T'es belle pour une Noire

Dans l'affaire Shane Doan, la majorité «Canadian» a réagi comme je l'avais fait sur le coup. Sans réfléchir au racisme profond caché dans les propos de Doan.

Quand le sport devient politique

Dans une autre vie, j'avais une amie haïtienne. Un soir, une fille bien intentionnée lui a dit pour la complimenter : «T'es vraiment belle pour une Noire».
Sur le coup, je n'ai pas réagi. J'ai rien vu. C'est normal, je suis Blanc. Mais «l'amie», elle, était livide. Elle venait de subir la plus perverse des formes de racisme. Celui qui est inconscient, celui que le majoritaire ne voit pas. Ce que ça voulait dire, c'était que les critères de la beauté étaient définis par la majorité blanche et selon les caractéristiques des Blancs. Pour être belle, valait mieux avoir le nez droit, les lèvres plus fines (quoique avec les affreuses chirurgies), les yeux pâles et, surtout, le teint rosé. Sinon, même si on avait les yeux foncés, le nez un peu plus épaté et les lèvres pulpeuses, on pouvait «quand même» être jolie. Si les traits n'étaient pas trop «noirs».
Dans l'affaire Shane Doan, la majorité «Canadian» a réagi comme je l'avais fait sur le coup. Sans réfléchir au racisme profond caché dans les propos de Doan.
Admettons, pour les besoins de la cause, que Shane Doan n'a jamais dit «Fucking Frenchman, you did a good job !» même si Michel Cormier l'a affirmé sous serment en précisant que Doan était à moins d'un pied de lui quand il a lancé l'insulte.
Admettons qu'on s'en tienne à deux autres sources. D'abord Colin Campbell qui a déclaré à mon confrère Marc De Foy : «Doan a reconnu avoir fait référence à la présence de quatre officiels francophones ce soir-là.»
Selon Campbell, le capitaine des Coyotes ne comprenait pas que quatre officiels québécois pouvaient être en service pour un match du Canadien.
Exemple parfait du pire des racismes. Le plus pervers et le plus profond parce qu'inconscient. Ce que Doan a expliqué, selon Campbell, c'est que quatre officiels dûment embauchés et accrédités par la Ligue nationale de hokey ne pouvaient pas rester professionnels et faire leur travail dans un match disputé à Montréal et impliquant le Canadien. Parce qu'ils étaient francophones. Donc, trop émotifs, trop passionnés, trop faibles pour résister à la tentation d'aider les minoritaires, je présume.
Le même Doan a-t-il déjà songé que pendant 75 ans les joueurs francophones du Canadien ont affronté les Maple Leafs de Toronto, à Toronto, avec trois ou quatre officiels canadiens-anglais ? Et que personne n'a même pensé qu'ils pouvaient être biaisés à cause de leur origine ou de leur langue. Ils étaient des pros, c'est tout.
Par ailleurs, Daniel Brière a donné une autre version des propos de Doan. Selon Brière, Doan lui aurait avoué qu'il avait dit : «À quoi peut-on s'attendre d'autre, avec quatre arbitres francophones à Montréal ?»
Born Again Christian, Doan n'aurait jamais employé le mot «fuck». Big deal. Le racisme est encore plus sournois et plus dégueulasse dans son explication : «À quoi peut-on s'attendre d'autre, avec quatre singes poilus dans une cage ?»
Ce qu'il veut dire, c'est que quatre francophones ne peuvent faire leur métier, ne peuvent exercer un devoir de réserve comme il se doit. Parce qu'ils ne sont pas de la classe supérieure des arbitres anglophones du reste du pays qui eux évidemment peuvent être quatre à Toronto ou Ottawa pour un match du Canadien.
Ne faites que réfléchir. Pas plus. Pesez soigneusement ce que sous-entendent les tentatives d'explication de Shane Doan. Comme s'il avait dit : «T'es pas mal belle pour une Noire. Ou vous êtes des pas pires arbitres pour des francophones».
