Alors que le gouvernement de François Legault négocie en ce moment avec Ottawa pour réduire « temporairement » les seuils d'immigration au Québec, des voix s'élèvent pour revoir le processus de sélection des nouveaux arrivants choisis par la province. Portrait d'une situation complexe, mêlant pénurie de main-d'œuvre, défense de la langue française et surqualification des travailleurs qualifiés.
Présent à Paris en début de semaine pour rencontrer Emmanuel Macron et de nombreux investisseurs potentiels, François Legault n’a pas caché ses intentions. « Quand on regarde la situation de l’immigration au Québec, le problème que je vois, c’est qu’il y en a trop qui ne sont pas qualifiés et trop qui ne parlent pas français ou n’acceptent pas d’apprendre le français », a-t-il indiqué au cours d’une entrevue accordée à Radio-Canada.
Interrogé par Le Devoir, le premier ministre du Québec, qui a confirmé en décembre sa volonté de réduire à 40 000 le nombre d’immigrants dès 2019, est allé encore plus loin. « Donc, des Français, on en prendrait plus. De même que des Européens », a-t-il lâché, avant que son équipe ne précise que la volonté gouvernementale est avant tout d’attirer des immigrants francophones, sans distinction de nationalité.
François Legault est d’ailleurs dans le vrai en évoquant une diminution des connaissances du français. Dans la catégorie des travailleurs qualifiés, choisis par Québec – qui représentent plus de la moitié des nouveaux arrivants (57,8 % en 2017, le reste provenant du regroupement familial et des réfugiés) –, cette pratique de la langue de Molière est en constante baisse ces dernières années.
Seulement 61,5 % des travailleurs qualifiés maîtrisaient le français en 2017, contre 72,9 % l’année précédente. La baisse était encore sensible début 2018, mais les chiffres finaux n’ont pas encore été publiés.
D’où proviennent ces immigrants économiques?
Principalement de France, à travers le programme des travailleurs qualifiés, de Chine, qui compte de nombreux investisseurs venus au Québec, d’Iran et d’Algérie. Cinq des dix pays de naissance des immigrants économiques ont le français comme langue officielle.
Une grille critiquée
Le problème, souligné par les intervenants consultés par Radio-Canada, est vaste. En cause, la grille de sélection permettant à Québec de choisir les travailleurs qualifiés qui vont s’installer dans la province.
En s’appuyant sur cette grille, le gouvernement provincial accorde le Certificat de sélection du Québec (CSQ), qui permet par la suite au candidat de faire une demande de résidence permanente auprès d’Ottawa.
Les critères et le nombre de points accordés dans cette grille font débat. Au total, un candidat doit obtenir 50 des 103 points disponibles pour être choisi. À noter que les connaissances des langues sont évaluées selon des tests – payants – qui ne sont pas obligatoires dans ce processus de sélection.
Trop d’importance à la scolarité, clament des experts
Point de discorde : l’importance accordée au niveau de scolarité. Près de la moitié des travailleurs qualifiés ont par exemple étudié durant au moins 17 ans. Ne pas posséder l’équivalent du secondaire général est d’ailleurs éliminatoire.
« Aujourd’hui, on choisit des immigrants qui ne répondent pas nécessairement aux besoins. On peut avoir beaucoup de diplômes, mais si ça ne répond pas au marché, à quoi cela sert? » se questionne Stéphane Forget, patron de la Fédération des chambres de commerce du Québec.
« Si nos besoins sont des travailleurs moins qualifiés, il faut être agile. Ce qui nous manque au Québec, c’est ce qui devrait être privilégié, plutôt que des diplômes qui ne seront pas nécessaires », poursuit Alexandre Cusso, président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), qui s’est rendu en France, la semaine passée, dans le cadre d'une mission économique pour tenter d’attirer cette main-d’œuvre francophone.
Des employeurs sont réticents à embaucher des immigrants, car ils sont tellement qualifiés qu’ils ont peur qu’ils ne restent pas chez eux.
Selon ce dernier, « il faut revoir » cette grille de sélection, « un chantier » supplémentaire « à compléter » afin de « mieux sélectionner » les immigrants. Il propose notamment « d’éliminer » les critères éliminatoires pour les travailleurs ayant une offre d’emploi et « d’augmenter le pointage » pour tous les candidats disposant d’une telle promesse.
