Organisée le 31 décembre dans la capitale Kinshasa, une marche de fidèles catholiques contre le maintien au pouvoir de Joseph Kabila a pris une tournure dramatique. Des affrontements avec les forces de l’ordre ont causé la mort de huit personnes.
Appelée à être pacifique, la marche de catholiques congolais qui s’est déroulée à Kinshasa le 31 décembre dernier a rapidement dégénéré en affrontements. Les manifestants, des fidèles catholiques demandant le départ du président Joseph Kabila, ont été dispersés par les forces de l'ordre positionnées près des lieux de culte. Selon l'AFP, ces heurts violents ont causé la mort de sept personnes dans la capitale et une autre dans la région du Kasaï (centre), également théâtre de violences. Une dizaine de personnes ont également été blessées. Un bilan qui demeure incertain, les sources ne concordant pas toujours.
Face aux accusations de violences portées contre elle par les fidèles, la police s’est défendue de tout dérapage. Le porte-parole de la police, le colonel Pierrot Mwanamputu, a déclaré à RFI que les «tentatives de manifestations» avaient été encadrées «avec rigueur et professionnalisme». Selon lui, cinq victimes seraient à déplorer, dont deux «malfaiteurs» et un agent de police. Il a ajouté que ces décès n’avaient pas de rapport direct avec les violences rapportées lors des affrontements, sans pour autant livrer d'informations supplémentaires.
Au sujet des arrestations, il a assuré que la police avait «appréhendé 77 fauteurs de trouble à Kinshasa» avant de les relâcher. Par ailleurs, «11 fauteurs de trouble» présentés comme des militants de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), parti fondé par Etienne Tshisekedi, l'opposant historique à Joseph Kabila, ont également été remis en liberté près de Kamuina, dans la province du Haut-Lomami, située dans le sud du pays.
Une réforme électorale à l’origine de la fronde anti-Kabila
Le 17 janvier 2015, l'Assemblée nationale congolaise a adopté un projet de loi électorale ouvrant la voie à un report de l’élection présidentielle et à la prolongation du dernier mandat du président congolais dont l’échéance était prévue à la fin 2016. Pour défendre son projet polémique, la majorité présidentielle avait argué que la tenue de l’organisation de l’élection présidentielle dans les délais constitutionnels était quasiment impossible au regard des problèmes financiers et sécuritaires que rencontre le pays.
Un changement de calendrier décrié par les opposants, qui ont appelé à manifester en signe de protestation. Après la tenue, dans plusieurs villes du pays, de rassemblements qui ont souvent tourné à l’émeute, le Parlement a décidé le 25 janvier 2015 de retirer l’article permettant la prolongation du mandat du président. Une décision qui n’a pour autant dissipé les craintes de l’opposition.
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Le 11 mai 2016, la Cour constitutionnelle a finalement tranché l’épineuse question de la durée du mandat, en autorisant Joseph Kabila à rester au pouvoir au-delà du terme de son mandat en l'absence d’élection présidentielle. Une décision taillée sur mesure pour le chef de l'Etat et qui a ravivé les tensions dans le pays, poussant une partie de l’opposition à s’unir pour peser davantage dans le jeu politique. Malgré la détérioration du climat politique, une médiation organisée le 31 décembre 2016 par la Conférence épiscopale nationale de la République démocratique du Congo (Cenco) avait amené le pouvoir et une grande partie de l’opposition à signer un accord dit de la Saint-Sylvestre. Celui-ci prévoyait, entre autres, l’organisation de l’élection présidentielle avant le 31 décembre 2017.
Mais deux mois avant cette date butoir, la Commission électorale nationale indépendante (Céni) a déçu les maigres espoirs des opposants en annonçant qu’elle n’avait pas encore bouclé les opérations d’enregistrement des électeurs dans le fichier électoral – et que l'élection ne pourrait donc se tenir avant 2019.
Autrefois en position de médiateur, les représentants religieux sortent de leur neutralité
«Nous ne pouvons que dénoncer, condamner et stigmatiser les agissements de nos prétendus vaillants hommes en uniforme qui traduisent malheureusement, et ni plus ni moins, la barbarie», a déclaré le 2 janvier l’archevêque de Kinshasa Laurent Monsengwo lors d’une conférence de presse. «Comment ferions-nous confiance à des dirigeants qui bafouent la liberté religieuse du peuple ?», s’est-il interrogé.
Si ce discours démontre la détermination des autorités religieuses, il tranche néanmoins avec celui qu’avait tenu le même archevêque en juin 2015. Pour justifier sa rencontre avec le président congolais, qui l'avait consulté pour résoudre la crise politique dans laquelle le pays venait de plonger, il avait alors déclaré : «Il faut bien qu’il y ait un dialogue, si l’on sait exactement ce que l’on veut. Et apparemment le président connait l’objet de ce dialogue.»
Si la Cenco semble pour l'instant s'en tenir à son rôle de médiation entre les différentes parties, afin d’instaurer un dialogue politique, elle a fermement condamné l’intervention des forces de l’ordre. Dans un communiqué, elle se dit «profondément choquée par les actes ignobles» commis lors de la marche du 31 décembre et a présenté ses «condoléances aux familles des victimes innocentes».
Réagissant à des témoignages faisant état d'intrusions des forces de l'ordre dans des lieux de culte, Laurent Monsengwo a en outre condamné «l’atteinte à la liberté de culte garantie dans tout Etat démocratique, la profanation de certaines églises et l’agression physique des fidèles dont les servants de messe et les prêtres». «L’unique voie pacifique de sortie de cette crise artificielle, c’est la mise en œuvre intégrale et complète de l’Accord de la Saint-Sylvestre», a-t-il conclu.