Plusieurs lecteurs m'ont écrit à la suite de ma dernière chronique, Le cadeau de Pierre Trudeau ou pourquoi le Québec peut proclamer unilatéralement son indépendance**.
« N’importe quel gouvernement du Québec, fût-il fédéraliste, pourrait, dès aujourd’hui, proclamer unilatéralement sa propre constitution, ses propres juridictions, récupérant celles qu’ils souhaitent recouvrer du fédéral, sans que les autres provinces du Canada et le gouvernement fédéral ne puissent faire légalement quoi que ce soit. En rompant le pacte constitutionnel de 1867, ils ont libéré le Québec de la règle de l’unanimité qui existait depuis 1867. Ils l’ont autorisé à agir unilatéralement. Parce qu’il n’y a plus de règle qui s’impose légitiment au Québec, il peut sortir unilatéralement du Canada sans que qui que ce soit ne puisse légalement y faire obstacle. »**
Ce texte ayant été inspiré d'échanges avec Robert Laplante, en guise de réponse à mes lecteurs qui me demandent quelle est la suite des choses, voici deux courts extraits d'un texte écrit par ce dernier. Comme dirait Robert Laplante, "pourquoi réinventer le bouton à quatre trous, alors qu'il existe déjà". Les lecteurs qui voudront lire l'intégral de ce texte magistral n'auront qu'à suivre le lien hypertexte.
Le cycle politique ouvert avec la Révolution tranquille n’est pas mort avec la défaite du Parti québécois en avril dernier. C’est le Clarity Bill qui marque à la fois la conclusion du débat politique amorcé avec la Commission Laurendeau-Dunton et l’éclatement du cadre et de la logique politiques qui structuraient les rapports Québec-Canada. La réponse de l’État canadian au référendum de 1995 vient clore la relation dialogique qui s’était imposée au fil des décennies et qui avait fini par donner sa forme et son cadre au «débat» constitutionnel. Il n’y a plus désormais une telle chose que ce débat. Le Canada a fait ses choix, la question du Québec est réglée. Non seulement n’est-il plus disposé à envisager quelque révision que ce soit, mais encore et surtout s’est-il octroyé le droit de définir lui-même la légitimité des demandes recevables de la part des souverainistes. L’État canadian a dit clairement que les souverainistes-partenairistes n’ont plus d’interlocuteur. La démission de Lucien Bouchard a consacré la mort du cycle : il n’y aura pas de conditions gagnantes à prétendre dialoguer avec le Canada.
En dépit de ses protestations, le Parti québécois n’a pas saisi la portée politique de la loi C-20. Lucien Bouchard a eu beau dire son étonnement devant la réaction populaire à ce coup de force, il n’a rien trouvé d’autre à dire qu’à l’en blâmer. Bernard Landry et son gouvernement n’ont pas été en mesure de rajuster le tir par une riposte politique systématique. Ils sont restés enlisés dans la gestion provinciale où les avait conduits un Lucien Bouchard velléitaire et bon-ententiste. Pis encore, le gouvernement du P.Q. a été tenté de renoncer à assumer sa responsabilité de leader du mouvement historique en se lançant dans une apologie de la société civile qui semblait porter toutes les vertus, y compris celle d’avoir les idées plus claires et la volonté mieux trempée que les élus responsables du seul instrument utile à la réalisation de l’objectif : l’État du Québec. La création du Conseil de la souveraineté est certes une initiative louable qui saura sans doute prouver son utilité, mais elle n’épargnera pas au Parti québécois la tâche douloureuse, ardue et périlleuse de revoir son cadre stratégique. Certes la souveraineté appartient au peuple, c’est un combat qui doit mobiliser toute la société, mais c’est un combat qui ne se peut gagner que par l’action rigoureuse d’un parti politique qui accédera à la gouverne pour traduire l’idéal en réalité.
