Ce billet a été écrit par Pierre Tircher, avec la collaboration de Julia Posca
Ces dernières semaines, vous avez certainement pu apercevoir les portes des succursales de la Société des alcools du Québec (SAQ) tapissées d’autocollants « On veut une bonne convention ». En effet, le SEMB-SAQ, le syndicat représentant les employés de la SAQ, est actuellement en négociation collective avec la direction de la société d’État québécoise, puisque sa convention collective est échue depuis le 31 mars 2017. Les négociations semblent relativement difficiles si l’on en croit la nouvelle affolante selon laquelle il y aurait eu menace de grève planant sur la fin de semaine de la Saint-Jean. Beaucoup d’incompréhension entoure cependant ce conflit de travail, qui implique des employés qui sont parfois dépeints comme des privilégiés au regard des salaires qu’ils touchent. Or, comme la SAQ est une entreprise publique, il est opportun de s’intéresser au conflit qui se déroule sous nos yeux.
Le vote de grève tenu il y a quelques semaines a été ratifié à 91% par les membres du syndicat. Pour comprendre cette quasi-unanimité en faveur du recours à ce moyen de pression, il faut exposer brièvement la situation actuelle des employés de la SAQ, particulièrement celle des employés à temps partiel qui représentent environ 70% de la main-d’œuvre de la SAQ. Contrairement à leurs collègues permanents, ils ne bénéficient pas de l’entièreté des avantages conférés par la convention collective, dont la sécurité d’emploi et un nombre d’heures assuré. À noter que l’accès à un emploi permanent est restreint par division géographique. La seule chance d’obtenir un tel poste est d’être l’employé comptant le plus d’ancienneté au moment où l’un des employés permanents démissionne, part à la retraite ou se fait licencier. Il faut en général attendre en moyenne de 12 à 14 ans pour obtenir un tel statut.
Certes, les salaires offerts par la SAQ sont compétitifs pour le secteur et au vu du niveau de compétences que l’obtention de tels emplois requiert. Par exemple, un poste d’entrée de commis offre un salaire horaire de 19,33$. Cependant, le salaire ne représente qu’une seule condition de travail, et ne justifie pas à lui seul la satisfaction, ou l’absence de satisfaction, liée à l’emploi. De fait, l’enjeu autour duquel se cristallise le plus de tension est le problème des horaires de travail. Pour comprendre cet enjeu, il faut s’imaginer être à la place d’un père de famille travaillant à temps partiel pour la SAQ depuis 4 ou 5 ans. De nombreuses obligations pèsent sur ses épaules, parmi lesquelles nourrir ses enfants, payer ses déplacements pour se rendre au travail ainsi que son loyer. Malgré cela, son statut d’employé à temps partiel ne lui donne pas accès aux assurances collectives offertes par la convention collective, et ne lui assure pas non plus un nombre minimal d’heures par semaine. Il peut donc se voir attribuer 28 heures une semaine et 10 heures celle d’après. Jusqu’à récemment, les horaires de travail n’étaient disponibles que trois jours à l’avance pour les employés à temps partiel, tandis que ceux qui indiquent leurs disponibilités peuvent être appelés le jour même pour aller travailler. Cette demande de flexibilité nuit immanquablement à la qualité de vie des employés et à leur capacité à organiser leurs finances ainsi que leur emploi du temps.
Pour faire face à cette précarité, de nombreux travailleurs et travailleuses à temps partiel se voient obligé-e-s d’occuper un deuxième emploi afin de stabiliser et compléter leur revenu. Cette situation entraîne alors un cercle vicieux qui dessert tant les employés que les cadres. En effet, puisque l’horaire des personnes à temps partiel est occupé par leur emploi secondaire, nombre d’entre elles doivent parfois refuser des heures qui leur sont proposées. Pour combler cette pénurie, l’employeur embauche alors de nouvelles recrues à temps partiel qui, à leur tour, devant le peu d’heures proposées (certaines se retrouvent parfois plusieurs semaines sans être appelées à la suite de leur entrée en poste), ne voient d’autres solutions que de se doter d’un autre emploi. De fait, les gestionnaires, occupés à faire le tour de la liste d’appel, voient beaucoup de leur temps accaparé par cette quête d’employés disponibles.
On comprend en somme que c’est la sécurité d’emploi, et donc du revenu, qui est en jeu dans ce conflit. En augmentant le nombre d’employés qui ont des heures assurées, la SAQ contribuerait à lutter contre la précarité et assurerait une plus grande équité de traitement entre ses employés. Il faut se rappeler que la SAQ a conclu l’année 2017-2018 avec un résultat net de 1 113,7 millions de dollars, soit une augmentation de 2,6% par rapport à 2016-2017. Les Québécoises et les Québécois en profitent puisque ces résultats lui permettent de verser des dividendes importants à l’État. Les employés sont pour leur part en droit de s’attendre à ce que la société d’État redistribue les fruits de ce succès à ceux qui ont contribué par leur travail à une telle réussite. Tout comme on peut s’attendre d’une entreprise publique qu’elle soit un modèle pour le secteur privé.