Causeur : Votre nouveau livre Abécédaire de la France qui ne veut pas mourir (Editions Pierre Guillaume de Roux, 2016), s’ouvre sur un constat cinglant : la France est en train de crever. Ensuite, vous expliquez que si la France crève, c’est parce qu’elle a évolué dans le mauvais sens. Pour vous, qu’est-ce que serait un changement positif ?
Robert Ménard : On ne peut pas se contenter de faire un éloge de la France des années 1950 ou de la France d’il y a un siècle. On a du mal à imaginer aujourd’hui – et c’est tant mieux – ce qu’était de vivre dans une campagne ou travailler dans une usine il y a cinquante ou cent ans ! Evidemment, il y a des choses qui évoluent dans le bon sens. Il y a des changements positifs et cela saute aux yeux.
Vous n’êtes donc pas réactionnaire mais conservateur…
Je ne suis pas réactionnaire parce que je ne pense pas qu’il faille tout rejeter dans ce qui se passe aujourd’hui, mais oui je suis conservateur. Et surtout, je ne suis pas idéologue. Ce livre est nourri de mon expérience de maire. Ce n’est pas un discours sur le monde, j’essaie simplement de tirer des leçons de mon expérience dont j’ai la naïveté de penser qu’elle peut servir à un autre niveau. Et ce que je constate quand je discute avec les habitants de ma ville, c’est qu’ils sont, comme moi, nostalgiques de certaines choses.
Effectivement, dans l’entrée « Avant », vous dites : « Oui, c’était mieux avant ! »
Oui, mes concitoyens sont par exemple nostalgiques de l’école d’antan : quand ils regardent les photos de classe, ne serait-ce que celles d’il y a trente ans, ils constatent que bien des choses ont changé… ce n’est plus la même école ! Oui, ils regrettent que leur ville ne soit plus peuplée des mêmes personnes. Oui, ils ont l’impression que leurs enfants risquent d’être moins heureux qu’ils ne l’ont été. Quand j’étais petit garçon, mes parents étaient persuadés, à juste raison, que j’aurais une vie meilleure que la leur.
Éric Zemmour comme Patrick Buisson considèrent qu’on ne peut pas trier les différents acquis du progrès : comme le dit Zemmour, quand on a accordé aux femmes le droit de vote, on a introduit la GPA…
N’étant pas théoricien, je n’ai pas la prétention de rivaliser avec Éric Zemmour ou Patrick Buisson, brillants l’un et l’autre. Je constate simplement que le peuple français, en tout cas dans le sud de la France, veut conserver ce à quoi il tient : la famille, les enfants, un paysage religieux qu’il connait… Un exemple : la crèche, à Béziers, installée dans l’hôtel de ville, est devenue en trois ans un passage obligé. La première année, 200 000 personnes l’ont soutenue ! Pourquoi ? Parce qu’elle incarne la France comme elles l’aiment. Un autre exemple : Le Puy-du-fou, sorte d’appartement-témoin de la France comme on en rêve. C’est ça que j’essaie de dire dans ce livre. Je ne suis pas réactionnaire au sens où je dirais : « Revenons cinquante ans en arrière et tout ira bien ! » Nier les progrès – dans un domaine comme la médecine par exemple – serait tout simplement stupide. Mais conservateur, encore une fois, oui !
L’entrée de votre livre sur l’avortement n’est pas claire. Vous n’êtes pas favorable à l’IVG mais vous n’appelez pas non plus à l’abrogation de la loi Veil.
Qui, aujourd’hui, peut dire qu’il faut revenir sur le droit à l’avortement ? Pas moi en tout cas. Je connais des femmes qui, malheureusement, ont eu recours à l’avortement et je me garderais bien de leur jeter la pierre. Même si je pense que banaliser ce geste-là – en le considérant comme une sorte de moyen de contraception - est une folie ! C’est pour cela que le remboursement sans limite de l’avortement est problématique. Par ailleurs, je vous ferai remarquer que les plus farouches partisans de l’avortement sont souvent les mêmes qui condamnent la peine de mort… un peu contradictoire, non ? Parce que, même avant quinze semaines, l’embryon, c’est la vie !
On peut rétorquer qu’en matière de cohérence, dire : « C’est une vie » sans pour autant vouloir revenir sur l’avortement signifie qu’on accepte un homicide…
C’est contradictoire, j’en conviens ! Mais je le répète, je suis incapable d’aller faire une leçon de morale aux femmes qui ont dû subir un avortement et de leur dire qu’elles sont vouées à la damnation ! De quel droit le ferais-je ?
Passons à l’entrée « Années 30 ». Pour vous, c’est « un pays imaginaire où vous déporte la gauche dès lors que vos idées lui déplaisent ». En même temps, les années de l’entre-deux-guerres posent des questions assez sérieuses, notamment sur la démocratie qui est parfois devenue la dictature de la majorité, avant de devenir dictature tout court. Quelles limites imposer, même à une majorité démocratiquement qualifiée ?
Dès que certains ne sont pas d’accord avec vous, ils vous renvoient aux années 30. À les croire, les rues de Béziers seraient peuplées de chemises brunes et on y marcherait au pas de l’oie ! Je veux bien qu’on ne soit pas d’accord avec ce que je dis – c’est tout à fait légitime – mais le renvoi aux années 30 clôt tout débat !