(…)
Une démarche souveraine
On peut donc concevoir un cadre stratégique défini en fonction de l’exercice du droit à l’autodétermination dans un contexte où le Québec est à lui-même sa seule référence. Il faut le dire haut et fort : les souverainistes placent les Québécoises et les Québécois au centre de leur monde. C’est dire que l’action d’un gouvernement souverainiste doit viser essentiellement à mettre en place les lois, les institutions et les moyens qui permettront de le faire. C’est en ce sens qu’il mettra à mort la logique provinciale. Ce n’est pas la population de la province de Québec qui sera conviée à dessiner le Québec indépendant mais bien le peuple québécois tel qu’il peut s’exprimer dans les formes qu’il est seul à définir et à contrôler. C’est le Canada qui nous divise mais c’est autour du Québec que nous voulons que nous ferons notre unité.
Sans prétendre épuiser le sujet, il est néanmoins possible de tracer les grandes lignes de ce que pourrait être, schématiquement, le cadre stratégique et la démarche d’accession à l’indépendance.
• L’élection d’un parti souverainiste est un moment inaugural. Le parti souverainiste élu a le mandat de mettre en place l’appareil législatif et administratif pour réaliser la souveraineté.
• Promulgation d’une constitution provisoire. La loi 99 adoptée par l’Assemblée nationale peut constituer le noyau dur de cette constitution provisoire. Son but est de marquer qu’un gouvernement souverainiste n’est pas un gouvernement provincial. La constitution comporterait en conséquence des ajouts substantiels à la loi 99, entre autres :
o Création d’une citoyenneté québécoise définissant l’éligibilité et les conditions de participation au processus constituant qui mettra au monde le Québec indépendant.
o Création d’une cour constitutionnelle québécoise ayant juridiction sur toutes les compétences constitutionnelles définies à l’Acte d’Amérique du Nord britannique de 1867. Le Québec proclame qu’il a l’autorité sur tous les domaines de compétence sauf sur ceux qui sont nommément attribués au gouvernement fédéral. La ratification d’une constitution par voie référendaire viendra remplacer cette constitution provisoire et elle constituera une proclamation d’indépendance.
• Convocation d’une commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée d’élaborer la Constitution du Québec indépendant. Cette commission aurait dix-huit mois pour élaborer un projet. Le projet peut évidemment contenir les balises dans lesquelles le Gouvernement du Québec entend conduire les discussions avec Ottawa pour ce qui est du partage des biens, de la dette, du calendrier de dévolution etc.
• Création d’un comité d’observateurs internationaux qui pourront témoigner de la transparence et de l’intégrité démocratique de la démarche. Ce comité aura également le mandat de rendre compte de la démarche référendaire de ratification.
• Référendum de ratification de la Constitution. La campagne référendaire portera sur les mérites intrinsèques de ce projet. Dessine-t-il les contours du Québec que nous voulons ?
o S’il est ratifié, le référendum devient exécutoire, le Québec devient indépendant ipso facto.
o Si le projet est rejeté, plusieurs scénarios sont plausibles. Celui qui a le plus grand potentiel : la convocation d’une Assemblée constituante tenue de faire le point et mandatée pour faire une proposition de ralliement qui pourrait consister soit en une série d’amendements à la constitution provisoire, soit en un nouveau projet complet de constitution.
o Le nouveau texte issu de la Constituante serait soumis à ratification lors du scrutin électoral de fin de mandat. Les partis politiques auraient alors le devoir de faire campagne pour ou contre, de proposer de l’amender, le bonifier etc.
On le voit, c’est une démarche qui suppose et met en acte le peuple du Québec et son Assemblée nationale comme seule instance de légitimité. On peut aisément imaginer qu’Ottawa ne restera pas indifférent. Mais le combat, dès lors, se fera sur une idée très précise non pas seulement du statut du Québec mais de la forme juridique qu’il entend se donner comme meilleur soutien d’expression et de développement de la nation. Une constitution ratifiée par le peuple à l’occasion d’un référendum, voilà une légitimité puissante qui neutralisera les arguties du Clarity Bill. Voilà également qui balisera le discours des inconditionnels du Canada : ils auront le fardeau de démontrer que cette constitution servira moins bien notre peuple que le Canada unitaire.
