Encore une fois, nos plus grands efforts de dépassement devront se définir par la défensive. C’est un destin inhérent à notre condition singulière, à notre existence improbable sur le continent. Jamais notre différence et nos aspirations n’auront-elles dressé une si radicale altérité avec le Canada qui nous encarcane et avec le reste de l’Amérique pour qui nous sommes aussi bien une énigme qu’une pièce légère sur l’échiquier de l’énergie. C’est à l’échelle du continent et du monde que se définissent les enjeux de l’or noir et nous avons d’ores et déjà à nous y définir en tant qu’acteurs.
En ce sens, les dossiers du pipeline Énergie Est, du transport ferroviaire et maritime du pétrole sale représentent de réels défis existentiels pour notre peuple. C’est notre biotope qui est en jeu, le milieu que nous avons bâti, le territoire que nous avons peuplé qui apparaissent désormais comme des obstacles au développement du Canada.
Les Québécois ont encore beaucoup de mal à le comprendre et encore plus à l’admettre, mais nos choix de développement aussi bien que la réalisation de notre potentiel sont en complète contradiction avec ce qu’a choisi et ce que souhaite le Canada. Alors qu’il a depuis des décennies déployé des efforts constants pour éroder notre différence et oblitérer notre présence, voilà maintenant qu’il a entrepris littéralement de nous exproprier. C’est un coup de force d’une violence inouïe qui se déploie à bas bruit. Ottawa a fait alliance avec le grand capital pour passer outre à notre volonté démocratique, pour prendre le contrôle de notre territoire et nous imposer d’assumer les risques que la poursuite de ses intérêts fera peser sur notre population et nos ressources vitales.
Le Canada est devenu un pétroÉtat qui a choisi de se redéfinir radicalement sur un paradigme extractiviste. Exit la National Policy de Macdonald et ses ambitions de construire une économie complète d’un océan à l’autre. Le Canada mise désormais sur son statut de deuxième plus grande réserve pétrolière du monde et sur ses abondantes ressources minières pour définir et centrer son développement sur le prélèvement de la rente que lui procurent d’ores et déjà les exportations de pétrole et de minerais. Pour son plus grand malheur et nos plus grands défis, le Québec occupe une place névralgique sur le continent. Une place que ce modèle de développement définit comme un obstacle à abattre. En effet, le trésor énergétique canadian est enclavé. Il ne peut sortir ni par l’ouest où la résistance autochtone fait trembler l’État lui-même, ni par le sud où le refus d’autoriser le pipeline Keystone XL lui bloque l’accès aux raffineries et aux ports d’exportation. Les républicains ont beau dire qu’ils renverseront le veto du président Obama, la conjoncture reste plus qu’incertaine pour ce projet : d’une part parce que l’enclavement du pétrole sale maintient une pression à la baisse sur les prix et que les Américains en profitent à plein ; et d’autre part, parce que les risques inhérents au projet ne paraissent pas compenser les avantages puisque, au final, ce pétrole ne fera que transiter par les États-Unis. Les opposants américains font un raisonnement qui conforte celui qui sous-tend notre intérêt national : pourquoi prendre autant de risques pour si peu d’avantages directs ?
Il reste donc le Québec. C’est lui qui, au final, apparaît, du point de vue de la raison d’État canadian, le point le moins coûteux à enfoncer. Déjà, le cadre constitutionnel et juridique octroie au gouvernement les pleins pouvoirs pour imposer ses volontés. Cet ordre constitutionnel est conçu pour nous réduire à l’impuissance. Ceux et celles qui pensaient que la Constitution n’est pas une « vraie affaire » commencent à déchanter quand ils apprennent que Transcanada pipeline pourra faire à sa guise sur leurs propriétés. De fait, le Québec est totalement dépossédé de tout contrôle sur son territoire et sur les infrastructures de transport essentielles : la navigation fluviale et maritime, le chemin de fer, les ports, les aéroports. Le Canada n’en doute point : le Québec est sa chose. Et les voix se lèvent de plus en plus nombreuses pour plaider en faveur de la manière forte : « l’intérêt général du Canada », sa raison d’État et un consensus de plus en plus large parmi ses élites et sa population refusent que le Québec puisse opposer ses volontés et ses intérêts au développement du Canada. Il n’y a rien ni personne à respecter, rien à négocier. Le Canada s’estime dans son bon droit.
