Maintenant qu’elle est confortablement installée en tête des sondages, ce n’était qu’une question de temps avant qu’un front anti-CAQ voie le jour, et personne ne se surprendra que les centrales syndicales se chargent de sonner la mobilisation.
« Entre l’austérité libérale et les intentions à peine voilées de démantèlement caquiste de l’État, la population, comme les travailleuses et les travailleurs, risque de trouver le temps long », a déclaré mercredi la présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Louise Chabot.
Le refrain n’est pas nouveau. Dès la création de la CAQ, son prédécesseur, Réjean Parent, avait invité la population à se méfier de François Legault, en qui il voyait « l’homme de Péladeau ». Selon lui, le chef caquiste aspirait à devenir « non pas le premier ministre, mais le président-directeur général du Québec ».
Durant la campagne électorale de 2012, les échanges avaient été acrimonieux. Pendant que M. Legault demandait le mandat de « mettre de côté les vieux dogmes syndicaux », M. Parent l’accusait de « casser du sucre » sur le dos des employés du secteur public. Les syndicats avaient trouvé particulièrement insultante son idée de leur verser une compensation pour la perte de cotisations que causerait l’abolition de postes qu’il projetait dans le secteur public.
Les choses ne s’étaient pas améliorées en 2014, quand la CAQ s’était rangée sans réserve derrière les municipalités dans le dossier des régimes de retraite. Sans aller jusqu’à envisager l’abolition de la formule Rand, elle avait également repris à son compte le projet adéquiste de « moderniser » les règles syndicales, notamment en imposant la tenue d’un vote secret avant l’octroi d’une accréditation syndicale et en rendant obligatoire la publication des états financiers. De l’« antisyndicalisme primaire », avaient dénoncé les centrales.
Qu’en sera-t-il cette fois-ci ? La « modernisation » des règles syndicales sera-t-elle à l’ordre du jour d’un gouvernement Legault ? Souhaite-t-on toujours interdire que les cotisations servent à appuyer des causes politiques, ce qui aurait par exemple pu empêcher les manifestations contre les compressions budgétaires décrétées par le gouvernement Couillard ?
Le discours antisyndical hérité de l’ADQ plaît sans doute à une partie de la clientèle courtisée par la CAQ. D’ici la prochaine élection, elle souhaite toutefois éviter les positions trop extrêmes pour éviter d’indisposer ceux qui souhaitent simplement se débarrasser des libéraux sans nécessairement vouloir mettre l’État au régime.
Le problème est que, d’une fois à l’autre, on ne sait pas trop où se situe exactement la CAQ sur les questions autres que celles qu’elle a décidé de mettre en vitrine, comme son « nouveau projet nationaliste » ou encore la politique familiale adoptée au dernier conseil général. Il n’existe pas de programme global auquel on peut se référer. Cela laissera à son chef tout le loisir d’adapter sa plateforme électorale aux besoins du moment.
Il est vrai qu’à force de se faire piquer ses idées par le gouvernement, la CAQ est astreinte à un certain renouvellement. Le projet de loi sur la protection des contribuables présenté en 2015 par François Bonnardel, qui interdirait à un organisme d’imposer toute augmentation de charge supérieure à l’inflation, demeure pertinent. En revanche, après la baisse d’impôt annoncée dans la récente mise à jour du ministre des Finances et celle qu’il annoncera vraisemblablement dans son prochain budget, comment la CAQ pourrait-elle promettre une nouvelle baisse de 1000 $ par famille sans hypothéquer sérieusement la capacité d’intervention de l’État ?
Voilà qu’apparaît le spectre d’une « réingénierie » 2.0. Le président de la CSN, Jacques Létourneau, a dit craindre que les baisses d’impôt consécutives aux coupes des dernières années — et celles qui pourraient s’y ajouter — ne créent une spirale menant à la sous-traitance et éventuellement à la privatisation de certains services publics, avec les pertes d’emplois que cela entraînerait.
« Si on n’est pas capable de casser ce modèle-là, on va tous se faire prendre un par un : les CPE, les psychologues, les professeurs de cégep, les travailleurs des secteurs privés, le monde des régions… On va tous se faire prendre un par un et on va se faire planter », a-t-il déclaré.