Tout le processus évoqué doit pouvoir se tenir dans un seul mandat. Le Québec n’a plus les moyens de se laisser ballotter par le Canada. L’action déstructurante des politiques canadian menace non seulement nos acquis, elle compromet notre capacité de conduire nos propres affaires car elle produit d’ores et déjà des lézardes profondes et inquiétantes dans la cohésion sociale et nationale. L’indépendance n’est pas seulement souhaitable. Elle est nécessaire et chaque jour qui passe la rend plus urgente. C’est une nécessité vitale.
Un programme de mobilisation nationale
L’avenir du Parti québécois se joue sur sa capacité de renouvellement. Ce n’est pas tant l’argumentaire de la souveraineté qui doit être remis à jour que la façon de se la représenter pour mieux la réaliser. Il faut se débarrasser de l’obsession référendaire et se concentrer sur une action militante centrée non pas seulement sur des abstractions eu égard au statut politique mais bien surtout sur le visage concret du Québec que nous voulons. Pour faire bonne mesure, il faudra certes revenir plusieurs fois et de bien des manières sur les perspectives ici évoquées mais il faudra aussi s’imposer de réfléchir sur le programme de gouverne qui devra accompagner la démarche. On peut certes imaginer une refonte du programme, réviser les engagements etc. la voie la plus porteuse reste sans conteste celle de la simplicité.
La prochaine élection ne doit pas être une élection provinciale ordinaire. Cette fois-là sera la bonne. Il faut lancer une offensive de tous les diables pour en finir avec le rapetissement provincial. Au train où vont les choses les libéraux de Jean Charest auront laissé le Québec dans un état lamentable de résignation et de consentement à une vie nationale disloquée, totalement à la merci d’un Canada plus hostile que jamais à reconnaître ce que nous sommes et voulons être. Il n’y aura pas de temps à perdre à imaginer des propositions de rafistolage des structures provinciales. Il faudra penser à rénover entièrement la maison Québec.
Un Programme de mobilisation nationale devrait traduire en quelques projets majeurs, l’urgence d’agir enfin dans le sens de nos intérêts nationaux. On pourrait imaginer, par exemple, une brève liste, disons, dix projets pour lancer le Québec sur la voie de son développement national. Il s’agirait de dix grands projets fondateurs, de véritables grands gestes d’arrachement, traduisant notre audace et notre volonté de réunir enfin en un ensemble cohérent les conditions de réalisation du formidable potentiel de notre peuple. Conduits dans autant de domaines névralgiques, ces projets lanceraient la véritable mobilisation qui donnerait forme et incarnation au pays que nous portons en nous depuis quatre siècles. Avant de les définir, il faudra d’abord s’assurer d’accorder nos moyens et nos volontés dans un cadre stratégique approprié. Et choisir de miser sur notre capacité de dépassement.
Le Québec est un fleuve puissant dont toute l’énergie se perd dans le delta marécageux de la rhétorique compensatoire. Il faut renouer avec l’esprit du large. Le Québec est notre pays. Nous le ferons dans la force des vers de Miron, avec le souffle des poèmes de Perrault et avec toute l’audace refoulée dans les siècles de l’hiver. Nous sommes nés pour être libres. Nous ferons le pays. Dans le labeur et l’acharnation. Pour que notre voix porte et que tous les humains de la terre y entendent vibrer les accents du partage et de l’espérance. ■»*
*« Revoir le cadre stratégique», Robert Laplante, L'Action nationale, janvier 2004.
***
Addendum
Concernant la situation juridique du Québec pendant cette période de 18 mois, voici un extrait de mon billet du 12 novembre 2008, De vrais gestes de souveraineté.Depuis, mon opinion a évolué au sujet de la légalité de la constitution canadienne. C’est par défaut que cette constitution s’applique légalement au Québec, même si rien ne l’oblige légitimement à l’accepter.
Quitter la constitution sans quitter le Canada, est-ce possible ?