Malgré Lac-Mégantic, malgré les morts et le chagrin, la vérité c’est que des wagons-citernes il y en a et il y en aura de plus en plus. La vérité, c’est que les superpétroliers vont se rendre jusqu’à Sorel quoiqu’en disent les riverains, quelles que soient les inquiétudes au sujet du lac Saint-Pierre, ce joyau inestimable. La vérité, c’est que les promoteurs déferont des terres cultivées depuis des générations, saccageront les tourbières et menaceront les nappes phréatiques et les cours d’eau. La vérité, c’est qu’une logique de conquête implacable est d’ores et déjà déployée. La vérité, c’est que le Canada a désormais choisi de se montrer sans vergogne sous son vrai jour, de nous casser une fois pour toutes.
Voilà déjà plus de vingt ans que l’État canadien et la grande majorité de sa population considèrent avoir réglé le cas politique du Québec. Depuis 1995, tout a été mis en œuvre pour que plus jamais la Grande Peur ne se reproduise. La carte électorale le confirme à tout jamais, notre minorisation est consommée, définitive. Le dossier du pétrole fera avancer les choses d’un cran : l’État canadian ne vise plus à contenir les aspirations nationales et les velléités provinciales, il cherche désormais à soumettre l’État du Québec, à le forcer à s’aligner sur les volontés nationales définies à Ottawa, par Ottawa et les majorités électorales qui se forment sans nous. Et à le faire en s’assurant de la collaboration d’une élite québécoise qui ne reculera devant aucun bris de loyauté pour se tourner contre son peuple, contre ses intérêts vitaux. Le pétrole requiert que soit dénationalisé le gouvernement du Québec, réduit à n’être qu’une province consentante.
Et c’est précisément ce à quoi s’emploie le gouvernement libéral. Il a maintes fois acquiescé à la politique nationale de l’énergie. Ni Philippe Couillard ni ses ministres ne ratent une occasion de faire valoir leur consentement au fédéralisme pétrolifère. Pis encore, le plus provincial des premiers ministres nous fait honte en nous décrivant comme un peuple de quémandeurs ingrats, un peuple d’assistés qui vit aux crochets de l’Alberta par la grâce de la péréquation et qui devrait laisser souiller son territoire pour mieux se montrer reconnaissant. C’est une posture indigne et mensongère. Un argument de démagogue prêt à dénaturer non seulement les faits, mais aussi l’ordre juridique qu’il vénère pour tenter d’enrober sa démission. Cet homme ne peut mieux servir le Canada à qui va sa loyauté première.
Jamais le Canada n’a eu tant besoin d’un État du Québec faible, d’un gouvernement servile, prêt à tout pour prouver son allégeance et livrer ce qu’on attend de lui : une soumission complète et inconditionnelle aux intérêts supérieurs du Canada, au prix même des intérêts les plus fondamentaux du Québec. Et jamais il n’a pu compter sur une élite économique, médiatique et politique aussi acquise et décidée à consentir au statut de minoritaire. Des moyens faramineux sont déployés pour conduire une immense et omniprésente campagne de propagande pour arracher le consentement, pour en fabriquer des ersatz tout en multipliant les leurres et en séduisant les faux frères jurant la main sur le cœur qu’ils ne participent pas à l’encan silencieux où sont offert le Québec et son potentiel national. Il y a convergence des forces et des renoncements pour agiter les plus sombres résurgences de l’autodénigrement, de l’impuissance consentie et du fatalisme de la résignation pour un p’tit pain.
