[Courriel adressé le 4 mars 2004 à Marie-France Bazzo (indicatif@radio-canada.ca) et auquel on n'a ni répondu ni, à ma connaissance, donné suite. — Richard Gervais, 8 mars 2007]
Madame Marie-France Bazzo
Émission « Indicatif présent »
Radio-Canada
Madame,
Il est journalistiquement incompréhensible que, sur la crise rwandaise des années 1990 et ses suites, vous ne donniez la parole à Robin Philpot, l'auteur du récent essai « Ça ne s'est pas passé comme ça à Kigali » (Les Intouchables, 2003). Comment expliquer qu'au moins deux « Indicatif présent » aient pu porter sur le Rwanda et prêter le micro au général Roméo Dallaire sans trouver le moyen d'interviewer ce journaliste-là ? Ils ne courent quand même pas les rues les journalistes d'ici qui ont fait enquête sur le sujet et y ont consacré tout un essai. Robin Philpot est le seul, à ma connaissance, et vos recherchistes auraient dû courir après pour obtenir son point de vue. Cela, d'autant plus qu'il arrive à des conclusions critiques qui permettent de relativiser le témoignage de l'ancien responsable militaire de la MINUAR et lui adresse des questions topiques tout à fait d'intérêt public.
Comme c'est là, sur le Rwanda, votre émission a servi de caisse de résonance à une seule des parties. Comme dirait un chef connu, même qu'il le répéterait sans doute (!) : « audi alteram partem ». Je comprends qu'« Indicatif présent » n'est pas un tribunal, ni vous un juge, mais l'information du public a ses exigences. Quand on se mêle d'un sujet brûlant comme le rwandais et que s'y affrontent manifestement plus d'un point de vue, quand l'affrontement public de ces points de vue constitue lui-même une réalité d'intérêt public, il n'est pas correct de toujours inviter en ondes le même point de vue. Cela, d'autant moins qu'on se permet pourtant de stigmatiser en onde ce point de vue que l'on tait en l'accablant d'un mot assassin du genre « négationnisme » ou « révisionnisme ». « Indicatif présent » ne peut certainement pas alléguer l'intérêt public, car « Ça ne s'est pas passé comme ça à Kigali » est autant d'intérêt public que « J'ai serré la main du Diable ». Votre émission n'a non plus même pas l'excuse de la « sensation », car l'enquête de Robin Philpot est au moins aussi « sensationnelle » que le témoignage de Roméo Dallaire.
Personnellement, j'ai lu Philpot et c'est une expérience que je recommande à tout le monde. Ça aide à sortir de la simple indignation morale relativement au drame rwandais, indignation que nous ont plantée dans l'âme les cadavres télévisés qui nous en parvenaient pour ainsi dire en direct, légendés par de lointains services d'information. Ça évite de se laisser prendre au piège des récits certes prenants, mais réducteurs comme le roman-reportage de Gil Courtemanche, Un dimanche à la piscine à Kigali ou la bédé de Stassen, Déogratias.
On n'éclaire pas les vivants à pleurer les morts, et c'est de lumières qu'on a besoin sur le Rwanda, notamment politiques, pas de déplorations éthiques sur la méchanceté humaine. Je veux bien que Roméo Dallaire croit en Dieu depuis qu'il a « serré la main du Diable » en Afrique, comme il l'avouait à CBC l'autre jour. Mais bon, ça va. Il y en a quand même d'autres que lui pour instruire sur la question rwandaise et il faudrait aussi les entendre. Il faudrait surtout ne pas décider d'avance de les ignorer en se permettant néanmoins de leur jeter l'anathème ou de se débarrasser sans plus de leur opinion en la taxant de « négationnisme ».
Avec mes salutations.
Richard Gervais
Lettre à Marie-France Bazzo
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