« Rappelons-nous, si la Cour Suprême a statué qu’elle ne pouvait nous être d’aucune aide pour invalider la loi constitutionnelle de 1982, elle a tout de même reconnu que le gouvernement fédéral et les gouvernements des autres provinces avaient agi sans légitimité lorsqu’ils ont imposé cette constitution au Québec. Existerait-il d’autres options que l’indépendance politique pour que la constitution canadienne ne s’impose plus légalement au Québec ? À défaut de se séparer immédiatement, le Québec pourrait-il sortir du cadre fédératif sans nécessairement se séparer du Canada ? Est-ce possible ?
S’il est généralement admis que le Québec doit s’appuyer sur une volonté claire du peuple pour se séparer du Canada, bien que cela ne soit pas toujours essentiel en toutes circonstances, quel genre de mesures juridiques faudrait-il adopter pour quitter la constitution canadienne sans pour autant quitter le Canada ?
Si le Québec s’est vu imposer une constitution par une simple loi du Parlement fédéral, pourquoi ne pourrait-il pas briser ce même pacte constitutionnel par une simple loi adoptée par l’Assemblée nationale ? Un peu comme c’est le cas en droit matrimonial où la séparation de corps de juridiction provinciale met fin aux effets juridiques du mariage de compétence fédérale sans totalement le dissoudre, laissant les partis libres d’agir sans conséquences juridiques réciproques pour le présent et le futur, attendant que le divorce soit prononcé.
Par une telle loi, bien que demeurant une province du Canada, le Québec récupérerait tous les pouvoirs qu’il a cédés au Canada en 1867 pour le présent et le futur et s’affranchirait de la loi constitutionnelle de 1982 jusqu’à ce que les neuf autres provinces du Canada conviennent d’un nouveau pacte fédératif avec le Québec. En imposant leur constitution au Québec, le Canada et les autres provinces canadiennes ont rompu la règle de l’unanimité alors exigée pour amender la constitution. Pourquoi, aujourd’hui, le Québec ne pourrait-il pas quitter la constitution sans égard à la nouvelle formule d’amendement et sans autres formalités qu’une loi de l’Assemblée nationale, ne l’ayant jamais lui-même approuvée ?
Au lieu d’habiter les limbes de la loi constitutionnelle de 1982, le Québec pourrait en lieu et place habiter les limbes constitutionnels de sa propre loi l’autorisant à quitter la constitution canadienne sans quitter le Canada. Sans vraiment être un pays, le Québec demeurerait une province du Canada exerçant tous les pouvoirs reconnus à un État, ne versant plus directement d’impôt ou taxe à Ottawa, que les sommes nécessaires à la gestion de certains services fédéraux que le Québec n’aurait pas récupérés.
Il ne resterait plus alors aux Québécois que de décider s’ils souhaitent que le Québec demeure une province du Canada dans le contexte d’un nouveau pacte avec les autres provinces canadiennes ou s’ils souhaitent que le Québec franchisse un pas de plus vers la liberté en devenant un état indépendant jouissant de la pleine reconnaissance internationale ! » De vrais gestes de souveraineté
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
13 février 2010Monsieur Lapointe
Si c'est la réponse à mon dernier commentaire (le dernier ) de votre précédent texte intitulé: "Le dernier cadeau de Trudeau" et la suite supposément logique de ce texte, le Québec est mûr pour St-Jean de Dieu et moi je débarque! Si nos instances politiques souverainistes sont incapables de comprendre ce qui s'est vraiment passé en 1982 lors du rapatriement unilatéral de la constitution canadienne et s'ils ne comprennent pas encore le processus normal de l'accession à l'indépendance; qu'ils aillent s'informer auprès des instances politiques d'autres pays dans le monde qui ont réalisé leur indépendance. C'est de la merde tout ça! Nous sommes menés par des cr.... d'incompétents et tant qu'ils ne me donneront pas l'heure juste, je débarque, je suis tanné de faire rire de moi.
André Gignac le 13/2/10