Nous sommes pourtant une des sociétés les mieux placées au monde pour nous affranchir du pétrole et réaliser notre indépendance énergétique. Nous avons sur le Canada et sur la plupart des sociétés du monde développé un avantage remarquable. Déjà, près de la moitié de l’énergie que nous consommons est d’origine renouvelable. Et nous jouissons de potentiels fabuleux dans tous les domaines des énergies renouvelables, nous possédons les compétences pour les mettre en valeur et nous détenons les capitaux pour les mettre en exploitation. Et nous laisserions compromettre ces atouts exceptionnels pour rester dans le Canada du pétrole sale ? Et nous accepterions de laisser son modèle de développement mettre en péril la vallée du Saint-Laurent au complet, fleuve, territoire, peuplement, eau potable, terres arables, etc. ? Et nous laisserions l’État canadian nous traiter en citoyens de deuxième ordre en avalisant les décisions de ne point nous livrer dans notre langue les informations touchant les plans des promoteurs ?
Et notre destin serait mieux assuré si nous nous laissions couler dans une minorisation engourdie ? Et nous serions un peuple mieux assuré de son développement en se faisant le paillasson des intérêts canadian ? Et nous serions sans ressort pour dire non ? Sans génie pour trouver les moyens de ne pas se faire complices d’un saccage aux conséquences planétaires ?
Les réponses fusent pourtant de tous les milieux. Nous n’allons pas nous laisser faire. Nous n’allons pas consentir. La mobilisation citoyenne est l’arme la plus puissante à opposer à la propagande. C’est aussi le moyen essentiel pour faire valoir notre intérêt national, notre volonté de vivre sur notre territoire comme nous l’entendons. Les pages qui suivent donnent des exemples, fournissent des matériaux de résistance, ouvrent des pistes de riposte. Il ne s’agira pas seulement de dire non, il faudra imaginer et créer un espace de riposte. Autant dire qu’il faudra imposer aux partis politiques une volonté populaire incontournable. La société québécoise a déjà commencé à se mettre en mouvement pour refuser l’ordre pétrolier. Elle est loin d’avoir résolu toutes ses contradictions à l’égard de la place des hydrocarbures dans l’organisation de la vie collective, mais des pistes commencent à se dessiner clairement. Il faudra beaucoup d’intelligence collective et une volonté plus forte que toute celle que nous avons rassemblée dans la survivance pour nous dresser contre les puissances en cause. Nous sommes engagés dans des eaux aussi tumultueuses que celles du Grand Fleuve.
Il ne faut point s’en laisser imposer par le déséquilibre des forces en présence. Il ne faut jamais oublier que c’est David qui a eu raison de Goliath. Il faut surtout avoir confiance dans ce que nous sommes et voulons être. Malgré les trahisons. Notre existence, notre histoire ont toujours été des victoires sur l’improbable. Nous allons tirer notre épingle du jeu. Mais il faudra pour ce faire nous affranchir très rapidement de la mentalité provinciale, des réflexes de minoritaires qui n’ont pas de point de vue propre sur le monde. Il faudra le faire vite, car nos adversaires misent sur le choc, sur la frappe rapide et tous azimuts. Nous en sommes capables.
Les mobilisations en cours donnent confiance. Nous n’avons pas bâti un peuplement aux qualités exceptionnelles dans la vallée du Saint-Laurent pour laisser filer quatre siècles d’efforts. Les nombreux appels au projet de société qui ont occupé le devant de la scène politique du dernier demi-siècle viennent de trouver un écho aussi fort qu’imprévu. Nous allons le construire et le conquérir, aussi bien en nous posant qu’en nous opposant. Et cela devra se faire de haute lutte. Comme il se doit. Car il n’y a pas d’autre moyen de se faire sujet de son Histoire.
Éditorial
Se faire sujet de son histoire
L’exceptionnel numéro de février-mars de L’Action Nationale sur l’enjeu pétrolier pour le Québec : «Nous n’allons pas nous laisser faire».
Robert Laplante173 articles
Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]
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