« Il ne faut plus une grille universelle, soutient Julie Bédard, présidente de la Chambre de commerce de Québec. Il faut une flexibilité, une agilité selon les régions et les secteurs d’emploi. »
Faut-il plus d’immigrants parlant français?
Si la croissance des délais de traitement est unanimement dénoncée, au point d’inquiéter fortement le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, la place à accorder à la connaissance du français diffère selon les intervenants.
Hors de question, jure-t-on au ministère de l'Immigration et au sein du cabinet de François Legault, d’ajouter des critères de nationalité qui permettraient par exemple à des Français d’être privilégiés.
« Avoir une approche géographique, ce n’est pas dans les cartons, explique Marc-André Gosselin, attaché de presse de Simon Jolin-Barrette. La grille de sélection est universelle et laisse une chance à tout le monde. Mais des immigrants bien francisés, bien intégrés, c’est sûr qu’on en veut plus. »
Tout comme le Parti québécois, Québec solidaire demande néanmoins de revoir ce procédé. « Il y a une importance accrue donnée aux diplômes, au détriment de la langue. On a la nécessité d’admettre plus d’immigrants qui connaissent en amont le français, tout en travaillant en aval pour la francisation des arrivants », souligne le député solidaire Andrès Fontecilla.
Actuellement, il y a un déséquilibre entre l’employabilité et la connaissance du français. Il faut effectuer des aménagements, c’est urgent.
Michel Leblanc, patron de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) ne partage pas cet avis.
« Devrait-on se priver de talents, comme dans le domaine de l'intelligence artificielle, qui ne sont pas nécessairement francophones ou capables de tenir une conversation en français si on en a vraiment besoin? On va s’affaiblir. Notre défi, c’est d’offrir à ces immigrants un environnement qui va leur permettre d’apprendre leur français pendant leurs heures de travail », précise l’homme d’affaires.
Le gouvernement veut miser sur les travailleurs temporaires
À ce jour, aucun signe n’a été envoyé pour revoir ce processus de sélection des immigrants économiques. Le gouvernement a plutôt répété, à de nombreuses reprises, vouloir améliorer l’intégration et la francisation des nouveaux arrivants. Un discours appuyé par de nombreux organismes évoquant des ressources financières insuffisantes.
Rien n'est cependant exclu, avance le cabinet de Simon Jolin-Barrette, qui dit vouloir « améliorer le maillage entre les besoins du marché du travail et les nouveaux arrivants ». Des mesures seront présentées ultérieurement, précise-t-on, sans détails supplémentaires.
Alors que des discussions ont été menées cette semaine entre des fonctionnaires des deux paliers de gouvernement, Québec demande notamment, outre la baisse des seuils, de gérer le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Le parti au pouvoir veut « miser sur l’apport des travailleurs étrangers temporaires afin de répondre rapidement aux besoins du marché du travail », a indiqué Simon Jolin-Barrette, en présentant le plan en immigration du gouvernement Legault.
Ce PTET permet aux entreprises de demander directement un permis de travail, temporaire, pour pourvoir un poste. En contrepartie, l’avenir de cet employé est lié à son entreprise. Près de 13 000 personnes bénéficient en moyenne de ce programme chaque année au Québec.
Défendant le système actuel et la réforme mise en place par l’ex-ministre Kathleen Weil, la députée libérale Dominique Anglade s’insurge contre cette volonté du gouvernement majoritaire. « Déjà, abaisser les seuils, c’est une aberration, note la porte-parole du parti d’opposition en matière d’immigration. Mais augmenter les permis temporaires, ça n’a pas de sens. »
Rappelant les quelque 120 000 postes vacants au Québec, l’élue craint « pour l’avenir du Québec » avec l’envoi d’un signal « très négatif ».
On cherche des talents partout au Canada, et là, on veut créer plus d’incertitude pour les immigrants qui devront tous les ans renouveler leur permis. On n’a jamais été une société qui dit "venez un temps et repartez". C’est la dernière chose à faire.
Se disant en faveur d’« un assouplissement administratif » pour faciliter l’arrivée d’immigrants économiques, l’équipe du ministre du Travail Jean Boulet voit plutôt à long terme.
« On souhaite aussi que ces gens restent ensuite de manière permanente, qu’ils voient le Québec, se familiarisent, et apprennent la langue et les codes culturels », mentionne la porte-parole du ministre, Caroline D’Astous.
Un projet de loi sera par ailleurs présenté vers la fin du mois de février afin de mieux encadrer ce PTET et les agences de recrutement.