Sortie de secours

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Le plus dur pour Lisée, c'est de découvrir qu'il n'est pas le messie attendu

Un jour, au caucus des députés du Parti québécois, Pascal Bérubé a lancé, mi-figue, mi-raisin, qu'il ne connaissait pas un seul Québécois qui donnerait une heure de son temps à son collègue Jean-François Lisée, façon peu élogieuse de noter que ce dernier n'est pas très populaire.
La remarque a piqué Jean-François Lisée au vif, à tel point qu'il a repris, un peu comme pour défier son détracteur, l'idée de bénévoles lui donnant une heure de leur temps pour sa campagne à la direction du PQ.
Le député de Rosemont a donc profité de son passage à Tout le monde en parle, début novembre, pour annoncer qu'il se présentait à la succession de Pauline Marois, mais à une condition: obtenir l'engagement d'au moins 1000 Québécois à travailler au moins une heure à sa campagne.
Près de trois mois plus tard, Jean-François Lisée a atteint ce nombre symbolique jeudi, soit 24 heures avant d'annoncer qu'il se retirait de la course.
M. Lisée a insisté, hier dans son point de presse, pour dire qu'il avait tout en main (appuis, argent, idée, équipe) pour mener sa campagne, mais que la question n'était pas de savoir s'il pouvait y aller, mais plutôt s'il devait y aller. Devant l'impossibilité de gagner une course «terminée», selon lui, il a préféré jeter l'éponge.
Au PQ, plusieurs disent toutefois que la quête d'appuis était très ardue pour Jean-François Lisée et qu'il se dirigeait vers une humiliante défaite. M. Lisée, dit-on, sort beaucoup moins amoché en se retirant maintenant que s'il avait joué le jeu jusqu'à la fin. Autrement dit, il s'est trouvé une sortie de secours.
Il a pris soin hier de ne pas appuyer formellement Pierre Karl Péladeau, gardant ainsi toute latitude pour commenter la course et intervenir, de l'extérieur, sur les grands enjeux.
On n'a senti, par ailleurs, aucun enthousiasme dans le «constat lucide» de M. Lisée, selon qui PKP a déjà gagné la course. À la question «Croyez-vous que M. Péladeau» peut mener le Québec à l'indépendance, il s'est contenté de répondre qu'il respecte les militants qui le pensent. Et puis, il a ajouté: «Le Parti québécois veut vivre son «moment Pierre Karl Péladeau» jusqu'au bout», laissant entendre qu'il s'agit d'un trip passager, pas du tout rationnel et qui repose sur une irrésistible attirance pour la saveur du mois.
Le désistement de Jean-François Lisée ne change pas grand-chose à cette course qui semble, il est vrai, jouée d'avance. Il ne pourra, certes, intervenir directement dans les débats entre aspirants chefs, mais il ne se privera pas de le faire publiquement, sur son blogue, notamment. M. Lisée est un commentateur compulsif et il manie les images-chocs et les constats cinglants avec régularité et entrain, ce qui déplaît énormément à plusieurs de ses collègues.
La question, maintenant qu'il assistera des lignes de côté à la course à la direction, est de savoir quel est l'avenir de Jean-François Lisée au sein du PQ. Qui plus est, un PQ dirigé, comme il le dit lui-même, par Pierre Karl Péladeau.
Dans l'entourage de M. Péladeau, on le dit très fâché contre M. Lisée, qui a qualifié de «bombe à retardement» pour le PQ le fait que l'ex-patron de Québecor garde ses actions. «Pierre Karl était prêt à débattre du sujet, mais il n'a pas apprécié du tout que Lisée sorte publiquement, sans le prévenir, pour lui rentrer dedans comme il l'a fait.»
M. Lisée présente pratiquement la victoire prévisible de M. Péladeau comme une fatalité. Il ne se retire pas pour se rallier à un adversaire plus populaire ou meilleur que lui, mais bien parce qu'il constate qu'il ne peut rien faire pour empêcher cet adversaire de voguer jusqu'à la victoire.
Dans une entrée de blogue récente, Jean-François Lisée mettait d'ailleurs en garde les militants péquistes contre les «périls de l'optimisme». Dans ce texte, il rappelait qu'André Boisclair, lorsqu'il est devenu chef du PQ, était encore plus populaire que PKP, ce qui n'avait pas empêché le parti de subir une lourde défaite électorale. Dans ce blogue, Jean-François Lisée critiquait aussi l'empressement de PKP à vouloir tenir un troisième référendum alors que l'option bat de l'aile. Le sujet, n'en doutons pas, devrait revenir sur le tapis au cours de la course à la direction du PQ, que M. Lisée y soit ou pas.
Jacques Parizeau, pour qui Jean-François Lisée a déjà travaillé comme conseiller, disait parfois, à propos de ses critiques et de ses détracteurs, qu'il vaut mieux les avoir avec soi dans la tente pour qu'ils fassent pipi dehors, que de les mettre dehors de la tente et ainsi leur permettre de faire pipi dedans. Hors de la tente de la course à la direction, Jean-François Lisée aura encore plus de liberté de commenter puisqu'on ne pourra l'accuser d'attaquer un adversaire. D'autres resteraient sagement assis, mais ce n'est pas tellement le style du député de Rosemont. En tout cas, ce serait une première.
M. Lisée, hier, a revendiqué le droit de parler au «premier degré», soit de dire les choses telles qu'elles sont. Ses collègues députés n'apprécient toutefois pas ses sorties fréquentes. Ils ont encore dans la gorge sa déclaration de l'automne dernier à propos de la Charte de la laïcité présentée par le gouvernement Marois. M. Lisée avait alors déclaré qu'il aurait voté contre la charte dans sa version défendue par son gouvernement. Plusieurs députés et militants du PQ y ont vu un manque de solidarité flagrant et même, pire encore, une fabrication de M. Lisée visant à bien le faire paraître après la défaite électorale cinglante.


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