Sylva Clapin (photo dispon. Google) raconte Honoré Mercier

Saint-Hyacinthe culturelle

Peuple né d’hier, qui penche déjà vers la tombe

Tribune libre

On peut avoir vécu des années à Saint-Hyacintbe, vivre sur la rue Sylva Clapin ou la traverser à chaque jour, sans savoir quel homme de lettre fut ce Clapin. Ça aura pris le comédien Pierre Brassard pour nous en révéler une facette au Centre d’Arts ce lundi 30 novembre par la talentueuse lecture de Sensations de Nouvelle-France. Récit de voyage écrit en 1895 par le « touriste psychologique » comme se décrit Sylva Clapin, né à Saint-Hyacinthe en 1853 mais enterré à Ottawa en 1928, après séjours à Paris, Boston, etc. La fantaisie de l’auteur fut de tenter la flatterie des critiques en prétendant que son récit de voyage entre Montréal, Trois-Rivières et Québec était l’œuvre de Paul Bourget, réputé auteur français.
Très pessimiste sur l’évolution de son peuple, presque 30 ans après la Confédération Canadienne, il rencontre sur la terrasse de l’hôtel Frontenac, un éminent magistrat de la ville de Québec (Labeaume?) qui reconnaît avec lui :
Vous avez vu juste. Nous tendons vers la fusion à la race dominante; nous glissons vers le gouffre anglo-saxon. Pire, nous agissons librement, bien qu’inconsciemment. Surtout, nos dirigeants ont cessé de résister.
Seul Mercier (Honoré) voulut réveiller le peuple mais… cet homme d’État si doué fut faussement accusé de détournement de fonds. Imbu de politicaillerie chicanière et idiote, ce peuple ingrat le piétine, peuple grand enfant comme toujours…c’allait précipiter ses derniers jours… mais par un dernier soubresaut, il tente de se gagner l’appui des franco-américains.
Voici que, ne rencontrant qu’âmes fermées à tout ce qu’il sentait tressaillir en lui de plus grand et d’élevé, voici que, aussi, de se heurter sans cesse à de faux et bruyants témoignages d’amitié, soudain une infinie désespérance l’avait étreint et tout son être intime avait sombré, celui-là même où palpitait l’âme d’un second Bolivar, ne laissant plus debout, à la surface, qu’un automate chargé de réciter une leçon. À Boston, il perdit espoir d’un projet de République Franco-Américaine malgré que, faute d’éloquence, il fut très fort en chiffre pour faire valoir son point. Ses derniers émois se traduisaient en un A quoi bon?
Cependant Sylva Clapin, sous les fausses impressions d’un auteur français (Bourget), commence son récit à Montréal, au visage tout anglais malgré sa population presque toute d’expression française. Arrivé en train, de New-York, il fut renversé de voir des paysannes besognant au transport de l’eau à force de bras…inimaginable en pays développé… Sa première description urbaine :
cris joyeux attirèrent forcément mes regards sur un groupe de jeunes gens courant, se culbutant dans un immense parc, se disputant un ballon. Je ne fus pas long à deviner que j’assistais à une partie de ce foot ball si cher aux universités anglaises… tous jeunes gens à peine entrés dans l’adolescence témoignant cette intensité de vie, cette turbulence de belle et saine jeunesse, qui attendrit le rgard. On m’apprit que c’étaient là les élèves de l’Université McGill.
La leçon sera complète quand j’observai les élèves du Collège de Montréal. Défilant deux par deux, en route pour une promenade… malaise ressenti à la vue de ces collégiens en tuniques étriquées, marchant d’un air monacal et recueilli et poussant monchalamment les pieds à travers les amas de feuilles mortes… sentiment d’un cortège de ratés et de fruits secs, que plus tard la vie impitoyable broierait sans merci!
Même rapprochement que fit Pierre de Coubertin dans Les Universités Transatlantiques.
