« Testez, testez, testez », serait la solution au coronavirus, proclame-t-on en référence à la Corée du Sud. Pourquoi ne le fait-on pas ?

Dd498e4b379b9314f5c9a694a5ca65a0

Tester la population coûterait une fortune à l'État

« Ce qui préside à la gestion de cette crise sanitaire n’obéit pas à une logique de santé, mais à des impératifs économiques, c’est-à-dire politiques », déclare un jeune retraité de la recherche pharmaceutique dans un entretien paru sur le site Internet français « lundi matin ».


L’analyse concerne la France, mais on peut aussi y tracer des parallèles avec la situation canadienne et québécoise. Nous en publions les extraits les plus pertinents à notre situation.


Face aux accès de conspirationnisme qui fleurissent à chaque fois qu’une population en danger se trouve réduite à l’impuissance, face à un amateurisme gouvernemental qui ne trouve que les coups de menton autoritaires pour refouler l’évidence de ses propres errements et accuse sa propre population de la « mise en danger la vie d’autrui » dont il est lui-même l’artisan, nous avons choisi de nous tourner vers un médecin ami de lundimatin qui, après une carrière de généraliste, a passé trente ans à développer plusieurs des molécules-phares de l’industrie pharmaceutique française. Jeune retraité, nous avons jugé qu’il était assez détaché des intérêts de ses anciens employeurs pour nous livrer une analyse dessillée de la situation comme des pistes thérapeutiques possibles.


Pourquoi, d’après vous, a-t-on renoncé si tôt à une politique de dépistage de masse qui aurait permis d’isoler les porteurs du virus et de les traiter précocement plutôt que d’en venir à traiter chacun, indistinctement, comme un pestiféré potentiel ?


Au départ, je n’ai pas bien compris non plus, puis je me suis informé. Cela paraîtra absurde, et peut donner l’impression que, sous les apparences d’un pays à la modernité clinquante, se cache une réalité digne du Tiers-Monde. Les autorités ont produit toutes sortes d’arguments pour camoufler la triste et misérable vérité : au départ, c’est à cause du manque de masques pour protéger les préleveurs (infirmières à domicile, techniciens et biologistes des laboratoires de biologie médicale) !


Les biologistes de ville ont été, comme souvent, les grands oubliés des personnels de santé alors que les laboratoires d’analyses de biologie médicale sont ceux qui prélèvent et réalisent les diagnostics. Ils n’étaient même pas dans la première liste officielle des personnels de santé pour l’attribution des masques donc : sans protection de leur personnel, impossible de prélever.


Quand le problème des masques a été plus ou moins réglé, il y a eu un manque notoire de milieu de transport (éprouvettes spécifiques car il faut un milieu qui ne détruit pas les virus prélevés, des écouvillons du malade au labo d’analyse).


Puis, quand ce problème a été réglé, il y a eu pénurie de tests disponibles. Par ailleurs, le dosage fait appel à la biologie moléculaire dont beaucoup de labos de ville n’ont pas la pratique ni le matériel.


Ensuite, il y a la complexité relative de l’examen pour un diagnostic fiable dès le début des symptômes (et même avant) qui est fait en biologie moléculaire (c’est un examen spécialisé, ce n’est pas une glycémie ; il ne se fait donc pas sur n’importe quel automate), donc certains labos ont à s’équiper. Il faut préciser que le test est très fiable à condition que le prélèvement nasal soit très précautionneux afin d’éviter des faux négatifs.


Enfin, et je dirais surtout au vu de la logique de ceux qui nous gouvernent, il faut savoir que le test a le malheur d’être remboursé par la sécurité sociale. Tester 67 millions de personnes à un centaine d’euros le test coûterait « un pognon de dingue ».


C’est ici toujours la même logique comptable, gestionnaire et pour tout dire économique qui nous a mené dans ce cul-de-sac sanitaire, et qui empêche que l’on en sorte. C’est triste à dire, mais ce qui préside à la gestion de cette crise sanitaire n’obéit pas à une logique de santé, mais à des impératifs économiques, c’est-à-dire politiques.


Qu’est-ce que vous inspire la situation ?


Ce qui me paraît scandaleux, c’est que depuis cinquante ans toutes les épidémies de ce type, malgré des extensions et des cinétiques variables, obéissent au même schéma : elles naissent le plus souvent en Asie pour se répandre ensuite à la faveur de la circulation mondiale des marchandises et des personnes ; or on n’a pas été foutus, quand en début janvier les premières nouvelles nous sont parvenues de Chine, d’envoyer immédiatement une équipe pour aller au contact et prendre la mesure de ce qui se passait à Wuhan, qui ne manque pas de connexions avec la France, ni d’ailleurs ensuite en Corée du Sud.


Ces messieurs de la santé publique ont préféré rester à la cour, dans leurs ministères et manger dans les bons restaurants plutôt que de prendre le risque de sortir de leur milieu de culture et affronter la situation sur le terrain.


On a là un symptôme sûr d’une organisation sociale sub-claquante. Depuis vingt ans que les risques de pandémie virale, bactériologique ou parasitaire se précisent, aucun plan concerté mondial n’a été vraiment mis sur pied ; les études sur ces pandémies, leur pourquoi et la résolution de ces crises, certainement parce qu’on les croyait réservées aux pauvres, sont justement le parent pauvre de la recherche mondiale (seule la Chine a investi massivement dans ce domaine) ; il n’y a aucune cellule d’alerte multidisciplinaire capable d’étudier le phénomène immédiatement sur place dès le début de chaque épidémie et de donner des recommandations à mettre en œuvre rapidement avant sa propagation élargie.


En théorie, malgré la destruction organisée de l’hôpital public, notre organisation sanitaire est en mesure de circonscrire une pareille épidémie à condition qu’elle soit très réactive. Cela revêt une importance d’autant plus grande que de telles pandémies ont vocation à se répéter du fait de la mobilité internationale des humains et des marchandises, d’une population toujours plus nombreuse, de la concentration de celle-ci dans les villes, de la paupérisation induite par la logique capitaliste, du ravage écologique et de l’absence de toute éducation sanitaire de masse. À moins que tout cela ne cesse...


Cet article est paru dans lundimatin#235, le 23 mars 2020.



Photo : www.lopinion.fr