Houellebecq est-il raciste, antimusulman, fasciste? L’accusation est tombée, sans appel, à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage Soumission. En quelques jours, ce roman s’est trouvé inscrit à l’Index comme au temps de l’Inquisition, l’auteur jeté sur les bûchers de la Communication, son nom excommunié de la République médiatique. Fallait-il que le roman touche à des peurs et à des non-dits pour que cet auteur adulé, d’un coup devienne pestiféré?
Qu’imagine Houellebecq dans ce conte voltairien mais faussement candide ? Un scénario de politique-fiction incongru et improbable dont, selon la formule consacrée, la ressemblance avec des événements ou des personnages réels ne serait que pure coïncidence !
Qu’on en juge.
Le décor? des cités «chaudes», des islamistes qui ont les moyens de faire régner l’ordre, une extrême droite identitaire qui rêve d’une guerre civile modèle Saint Barthelemy, des journalistes de centre gauche qui répètent l’aveuglement des Troyens!
La perspective? Une victoire électorale du Front national devient tout à fait probable.
Le constat? Un parti de gauche dont la mouvance communautariste l’a emporté sur sa mouvance laïque parvient à un accord avec la «Fraternité musulmane» dont le programme politique semble modéré au regard de celui des intégristes échevelés. Un brillant universitaire, bientôt ministre, justifie au regard de la spiritualité de l’islam, des réformes qui vont constituer pour l’université, pour les femmes, pour la démocratie et bien sûr pour la laïcité, autant de terribles régressions. C’en est terminé de la république laïque!
On le voit, un scénario de l’apocalypse qui joue des peurs, du déni des réalités, des numéros de séduction pour récupérer «le vote musulman» et aboutir finalement à faire de la France une république islamique ! L’hypothèse la plus probable n’est pourtant pas celle d’une prise de pouvoir par un parti musulman qui se constituerait sur le modèle de la démocratie chrétienne - au demeurant pas toujours si démocrate -, mais celle d’une réaction populiste, des pans entiers de l’électorat populaire basculant dans le vote d’extrême droite. Élection après élection, le balancier de la politique semble s’orienter en ce sens.
Houellebecq est-il pour autant le chantre de la haine de l’islam? Un «islamophobe» comme ils disent? Ou bien, est-t-il un caricaturiste qui interpelle, non la spiritualité d’une foi, mais sa représentation imaginaire du monde, son organisation sociale, familiale et politique, l’ordre du monde, que des porte-parole de cette religion entendent imposer aux femmes et aux hommes, au demeurant comme tous les monothéismes avant leur sécularisation ?
S’agit-il de religion ou de politique lorsque l’ayatollah Khomeini proclamait : «Si l’islam n’est pas politique, il n’est rien»? S’agit-il de religion ou de dictature lorsqu’il est question d’absolue soumission de la femme à l’homme? À s’interdire ces questions, on se condamne à refuser tout lien entre l’Église et les Croisades ou les bûchers de l’Inquisition. Donner leur nom aux choses est-il en soi un acte coupable?
Questions aussi impertinentes que les dessins de nos amis de Charlie, morts d’avoir défendu la liberté de conscience et la laïcité. Sans lien avec la réalité? On peut aimer ou non le roman de Houellebecq, les personnages qui portent nos lâchetés avec insouciance, le style, comme on peut aimer ou non l’humour grinçant, la virulence des caricatures de Charlie. Mais le débat sur la forme ne doit pas interdire les questions sur le fond. Encore une fois, le problème, ce n’est pas l’huile, c’est le feu.
Houellebecq, lorsqu’il met le point final à son roman, sait vraisemblablement qu’il va être accueilli par une volée de bois vert. Il anticipe et se paye les «islamo-gauchistes» : «une tentative désespérée de marxistes décomposés à la recherche d’une classe révolutionnaire perdue, s’accrochant aux forces montantes de l’islam pour se hisser hors des poubelles de l’histoire». Mais il n’imagine pas que la violence barbare de janvier va s’abattre sur le pays et que les «je ne suis pas Charlie» vont s’organiser contre son livre.
Houellebecq aborde aussi d’autres thèmes, non sans lien avec la déchirure sociale et culturelle : la question de la transmission, la perte du père symbolique, le rôle de l’intellectuel en France, qui «n’avait pas à être responsable, ce n’était pas dans sa nature».
On le voit, un roman, un conte, une farce, une satire même, tout au plus une sotie, qui n’a rien à voir avec l’histoire vraie, mais fonctionne en miroir d’une désagrégation sociale. Et dont on n’aurait probablement jamais autant parlé s’il n’avait été promis aux flammes de l’enfer.
Patrick Kessel est président du Comité Laïcité République en France.
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