Plus loin, l’auteur tire des conclusions : À cause de l’éducation religieuse, les puissants du monde en font des générations humiliées et craintives. Ils les exploitent, les volent, en attendant qu’ils les mangent à belles dents.
En train vers Trois-Rivières et Québec, il fut témoins d’un glissement de terrain si majeur que les piliers du viaduc craquaient. À Saint-Anne-de-la-Pérade, les portes de la Cathédrale s’ouvrirent pour laisser passer l’Archevêque portant Ostensoire, suivi de tous les paroissiens chantant en français des hymnes implorant l’aide divine. Ils étaient observés par les anglos affairés à consolider les bases vacillantes du viaduc…
Dans la même optique, il rapporte une exposition de peinture mettant en parallèle l’arivée de Jacques Cartier à Gaspé, arborant drapeaux et crucifix en vue de l’évangélisation des aborigènes. À la même époque, contrairement à la civilisation latine pavoisante, l’anglo-américaine, incarnée par les Puritains arrivant à Plymouth, aussitôt descendue du navire, se mit à l’œuvre pour faire le pot-au-feu, la soupe, pour mettre en marche le projet d’établissement de la colonie. Gens pratiques! S’exclame-t-il. Pauvre France, la voilà ton erreur : l’évangélisation d’abord. Alors que le groupe opposé, une fois sustenté et orienté, aura bien le temps de prier!
Sylva Clapin n’hésite jamais à pointer la cause du caractère résigné qu’il observe chez ces anciens Normands, à l’origine si gais. Après la Conquête britannique, la majorité des entrepreneurs et notables français sont repartis en France. L’Église est restée. Par abus de paternalisme ecclésial, elle a pris en charge les 70,000 habitants demeurés sur place. A force de fréquenter les Séminaires, dit-il, on prend le pli séminariste… ce masque de lassitude qu’il observe sur les visages…résignés d’accepter son sort de vaincus. Théocratie. Respect du couvre-feu de 21 heures par un coup de canon de la Citadelle…Même les Patriotes de 1837, il leur trouve un manque de ce patriotisme qu’on vit partout en Europe. S’ils avaient maintenu cette vigueur, c’aurait été l’entièreté de la population qui aurait foncé, au lieu d’une proportion de résignés…à obéir à l’Église.
Les fantômes des découvreurs, colonisateurs, explorateurs viennent ici peupler un récit avant-coureur du professeur Dominic Desroches, cher à Vigile.
Le double poids de l’oubli et du temps est maintenant inexorablement retombé par-dessus tous ces preux d’un autre âge… leurs exemples ne semblent avoir laissé aucune trace chez leurs descendants d’aujourd’hui. Oh, oui. Finie pour de bon, j’en ai bien peur, l’épopée de la Nouvelle-France, tout ce long drame fait de gloire, de larmes et de sang et qui si longtemps, quoi qu’on en dise, nous a tenu aux entrailles, nous les Français de la vieille France. (Clapin écrit sous le nom d’un Français). Place à l’anglo-américain triomphant et malédiction sur nous!
Et pourtant non, cela ne se peut pas… quelques sursauts devraient bien survenir… Le traité de Paris(1763) ne peut être qu’un trève! Mais, témoin les écrits du Globe, Toronto n’y voit pas une trève. Plutôt un accommodement
Ah, l’homme qui nous sortira de cette résignation! Qui inspirera à l’habitant la détermiantion à payer de sa chair et de son sang pour obtenir sa liberté! Aller par la ruse, décrocher le drapeau britannique sur la Citadelle! (aujourd’hui, le rouge)
L’auteur prépare sa conclusion dans une descrption de feux éclatants de couleurs du coucher de soleil : … je reçus en guise de dernière « sensation » comme un heureux présage que l’astre de la Nouvelle-France, en ce moment à l’état d’éclipse, luirait ici à nouveau, sur ce vieux promontoire de Québec, dans un avenir que je veux quand même espérer être très prochain.

