La crise que traverse le Bloc Québécois risque d’invalider le dicton qui veut que le ridicule ne tue pas. Car le Bloc pourrait bien ne pas se relever de cet étrange feuilleton où tout est grotesque. Selon le récit médiatique, tout tournerait autour de la personnalité de Martine Ouellet, qu’on présente, et on veut bien le croire, comme une cheffe aussi autoritaire que doctrinaire, écrasant ceux qui sont en désaccord avec elle. Contre Martine Ouellet se dresseraient des députés raisonnables, ne parvenant tout simplement plus à la tolérer, et on veut bien le croire aussi – plusieurs sont effectivement de grande valeur. Ce conflit des personnalités se doublerait d’un conflit idéologique entre deux tendances politiques ne prêtant pas au Bloc la même mission. La tendance Ouellet voudrait vouer le Bloc à la promotion exclusive de l’indépendance, alors que les démissionnaires souhaiteraient que le Bloc se consacre à la défense des intérêts du Québec. Ces gens et ces idées seraient à ce point inconciliables qu’ils seraient prêts à mener une lutte à finir risquant d’entrainer le Bloc avec eux, avec un air de Crédit social des derniers jours.
Peut-être aurait-on avantage à regarder les choses sous un autre angle et avec quelques nuances, pour peu qu’on se concentre sur l’essentiel, et qu’on laisse de côté un conflit d’égos qui nous rappelle que la politique révèle le meilleur et le pire de ceux qui s’y engagent. Y a-t-il une contradiction fondamentale entre la défense des intérêts du Québec et faire la promotion de la souveraineté? Bien sûr que non, pour peu que nos souverainistes d’Ottawa s’emploient à une critique du régime canadien, ce qu’ils n’ont pas toujours fait, en se contentant de faire le procès du gouvernement en place à Ottawa. À certains moments dans son histoire, le Bloc s’est même fait une fierté d’être une opposition parlementaire remarquablement intégré dans le jeu politique canadien, et soucieux de prendre en charge les intérêts de l’ensemble du pays, ce qui était un peu étrange, pour peu qu’on se rappelle sa mission d’abord et avant tout nationaliste. Mais il devrait être possible de défendre les intérêts du Québec tout en illustrant chaque fois comment le cadre fédéral est contradictoire avec ses intérêts vitaux. On appelle ça avoir une vision d’ensemble. Cela ne veut pas dire, par ailleurs, qu’on ne trouve pas chez les souverainistes une frange particulièrement activiste qui va même jusqu’à accuser de tiédeur indépendantiste ceux qui ne voient pas la politique exactement comme elle. Autour d’eux, ils ne veulent voir que des traîtres et se permettent souvent de faire de Lucien Bouchard le premier d’entre eux, ce qui est aussi bête qu’odieux.
Cela dit, les belles heures du Bloc sont derrière lui. Dans un contexte marqué par la dislocation de la question nationale, il ne retrouvera évidemment plus l’hégémonie sur l’électorat francophone. Ceux qui votent pour lui sont les électeurs les plus nationalistes, sensibles à la question nationale et globalement attachés à l’indépendance du Québec. En d’autres mots, ceux qui sont susceptibles de voter pour lui sont les souverainistes les plus convaincus, même s’il aurait pu profiter d’un contexte dégageant un espace spécifique pour le nationalisme québécois sur la scène fédérale. Il n’a aucun intérêt à dissimuler sa raison d’être. Mais on y revient, pour cela, il ne s’agit pas, pour lui, de mener une campagne publicitaire à temps plein pour l’indépendance aux Communes en multipliant les incantations idéologiques, mais de faire le procès du régime canadien et de ses fondements. Mais le Bloc, qui est souvent plus progressiste que nationaliste, rechigne souvent à se concentrer sur les thèmes qui pourrait justement révéler la contradiction profonde entre les intérêts vitaux du Québec et le maintien du lien fédéral. Ce problème ne date pas d’hier, on le précisera. Dans un monde normal, le Bloc ferait le procès du multiculturalisme canadien, de la politique d’immigration d’Ottawa, de l’anglicisation du Québec et du mauvais sort réservé aux francophones dans la fonction publique. Cela ne veut pas dire qu’il n’aborderait pas d’autres sujets, sous l’angle de l’intérêt national.
On ne saurait non plus négliger une chose: la décomposition du Bloc risque bien d’avoir des effets sur le Parti Québécois, qui ces temps-ci, semblait connaître le début d’un ressaisissement. Car ce sont les souverainistes dans leur ensemble qui ont l’air de clowns et d’amateurs. Pour ceux qui regardent la situation de loin, on dirait que les indépendantistes sont engagés dans une dynamique d’autodestruction. En ce moment, on se demande ouvertement si le Bloc survivra aux prochaines élections fédérales et si le PQ pourra conserver une vingtaine de députés. Les Québécois sont actuellement tentés de tourner la page souverainiste de leur histoire et on dirait bien que les souverainistes du Bloc cherchent à les encourager dans ce choix. Sont-ils conscients du mal qu’ils font à leur option? On pourrait en dire de même des excités qui cherchent à bloquer le retour de Jean-Martin Aussant en faisant semblant qu’ils ne savaient pas que son retour était imminent. Mais que seraient les souverainistes s’ils n’étaient pas occupés à faire les amateurs?