Par ailleurs, oui, ce qui s’est passé dans les années 30 nous interroge sur la démocratie. Mais attention de ne pas délégitimer le vote populaire quand il n’a pas l’heur de plaire aux élites… On l’a bien vu après la victoire du Brexit ou de Trump…
Selon vous, la question n’est pas la dictature de la majorité mais celle de la minorité…
Quand, en 2005, le peuple français vote contre l’Europe telle qu’on nous la propose et que, deux années plus tard, Monsieur Sarkozy et sa nouvelle majorité décident le contraire, c’est insupportable ! Il y aurait, à leurs yeux, d’un côté des gens intelligents, fins connaisseurs des dossiers, et de l’autre, la plèbe, les gueux, incapables de discernement !
Je me souviens, lors de la campagne des municipales à Béziers, les remarques de certains bourgeois qui venaient me dire : « On vous a vu à la télé, on pourrait voter pour vous, mais enfin, vous avez des ouvriers et des chômeurs sur votre liste, ce n’est pas sérieux ! » Quel mépris de classe ! Quand le peuple vote avec les élites, il est populaire ; quand le peuple vote contre les élites, il est populiste !
Votre livre compte deux entrées « Démocratie », et vous mettez le doigt sur une possible contradiction entre démocratie et démographie. On peut donc arriver à une situation où la majorité ne serait pas qualifiée. Admettons que 51% des Français décident que la France n’est plus la France…
Avec le changement de population auquel nous assistons aujourd’hui, c’est la démographie qui finira par faire la loi. Un peu à la manière de ces pays d’Afrique où les ethnies majoritaires imposent tout aux minorités. Je ne veux pas de ça pour la France ! La démocratie nécessite une homogénéité minimale. Si, demain, dans un certain nombre de villes comme Béziers, les Français d’origine immigrée votaient aussi massivement que le reste de la population, cela changerait la donne politique de façon radicale. Et de cela, je ne veux pas.
En ce cas, que peut-on faire ?
Limiter l’immigration. À un moment donné, quand l’eau monte, vous arrêtez le robinet avant d’être noyé et ensuite vous essayez de vous dépatouiller avec l’eau qui vous arrive au menton. Je propose donc qu’on ferme le robinet et qu’on se demande comment intégrer ceux qui sont déjà là.
Vouloir arrêter l’immigration est une chose, mais vous donnez parfois l’impression de vous en prendre aux immigrés eux-mêmes.
Vous me prenez pour qui ? J’ai passé ma vie à défendre des gens qui avaient besoin de venir en France comme réfugiés politiques. J’ai passé vingt-cinq ans à faire ça ! Je vais même plus loin : si j’habitais le Burkina Faso, avec trois enfants, je pense que je ferais tout pour venir en France, y compris transgresser la loi. Mais comme maire, je vous explique que ma ville, parmi les plus pauvres de France, ne peut plus accueillir de nouveaux migrants. 40% de mes administrés vivent des minimas sociaux et c’est à eux que je dois toute mon attention !
Quand vous avez visité des appartements occupés illégalement par les migrants, vous sembliez leur en vouloir personnellement…
Comment pouvez-vous dire ça ? Les migrants avaient été conduits là par des filières organisées, de véritables mafias. Ils étaient entrés par effraction dans des HLM, cassant les portes au pied de biche ! Face à de telles situations, j’emploie tous les moyens à ma disposition. Et je n’hésite pas à recourir à des affiches qui choquent nos grandes âmes ! Mais c’est la réalité qui est dure. Qu’à Paris, on fasse la grimace m’importe peu. A Béziers, l’immense majorité de mes concitoyens m’approuve. Ils ont enfin, disent-ils, un maire qui dit ce qu’ils ressentent !
Au niveau national, à quelques mois des élections présidentielles et législatives, pour vous, l’espoir d’un changement réside dans une alliance entre les Républicains et le Front national. Est-ce un vœu pieux ou fondez-vous vos espoirs sur vos échanges avec des personnages politiques des deux partis ?
Je constate que 80% des gens qui votent Front national et 80% de ceux qui votent Républicains pensent à peu près la même chose, demandent à peu près les mêmes choses, rêvent à peu près des mêmes choses. Ils partagent les mêmes envies, les mêmes désirs et les mêmes besoins ! Du coup, j’essaie depuis des mois – sans grand succès jusqu’à présent – de réunir toute cette droite « hors les murs » mais aussi une bonne partie des Républicains et du Front national qui partagent grosso modo les mêmes idées. Quelle différence y a-t-il entre Marion Maréchal Le Pen et Thierry Mariani ? Entre Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan ? Quasiment aucune ! J’irais même plus loin, je suis persuadé qu’il y a plus de divergences entre Marion Maréchal-Le Pen et Florian Philippot qu’entre la première et un certain nombre de Républicains ! Si le système actuel perdure – à la fois chez LR et le FN – c’est malheureusement à cause des logiques partisanes et des questions d’ego…
Concernant les programmes économiques, vous vous sentez plutôt proche de Philippot et Marine Le Pen ou de Fillon ?
Je suis bien moins étatiste que
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