Squared

Ouhgo (Hugues) St-Pierre196 articles

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Fier fils de bûcheron exploité. Professeur retraité d'université. Compétences en enseignement par groupes restreints, groupes de réflexion, solution de problèmes. Formation en Anglais (Ouest canadien), Espagnol (Qc, Mexique, Espagne, Cuba), Bénévolat latinos nouveaux arrivés. Exploration physique de la francophonie en Amérique : Fransaskois, Acadiens, Franco-Américains de N.-Angl., Cajuns Louisiane à BatonRouge. Échanges professoraux avec la France. Plusieurs décennies de vie de réflexion sur la lutte des peuples opprimés.





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2 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    6 décembre 2009

    Mme marie-hélène,
    Au cas où vous auriez été très occupée ailleurs, sachez que j'ai donné suite à vos remarques dans l'article suivant: Sylva Clapin pessimiste et visionnaire... il y a eu quelque discussion qui aurait dû vous attirer... Ouhgo

  • Marie-Hélène Morot-Sir Répondre

    1 décembre 2009

    Monsieur Ougho, c'est une très intéressante étude que vous nous faites de Sylva Clapin, mais cet auteur n'est-il pas terriblement pessimiste? C'est passionnant de se le demander.
    Tout, d'aprés lui, est de la faute de la religion à part quelques passages, tel celui-ci : " les gens ici n'ont pas cette absence de regard figé comme aux états-unis où le chacun pour soi est féroce, ils ont une flamme réelle de sociabilité ..."
    N'est-il pas nécessaire en lisant Sylva Clapin de prendre du recul sur ses propos, c'est "son" avis et "son" impression toute personnelle, c'est cela qu'il ressent en revenant dans l'ancienne Nouvelle France, même s'il essaie de s'appuyer, comme pour s'en convaincre lui-même, sur des propos qu'aurait tenus Pierre de Coubertin !.. N' avait-il pas un compte à régler avec les religieux ou la religion elle-même ?
    Comme toujours il y a bien évidemment du vrai et du faux, il est facile de pencher d'un côté ou de l'autre, plus ardu de rester sur la juste ligne médiane et cet auteur ne se laisse-t-il pas peut-être emporter par sa sensibilité intime ? ... Cette comparaison, par exemple, avec les premiers colons anglo saxons qui eux paraissent se mettre tout de suite au travail par rapport à ceux arrivés en Nouvelle France qui "attendent tout d'un air misérabiliste de leurs prêtres" ( ! ) c'est vraiment non seulement totalement injuste, mais en plus totalement faux, il n'est qu'à se plonger dans les nombreux textes des auteurs du 17ème au moment même de la fondation de la Nouvelle France pour voir ce qu'il en est et faire la différence entre les deux peuples.. puis plus tard, les auteurs du 18ème siècle, au moment de la conquête, nous démontrent que ce n'est pas en premier la religion qui a tenté de faire baisser la tête aux descendants français, au contraire, au tout début de cette conquête, elle les a soutenus et renforcés, ils n'ont pu se raccrocher qu'à cela !
    Rappelons-nous comment ils se sont retrouvés seuls, eux les plus petits, alors que les grands, les riches, les plus instruits étaient tous repartis avec le gouverneur, sa maison civile et tous les soldats, au moment terrible où le drapeau du roi de France les a laissé seuls, sur ce sol d'Amérique septentrionale, les remettant à l'adversaire ..
    C'est bien en premier l'attitude du conquérant, qui les a traités en les rabaissant autant, et en leur faisant ressentir cela .. C'était facile puisque ce conquérant se trouvait face à des personnes pour la grande majorité humbles, pas non plus très instruites, tous ceux qui auraient pu les aider à affronter l'adversaire, par leur culture ou leur position sociale, n'étaient plus là... Le conquérant a eu toute facilité et en plus a bien joué, qu'il ait tout fait pour mettre l'autorité religieuse de son côté, est de bonne guerre, sachant combien ces Canadiens Français se raccrochaient dans l'adversité, si difficile qui était la leur, à leur religion. Pourtant il faut observer, que c'est aussi grâce à l'union incroyable de tout ce peuple, qui luttait contre cette adversité qui lui avait été imposée contre son gré, qu'il est incroyablement arrivé à se souder, et à faire front, sans doute grâce à son origine, tous Français et à sa religion, tous catholiques, c'est en effet cela qui lui a permis de garder sa langue, et ses coutumes.. c'est en partie cela qui lui a permis de tenir et de survivre..
    Bien entendu on peut souligner tout le côté noir, mais retournons un instant la médaille et voyons au contraire quelle force les animait tous, pour que malgré le mépris de ce conquérant, dont des traces subsistent encore de nos jours, de quelle façon ce peuple est encore plus digne d'admiration, de s'être peu à peu relevé et d'en être arrivé à devenir l'égal de celui qui l'a si longtemps et si mal traité ..
    Ce peuple a peut-être baissé un temps la tête sous le joug peu tendre et méprisant des anglo saxons, mais il n'a jamais baissé les bras, il a gardé le coeur fier de ses ancêtres Français, ceux-là même qui dans un autre temps ont bâti ce pays ! C'est pourquoi nous pouvons alors cette fois être en plein accord avec la conclusion de Sylva Clapin " L'astre de la Nouvelle France luira c'est certain à nouveau, sur ce vieux promontoire de Québec ! "
    marie-hélène