Des générations ont subi toutes les formes de racisme en Amérique. On ne peut pas demander aux majoritaires de faire l'effort de traverser de l'autre côté de la barrière. C'est trop demander.
Mais au moins, plusieurs joueurs de la Ligue nationale auront acquis quelques éléments de politesse dans cette histoire. Le prochain qui sera tenté d'avoir des propos racistes va y penser deux fois.
Ce fut une semaine de tempête. Le Globe a même qualifié votre humble chroniqueur de «souverainiste». Grosse insulte ! Pensez-vous que j'ai déjà essayé d'insulter Denis Coderre ou André Pratte en les traitant de «fédéralistes». Ils ont le droit et souvent j'admire les arguments qu'ils emploient et la passion qu'ils mettent à défendre leurs points de vue. Mais encore là, c'est la tentation du majoritaire d'insulter celui qui n'a pas sa couleur de peau ou la même langue ou les mêmes opinions.
Vendredi, j'ai eu une longue conversation avec Jack Layton, le chef du NPD. M. Layton a grandi à Hudson. C'est un Québécois. Il s'est fait brasser la cage par les médias anglais parce qu'il a osé poser quelques questions sur le comportement de Shane Doan et de Hockey Canada. Mais M. Layton est plus sensibilisé que d'autres aux différences : «À Hudson, j'ai passé ma jeunesse à jouer au hockey avec ou contre des Québécois francophones. Souvent, on s'insultait sur la patinoire. Heureusement, le hockey a permis de mieux se connaître. Mais il reste encore énormément de chemin à faire pour que ces insultes et ce qu'elles sous-tendent en viennent à disparaître. Il faut être vigilant et intervenir. C'est notre devoir comme politicien d'intervenir dans tous les débats de notre société», m'a dit M. Layton.
M. Layton est d'autant plus sensible à tout racisme larvé que son épouse est d'origine chinoise. On imagine les mauvaises blagues
Il reste maintenant le cas de Michel Cormier. Dans mes années de prof de latin et de grec, il m'est arrivé de faire lire à mes élèves la fable de La Fontaine Les Animaux malades de la peste.
En gros, une épidémie de peste ravage le monde. Ils n'en mouraient pas tous mais tous étaient frappés. Les animaux se sont réunis et se sont dit qu'il devait y avoir un coupable parmi eux qui avait provoqué la colère des dieux.
Le lion a confessé avoir mangé quelques bergers le tigre aussi
Je résume de mémoire mais bref, tous les animaux avaient quelque chose de grave à se faire pardonner. Mais ils étaient puissants et forts.
À la fin, le pauvre âne s'avance : «Il m'est arrivé, la tentation, l'herbe tendre et quelque diable me poussant, de tondre le gazon la largeur de ma langue.»
Tout de suite, tous les puissants et forts se sont rués sur lui, ce pelé et ce galeux à l'origine de tous leurs maux
L'âne a donc été sacrifié. Et le fabuliste de conclure : «Selon que vous serez riche ou misérable, les jugements de cour vous rendront innocent ou coupable».
Michel Cormier n'est pas puissant devant Hockey Canada, la Ligue nationale de hockey et Colin Campbell.
La tentation de sacrifier l'âne va être très forte.
«Nous allons veiller sur ce cas. Ils n'oseront pas le congédier. Le scandale serait trop énorme», m'a dit M. Layton.
Gilles Duceppe est lui aussi conscient de ce danger. J'espère que Stéphane Dion, qui doit quand même faire la différence entre un puck et une balle de golf, pense la même chose.
PS - Pour Jeffrey Simpson du Globe. Celui qui, le premier, s'est porté à la défense des quatre officiels québécois est Denis Coderre. Ça doit être un séparatiste !!!
RePS - L'affaire Doan est suspendue jusqu'au procès impliquant Denis Coderre et le grand héros canadien. J'ai hâte de voir Colin Campbell et Daniel Brière dans la boîte des témoins.
ReRePS - Trois buts et un téléphone de Stephen Harper, c'est quand même quelque chose !


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