Editorial du « Monde ». Un an après le déclenchement du mouvement des « gilets jaunes », le gouvernement vit dans la hantise d’un nouvel embrasement social. La démonstration de force des personnels hospitaliers, jeudi 14 novembre, l’incite à annoncer sans tarder de nouvelles mesures pour tenter d’améliorer les carrières et compenser le sous-investissement de ces dernières années.
Ce que l’exécutif redoute par-dessus tout est une coalition des mécontents, le 5 décembre, à l’occasion de la mobilisation contre la réforme des retraites qui s’annonce forte, aussi bien à la RATP qu’à la SNCF.
Certes, la défense des régimes spéciaux de retraite n’est pas la cause la plus populaire, mais la crise existentielle que vivent un certain nombre de services publics, au premier rang desquels l’hôpital, le mécontentement latent d’un partie des Français qui se sentent déconsidérés et mal représentés, l’agitation dans les universités, l’envie d’en découdre d’un certain nombre d’opposants constituent pour l’exécutif un terreau d’autant plus dangereux que les organisations syndicales souffrent du même discrédit que les partis politiques. Elles ont du mal à encadrer la contestation. Elles aussi redoutent les débordements et craignent que la violence s’érige en mode d’action privilégié, après les quelque 17 milliards d’euros de mesures obtenus par le mouvement des « gilets jaunes ».
Qu’Emmanuel Macron se retrouve dans une telle situation, quelques mois seulement après avoir surmonté la plus grave crise de son quinquennat, interpelle sur sa situation. Soit le chef de l’Etat a un goût immodéré pour le risque, soit il s’est trompé d’analyse.
En avril, après avoir éteint l’incendie des « gilets jaunes », il a choisi de donner des gages à l’électorat qui l’a élu en 2017. Sa conviction était que, s’il cessait de « transformer » le pays, c’en serait fini du macronisme. Il s’est donc engagé dans la réforme des retraites en promettant de remplacer les 42 régimes existants par un régime universel par points. Chantier gigantesque qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait voulu ouvrir.
Parce que la réforme figurait parmi ses promesses de campagne, ses supporteurs assurent qu’elle a été validée par le suffrage universel lors de l’élection présidentielle de 2017. Mais deux ans et demi ont passé, le pouvoir s’est dévitalisé et, pour corriger l’arrogance du début de mandat, Emmanuel Macron a promis l’écoute et la concertation. Le résultat est que cette réforme flotte, aucun membre du gouvernement n’est capable d’en énoncer clairement les finalités, d’en préciser le contenu, ni de dire à quel rythme elle sera menée. Avant même que l’épreuve de force s’engage, l’exécutif apparaît sur la défensive, ce qui n’est pas la meilleure posture pour remporter la bataille.
Comme tous ses prédécesseurs, le président de la République a du mal à admettre qu’une secousse en cours de mandat puisse l’obliger à dévier de sa ligne initiale. Or, le mouvement des « gilets jaunes » a été plus qu’une secousse. Il a révélé l’impasse sociale dans laquelle se trouve la transition écologique, le manque de services publics sur une partie importante du territoire et le ressentiment sourd d’une partie des Français qui se sentent hors du jeu démocratique.
Tous ces signaux d’alarme plaidaient pour un positionnement beaucoup plus protecteur. Emmanuel Macron n’a pas voulu revêtir ce costume, le jugeant contraire à son destin de réformateur. La rue, une nouvelle fois, est tentée de se venger.