Le texte suivant est cosigné par Normand Baillargeon, Éric Bédard, Marc Chevrier, Marie-Éva De Villers, Anne-Catherine Lafaille et Mathieu-Robert Sauvé membres du Collectif pour une éducation de qualité.
Sous le titre: « Évaluation de l'application du Programme de formation de l'école québécoise- enseignement primaire », un rapport d'évaluation du renouveau pédagogique vient d'être rendu public au ministère de l'Éducation, du Loisir et des Sports (MELS). Il s'agit d'un rapport préliminaire soumis à la Table de pilotage du renouveau pédagogique, laquelle en a tiré douze recommandations.
Ce rapport, qui nous assure que ce qui est noir est blanc et que ce qui est minuscule est gigantesque, est un monument érigé à la novlangue et pourrait être signé par Ubu.
Pourtant, l'écran de fumée des euphémismes, des occultations et des biais ne peut cacher au regard de quiconque prendra le temps de lire attentivement ces pages ce qui s'y donne à voir, à savoir que les résultats scolaires des enfants du Québec chutent dramatiquement et que ces chutes sont plus marquées encore pour les enfants que la réforme ambitionnait précisément d'aider- les décrocheurs et les élèves en difficulté.
Nous sommes quelques-uns parmi les signataires de la présente lettre, qui avions prédit que tels seraient précisément les effets de la réforme. Nous n'en tirons pourtant aucune fierté et les sentiments qui dominent en nous en ce moment sont la tristesse et la consternation.
Révélations occultées
La tristesse d'abord, puisque comme tous ceux qui aiment l'éducation et qui se préoccupent du destin de nos enfants- de tous nos enfants, mais plus particulièrement encore des enfants pauvres, démunis, ou en difficulté- nous sommes profondément blessés du peu de cas qui est fait de leur sort, de la légèreté et même de la malhonnêteté avec lesquelles ont été présentés les données les concernant. Ce rapport donne en effet, systématiquement, une vision biaisée de la réalité, biaisée en faveur du point de vue favorable à la réforme des fonctionnaires du ministère qui l'ont imposée, des chercheurs qui ont contribué à l'implanter, des universitaires qui l'ont pensée et des administrateurs scolaires qui l'ont vantée à leurs troupes. Écrans de fumée, jargons, sophismes: les procédés utilisés pour ce faire dans ce texte sont si énormes qu'il pourra désormais servir de document à l'étude dans des cours de rhétorique, de pensée critique ou de propagande. (...)
Mais nous ressentons aussi aujourd'hui une profonde consternation. C'est que la conclusion raisonnable minimale à tirer de ce rapport serait de mettre un temps d'arrêt à ce que nous avons entrepris, de manière à nous donner collectivement un temps de réflexion. Il s'agirait notamment de permettre à des personnes et à des instances non partisanes de décider, sur les faits crédibles rassemblés ici ou ailleurs par des recherches sérieuses et fiables, si cette réforme a, logiquement, des chances de donner les résultats escomptés; et aussi de se prononcer sur la désidérabilité de ceux-ci. Bref: il nous faudrait aujourd'hui repenser tout à la fois les fondements et les finalités que propose notre renouveau pédagogique.
Or c'est tout autre chose que tirent des données à leur disposition les membres de la Table de pilotage. Selon eux, il faut au contraire continuer et aller de l'avant. La situation est la suivante. On ne sait pas clairement où on va; on a d'excellentes raisons de penser qu'on n'a pas le bon véhicule; mais, comme on nous l'a savamment expliqué le ministre en se faisant l'écho de la position de la Table de pilotage, il suffira de faire quelques virages pour que tout s'arrange.
Ubu règne. Il est roi. Il a gagné.
Mépris des enseignants
Cette réforme, comme toute réforme, ne se fera pas sans les enseignantes et enseignants, lesquels sont fort bien placés pour en décrire les effets. Or justement: ils et elles ont vu; ils et elles ont parlé. Mais on n'a guère tenu compte de leurs conclusions. Et l'ultime sophisme, qu'on commence déjà à nous servir ici et là, sera de dire que c'est de leur faute si le renouveau pédagogique ne donne pas les résultats attendus. Les problèmes actuels de l'école tiennent pour une large part à ceux qui la pensent: mais comme ils monopolisent le discours et les ressources du capital symbolique et financier, ils vont nous assurer que les responsables sont ceux qui la font.
Devant tout cela on croit rêver. Ou plutôt cauchemarder, puisque ce rapport et ces recommandations rappellent irrésistiblement ceux que signaient les apparatchiks du Parti communiste pour vanter la hausse de la productivité de l'agriculture soviétique au moment même où chacun pouvait constater qu'on manquait de tout.
Pour le bien des enfants, nous en sommes convaincus, un temps d'arrêt s'impose. Nous le réclamons donc en leur nom. Nous invitons tous ceux qui ont des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, un cerveau pour penser et un coeur pour sentir à se joindre à nous pour le réclamer. Et nous demandons aux syndicats d'enseignants, qui ont eu le courage et la lucidité de se distancer de cette réforme et de ce rapport pitoyables, de s'engager de toutes leurs forces dans ce combat.
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