Avec la nouvelle garantie de prêt de 2,9 milliards accordée à Terre-Neuve-et-Labrador pour son projet hydroélectrique de Muskrat Falls, Ottawa récompense à nouveau l'entêtement.
L'été dernier, les provinces s'étaient réunies pour élaborer entre elles une stratégie énergétique. Mais à quoi sert cette stratégie si le fédéral encourage Terre-Neuve à multiplier les guerres juridiques avec ses voisins au lieu de chercher une sortie de secours ? S'il incite Terre-Neuve à s'engouffrer encore un peu plus dans ce projet ruineux ?
Pour en comprendre l'absurdité, on n'a qu'à regarder sur une carte le long détour pour acheminer l'électricité du Labrador à Terre-Neuve puis à la Nouvelle-Écosse, via deux dispendieux câbles sous-marins.
On peut aussi sortir sa calculatrice.
Muskrat Falls constituait un pari irresponsable sur le coût de l'énergie.
Les concepteurs pensaient que le prix resterait éternellement au niveau stratosphérique de la fin de la décennie 2000. On connaît la suite : les projections de coûts de construction ont explosé (de 7,4 à 11,4 milliards), alors que les prévisions de revenus ont chuté. Le nouveau patron de la société d'État terre-neuvienne, Nalcor, a qualifié ce montage financier de « profondément troublant ».
La province maritime saigne déjà. Sa cote de crédit a baissé, son déficit se creuse (l'équivalent d'un déficit de 23 milliards pour le Québec !) et sa dette par personne est devenue la plus grande au pays.
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Il n'existe qu'une solution parfaite : voyager dans le temps pour annuler ce projet insensé.
Les compteurs devraient être remis à au moins 2012, quand le gouvernement Harper a accordé une première garantie de prêt de 6 milliards pour Muskrat Falls. C'était irresponsable, car le projet paraissait ruineux dès le départ. Et c'était aussi injuste, car l'aide fédérale concurrençait les autres provinces comme le Québec, qui n'ont jamais reçu une telle aide.
À sa décharge, le gouvernement Trudeau a hérité de ce gâchis. Il est difficile de savoir à quoi aurait ressemblé une solution « gagnant-gagnant », pour reprendre l'expression du ministre québécois des Affaires canadiennes, Jean-Marc Fournier. Mais on sait à tout le moins à quoi une telle entente ne ressemble pas : à la nouvelle garantie de prêt.
Certains ont souhaité qu'Hydro-Québec reçoive une aide équivalente. Il s'agit d'une fausse bonne idée, car la société d'État est déjà accusée par ses compétiteurs de la Nouvelle-Angleterre de profiter d'une aide déloyale. On risquerait d'accréditer cette thèse et de nuire aux exportations d'Hydro-Québec.
Il aurait fallu que Terre-Neuve négocie de bonne foi avec le Québec. On y a cru brièvement vers 2007, quand elle avait sondé Hydro-Québec pour que l'électricité des projets Muskrat Falls et Gull Island transite sur son territoire. Cela nécessitait la construction de nouvelles lignes et de postes de transmission. Mais Nalcor a contesté l'évaluation des coûts - puis perdu devant la Régie de l'énergie - avant de relancer la guerre juridique contre Québec, puis d'envisager le projet sous sa forme actuelle absurde (coûts de transports gonflés et production réduite, car Gull Island reste sur la glace).
Terre-Neuve devrait financer autre chose que l'industrie du litige.
Soyons clair. Le Québec n'aurait pas eu d'avantage particulier à ce que l'électricité transite par son territoire. Au contraire, la nouvelle ligne de transport aurait eu un impact environnemental, qu'il aurait fallu étudier. Québec n'a donc pas à faire de concession.
Ce que ce fiasco démontre surtout, c'est qu'il est grand temps que Terre-Neuve s'assoie avec ses voisins (Québec, Nouveau-Brunswick et Ontario) pour trouver une nouvelle façon de produire et d'exporter l'électricité de la région. C'est d'ailleurs la vision esquissée cette fin de semaine par la Coalition avenir Québec.
Certes, avec les surplus et le faible prix de l'énergie, il ne s'agit pas du tout d'une urgence. Mais il n'est pas trop tôt pour commencer à y réfléchir. Ottawa ne devrait pas court-circuiter ces initiatives.
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