Jean Charest est sorti de son mutisme en confirmant au Devoir qu’il songe bel et bien à faire un retour sur la scène politique fédérale et à se porter candidat à la succession d’Andrew Scheer. Mais dans les rangs conservateurs, les ambitions de l’ancien premier ministre québécois ont été accueillies froidement.
La nouvelle avait secoué l’arène politique mercredi, lorsque Radio-Canada a cité des sources confidentielles rapportant que M. Charest étudiait l’idée de briguer la chefferie du Parti conservateur du Canada. « L’information est vraie que je suis en train de considérer » la question, a affirmé Jean Charest au Devoir jeudi, avant de couper court à la conversation sur son avenir politique.
La réflexion de l’ancien premier ministre libéral ne semble pas l’avoir encore mené à solliciter les appuis de conservateurs québécois. Plusieurs sources consultées par Le Devoir n’avaient reçu aucun appel de la part de M. Charest ou de membres de son entourage.
En revanche, l’ancien ministre Peter MacKay, les députés ontariens Erin O’Toole et Pierre Poilievre ainsi que l’ancien sénateur Michael Fortier ont quant à eux déjà contacté des membres du caucus conservateur depuis une semaine afin de sonder leurs appuis, selon ce qu’a appris Le Devoir.
Ce gars-là a été préparé pour être premier ministre du Canada. L’aventure du Québec, il y a consenti, il s’est donné corps et âme. Mais dans le fond, son ambition, tout le long de sa carrière politique depuis qu’il avait 24 ans, c’était d’être premier ministre du Canada.
Tour à tour, des conservateurs québécois ont observé que, malgré ses talents de politicien et son expérience, Jean Charest ne serait pas pour autant accueilli en sauveur par les militants. « Ce n’est pas bien accueilli à l’interne », a dit une source.
D’abord, aux yeux de la famille conservatrice, M. Charest est un libéral. Et la base militante du parti ne vote pas libéral sur la scène provinciale au Québec, mais pour la Coalition avenir Québec ou auparavant pour l’Action démocratique du Québec.
Les prises de position politiques de l’ancien premier ministre en ont en outre dérangé plusieurs : sa défense du registre des armes à feu ou encore son appui à une taxe carbone, notamment. Lorsqu’il était à la tête du gouvernement québécois, M. Charest a par ailleurs critiqué de nombreuses politiques du gouvernement conservateur fédéral. « M. Charest a passé la campagne de 2008 à faire campagne contre nous, contre Stephen Harper », déplore une source conservatrice.
« Son chemin pour devenir chef, s’il se lance, il va trouver ça dur. Il y a beaucoup de matériel possible à dénicher pour ses adversaires », observe cette personne.
Sans compter que l’enquête Mâchurer sur le financement du Parti libéral du Québec a entaché sa réputation, note un autre conservateur. Cette enquête, qui est toujours en cours, est menée par l’Unité permanente anticorruption (UPAC). M. Charest ne fait toutefois pas l’objet d’accusations.
Tous ceux qui l’ont côtoyé, à Ottawa comme à Québec, reconnaissent que Jean Charest a toujours rêvé d’être premier ministre du Canada, et non seulement du Québec. Ses obligations familiales l’auraient retenu.
« Ce gars-là a été préparé pour être premier ministre du Canada. L’aventure du Québec, il y a consenti, il s’est donné corps et âme. Mais dans le fond, son ambition, tout le long de sa carrière politique depuis qu’il avait 24 ans, c’était d’être premier ministre du Canada », a affirmé l’ancien ministre libéral Jacques Dupuis.
Un conservateur à Ottawa raconte que M. Charest n’a jamais cessé d’envoyer des cartes de Noël aux élus fédéraux de son ancienne famille. « C’est stratégique. Il n’a jamais caché que c’était un rêve d’enfance d’être premier ministre du Canada. »
Tournée des appels
Andrew Scheer a annoncé sa démission il n’y a qu’une semaine, mais déjà les aspirants candidats à sa succession multiplient leurs appels. Tout comme les conservateurs qui se cherchent un nouveau poulain.
Le député Gérard Deltell explique que c’est pour cette raison qu’il songe cette fois-ci à se porter candidat à la chefferie — après avoir passé son tour en 2017. « Depuis quatre ans, j’ai plus d’expérience politique nationale, canadienne, et dans cette réalité je sens qu’il y a des appuis, a-t-il affirmé au Devoir. Je ne suis pas rendu à l’étape de dire “j’y vais” ou “je n’y vais pas”. Mais si les indicateurs n’étaient pas positifs, je ne poursuivrais pas ma réflexion. »
M. Charest et M. Deltell ont été de farouches adversaires politiques dans leurs anciennes vies. L’ex-premier ministre avait obtenu des excuses de M. Deltell, alors chef de l’ADQ, qui l’avait qualifié de « parrain du Parti libéral ». M. Deltell assure aujourd’hui que leur relation est « excellente ». Toutefois, il ne nie pas qu’une potentielle candidature de M. Charest pourrait influencer sa décision, s’il sent qu’il perdrait trop d’appuis au profit de son ancien rival. « Chaque candidature, quelle qu’elle soit, a une influence, bien entendu. […] Mais pas plus celle-ci que d’autres candidatures. »
L’ancien ministre fédéral et ex-chef du Parti progressiste-conservateur Peter MacKay n’est quant à lui pas content, selon nos sources, de la possible candidature de Jean Charest. Car les deux hommes ont un profil politique trop semblable.
M. MacKay courtise déjà les appuis. Il était à la fête de Noël des conservateurs québécois mercredi soir. L’un des membres du caucus lui a demandé s’il songeait sérieusement à se porter candidat. « Oui », lui a-t-il répondu. Le député de la région d’Ottawa, Pierre Poilievre, était aussi de la soirée.
Plusieurs conservateurs du Québec estiment toutefois que le niveau de français de Peter MacKay n’est pas à la hauteur. Tout comme celui d’Erin O’Toole et de l’ancienne cheffe intérimaire Rona Ambrose, qui songe aussi à faire le saut dans la course.
« Il est important que la course au leadership du Parti conservateur ne soit pas utilisée comme un cours d’immersion en français », a dit l’une de nos sources.
Le directeur adjoint des communications d’Andrew Scheer, Rodolphe Husny, qui a aussi travaillé pour l’ancien ministre du Commerce international Ed Fast, songe aussi « sérieusement » à briguer la chefferie.
Le Parti conservateur n’a pas encore déterminé de date pour le lancement de la course, ni les modalités pour y participer. L’ancien premier ministre de la Saskatchewan Brad Wall et le fils de l’ancien premier ministre Brian Mulroney, Mark Mulroney, ont tous deux annoncé qu’ils ne seront pas candidats.