG canadiennes, cette nécessaire coordination des luttes n’a pas réellement pu se manifester dans l’esprit du FSQ, puisque celui-ci n’était que québécois.
Cependant, le nombre important d’invités internationaux a pu lui conférer une dimension internationaliste ainsi que favoriser une prise de conscience des liens entre les enjeux locaux et les enjeux mondiaux.
Les Premières nations, partiellement associées
En ce qui concerne les Premières nations, elles n’ont été que très partiellement associées au processus. Certes, les panels du samedi soir leur ont donné de la place, mais la question du rapport que les Québécois issus des divers processus de migration depuis le XVIe siècle et les membres des Premières nations veulent et peuvent entretenir n’a pas été au cœur des réflexions du FSQ.
On peut cependant se féliciter que l’appel de Ghislain Picard à signer une pétition en faveur de la ratification par le gouvernement du Canada de la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones ait été largement entendu, même si cela, comme on le sait, n’a pas fait broncher le gouvernement canadien, le Canada étant au nombre des quatre pays qui se sont prononcés contre cette déclaration (lire p.7).
Absence d’une synthèse mobilisatrice
Restait donc la portion québécoise. Sur le plan des succès, signalons que le FSQ a mêlé plusieurs générations militantes et qu’il a attiré au-delà de ce que peuvent réunir les groupes déjà organisés qui s’étaient rassemblés pour cet événement.
Entre autres, beaucoup d’étudiants étaient présents. Mais le brassage d’idées n’a pas réussi à produire une synthèse qui permette de relancer les luttes militantes, comme en témoigne le caractère extrêmement général de la Déclaration adoptée par l’Assemblée des mouvements sociaux qui lançait un appel à la mobilisation pour le 26 janvier 2008, date fixée au niveau international lors du dernier Forum social mondial.
C’est là qu’il faut s’interroger sur la pertinence d’un Forum social si « local ». Il me semble que la dynamique instaurée par le Forum social mondial était au départ double.
Loin de la dynamique des forums mondiaux
D’une part, il s’agissait de montrer, face à l’aréopage de la pensée unique (néo)libérale rassemblé à Davos, qu’un autre monde était possible; à cet égard, le processus des FSM a permis de cristalliser une mouvance altermondialiste dont l’action la plus spectaculaire fut certainement les grandes marches d’opposition à la guerre en Irak qui se sont déroulées dans presque tous les coins de la planète au début 2003.
D’autre part, il s’agissait de relancer les luttes sociales à l’échelle planétaire en provoquant une synergie des courants de gauche, anti-impérialistes, féministes, écologistes et anti-racistes; sur ce plan, force est de constater les limites intrinsèques au processus même du FSM.
Cependant, la mondialisation des rencontres permettait les échanges d’expériences et de nouvelles formes de réseautage qui peuvent être soutenues mais pas nécessairement initiées par les moyens technologiques.
À cet égard, même s’il n’est plus nécessairement très utile qu’il se réunisse tous les ans, le FSM permet de faire circuler l’information et les traditions militantes à l’échelle internationale et conserve une pertinence.
Mais dans un contexte comme celui du Québec, où une bonne partie des mouvements sociaux sont déjà impliqués dans toutes sortes de coalitions, on peut s’interroger sur la dimension « réseautage » d’un Forum social.
Le « smorgasborg » militant et culturel
Il me semble que le FSQ a souffert de deux problèmes qui découlent de la méthodologie des FSM. D’une part, le « smorgasborg » militant et culturel, lié au phénomène de l’autoprogrammation; d’autre part, la difficulté de déboucher sur l’action.
Durant quelques jours, des ateliers sur les thèmes les plus variés ont permis de brasser et de rebrasser certaines idées. L’action politique a certes besoin de réflexions et on ne peut que se réjouir du fait que 5000 personnes veuillent se creuser les méninges et se nourrir intellectuellement plutôt que de répéter des formules toutes faites et des slogans creux.
Cependant, le format même du Forum social ne permet pas la synergie entre les préoccupations et les intérêts des uns et des autres. Chacun y va de son activité, sans que les interactions puissent vraiment s’y produire; les écolos y discutent d’environnement et les féministes se retrouvent souvent entre elles.
Une réflexion en « silos »
Ce qui reproduit deux tares des mouvements sociaux actuels, la réflexion en « silos » – chaque mouvement ne pensant qu’en fonction de l’enjeu qu’il poursuit – et une juxtaposition des luttes sociales sans que celles-ci ne s’imprègnent mutuellement.
Un tel format rend difficile de déboucher sur l’action, même dans un contexte comme celui du Québec où les groupes militants sont déjà regroupés dans toutes sortes de coalitions (Réseau de vigilance, Échec à la guerre, Réseau québécois sur l’intégration continentale/RQIC, Coalition Solidarité Santé, pour n’en nommer que quelques-unes) visant à promouvoir le travail en commun.
Qu’amenait de plus l’Assemblée des mouvements sociaux qui s’est tenue le dimanche matin sinon une déclaration finale pétrie de bonnes intentions, œcuménique quant aux causes à embrasser, mais tellement vague du point de vue de l’action qu’après avoir souligné son accord avec le principe d’une action commune, chaque groupe y a été de son petit laïus pour souligner à quel point l’enjeu qu’il défend devait devenir l’enjeu commun?
Pour des États généraux des mouvements sociaux
Ceci fait ressortir que beaucoup plus que d’un Forum social, même s’il faut se réjouir du fait que celui-ci ait eu lieu, ce dont a besoin la gauche québécoise, c’est plutôt d’états généraux des mouvements sociaux où l’on mette de côté la vision en « silos » pour se demander sérieusement ce que l’on peut faire ensemble pour contrer la montée de la droite dans tous les domaines de la vie sociale et politique.
Car montée de la droite il y a et pas seulement dans nos gouvernements! Les médias, les Églises, les institutions sociales, les partis politiques et quelquefois même nos mouvements sociaux en sont affectés et sont loin de s’en sortir indemnes.
Ces derniers ont pris l’habitude de se parler entre eux, mais ils ont désappris à parler à la population non seulement pour la convaincre mais aussi pour entendre ses angoisses et tenter d’y répondre d’une autre façon que les populistes de tout poil.
Les mouvements sociaux ont donc besoin d’un espace réel de réflexion qui fasse un peu bouger les clivages et qui permette qu’anti-capitalisme, internationalisme, anti-militarisme, solidarité sociale, anti-racisme, féminisme, lutte contre la pauvreté, mouvements de réappropriation des quartiers et des milieux de vie et de travail et écologisme se conjuguent et s’enrichissent mutuellement.
Ceci ne peut se faire dans un format aussi éclaté que celui d’un forum social et nécessite une réflexion plus ciblée et plus systématique.
Les mouvements sociaux ont également besoin de reprendre l’offensive tant sur le plan de la conviction sociale que de l’action concertée et cela ne pourra se faire en ordre dispersé. L’hydre de la droite est certainement tentaculaire, mais comme le souligne le mythe, ce n’est pas en s’attaquant isolément à chacune de ses tentacules que nous pourrons la terrasser.
L’auteure est professeure au Département de science politique de l’Université Laval
Cet article est paru dans la revue Relations no 721, décembre 2007.
[www.revuerelations.qc.ca->www.revuerelations.qc.ca]
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Diane Lamoureux2 articles

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Professeure à l’Université Laval et membres du Comité aviseur ou du Comité scientifique de la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes (Université Laval).





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