C’est à Pierre Elliott Trudeau que nous devons les premiers accrochages sérieux de Radio-Canada avec Ottawa. C’est quand, selon lui, Radio-Canada est devenue un « formidable nid de séparatisses » qu’il a lancé ses premières menaces concernant la grande maison. Il a commencé par affirmer qu’il allait mettre la clé sous la porte et qu’il allait afficher des vases chinois à l’antenne pour fermer cette boîte qui le dérangeait vraiment et sur laquelle, en fait, il n’avait aucune autorité. Comme dans d’autres pays, la radio et la télévision publiques au Canada sont protégées des interventions politiques quant à leur contenu par leur loi constituante. La BBC de Londres est toujours un bon exemple, alors qu’en France, il est connu que la radiotélévision d’État n’a jamais réussi à repousser les interventions et les nominations politiques sur ses contenus.
C’est en fait vers 1975 que l’entreprise de destruction sournoise, à laquelle nous assistons toujours, a vraiment commencé. Mine de rien, quelqu’un quelque part a conçu l’idée d’étouffer doucement l’ennemi appelé Radio-Canada, sans avoir l’air d’y toucher, en entreprenant de diminuer un peu à la fois, chaque année, la quantité d’air dont la radio et la télévision ont besoin pour vivre. Sous prétexte de manque d’argent, on a tout doucement asséché l’esprit créatif de Radio-Canada en diminuant « le gras » dans la facture totale, décision que toute la production a acceptée, sans rechigner, dans un effort de coûter moins cher tout en maintenant la qualité et l’audace qui faisaient l’honneur de la maison.
La direction elle-même s’est pliée de bonne grâce à ces coupes, estimant qu’il était de son devoir de faire aussi bien avec moins et faisant confiance à tous les artisans pour se montrer encore plus inventifs, surtout avec moins d’argent.
Pierre Trudeau, pendant toutes ses années en politique, n’a jamais renoncé à saigner Radio-Canada chaque fois un peu plus. Il n’aurait plus à menacer de fermer Radio-Canada, il n’avait qu’à l’affamer. La recette était simple et les grands patrons, au lieu de dénoncer l’entreprise qui était évidente, ont choisi d’accepter la situation comme un défi personnel : faire fonctionner Radio-Canada sans avoir l’argent qu’il faut pour le faire et en remplissant les trous partout avec souvent n’importe quoi juste pour prouver qu’on peut y arriver.
Ils ont gagné, diront certains. Grâce à eux, la maison est toujours ouverte. Mais à quel prix ? Ils auront finalement été les artisans de leur propre soumission et de la soumission de la radio et de la télévision publiques au Québec. Si on glisse là-dedans l’obligation qui leur a été faite de sauver en même temps le Canada, on finira par penser que tout ça est bien triste… ou bien inutile, c’est selon.
Les gouvernements, règle générale, n’aiment pas beaucoup les radios ou les télévisions qui réfléchissent, débattent, posent des questions et trouvent des réponses. Ils ont un faible pour celles qui sont gueulardes, souvent de mauvais goût et où les élus peuvent dire ce qu’ils veulent sans être contestés. Ça existe. On les trouve dans le privé, propriété de quelques-uns qui en tirent de bons profits.
Il sera toujours plus facile pour un gouvernement de contrôler une télévision publique par les compressions budgétaires que par des interventions directes dans le contenu. Ce serait vite intolérable parce que les citoyens ont raison de penser que quand on dit télévision publique, on reconnaît qu’ils en sont, en fait, les seuls propriétaires.
La radiotélévision publique est-elle libre?
On aime le croire. Mais en fait, c’est faux. Il faut réaliser que la moindre allusion à quelque chose qui aurait été dit ou montré concernant un dossier politique du parti au pouvoir risquerait de justifier de nouvelles coupes ou de nouvelles mises à pied dans les mois qui suivraient. Ce qui amène, en général, une autocensure de la part de ceux et celles qui fabriquent le contenu des émissions et qui finit par museler les animateurs et les journalistes. Tout cela fait aussi mal à la liberté d’expression qu’une intervention directe.
Quant à la puissance des commanditaires alors que l’argent manque partout pour la production, il faut bien en parler. Autrefois, Radio-Canada refusait parfois des commandites parce que la chose qu’on voulait vendre était de mauvais goût ou n’avait pas la qualité requise, ou parlait un mauvais français. Nous n’en sommes plus là. On peut annoncer n’importe quoi, n’importe comment, à condition de payer le prix demandé par la grande maison.
Le miracle ? C’est que malgré tout ça, malgré les difficultés qui ne cessent de s’accumuler sur la production, on arrive encore, parfois, à produire des choses exceptionnelles. C’est ça le miracle. Heureusement. Mais Stephen Harper va continuer à couper. À moins qu’il ne décide de vendre à l’entreprise privée. Il en est bien capable.
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