Hélène Buzzetti - Ottawa — Pourquoi au juste le gouvernement conservateur tient-il tant à ne plus imposer le formulaire long de recensement? Les explications fournies jusqu'à présent par Ottawa tombent toutes les unes après les autres: seule une cinquantaine de récalcitrants font l'objet de poursuites à chaque recensement, à peine trois personnes se sont plaintes du caractère intrusif du recensement depuis 2001... et jamais Statistique Canada n'a sondé les gens sur le nombre de salles de bain à la maison.
La décision des conservateurs de rendre volontaire la réponse au formulaire long continue de faire des vagues. Hier, le Parti libéral a annoncé son intention de convoquer le comité permanent de l'Industrie au cours de l'été pour exiger du ministre Tony Clement des explications.
«Stephen Harper ne s'en tirera pas comme ça», a lancé le député Marc Garneau en conférence de presse. Il a déploré la décision conservatrice annoncée en catimiti le samedi 26 juin, alors que toute l'attention était tournée vers les sommets du G8 et du G20. «Voici un gouvernement qui, quotidiennement depuis 2006, parle de transparence et de reddition de comptes, mais qui est complètement hypocrite quand vient le temps d'être ouvert et transparent avec les Canadiens.»
Mardi, le ministre des Transports, John Baird, a expliqué que son gouvernement trouvait «franchement ridicule» de menacer les gens de prison parce qu'ils refusaient de dire à l'État combien de salles de bain ils ont chez eux. Le hic: Statistique Canada n'a jamais posé une telle question.
Au contraire, le formulaire de recensement de 2006 demandait aux répondants, à la question H3, le nombre de pièces dans leur logement, mais précisait: «Ne comptez pas les salles de bain, les corridors, les vestibules et les pièces utilisées uniquement comme locaux d'affaires.» Connaître le nombre de pièces d'une habitation permet d'en évaluer la valeur et de tracer encore plus précisément le profil socio-économique d'un quartier donné.
Les ministres conservateurs répètent aussi avoir reçu beaucoup de plaintes de citoyens à propos du formulaire long. Après vérification auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, ces plaintes sont très rares. Le Commissariat a reçu une cinquantaine de plaintes au cours des 20 dernières années concernant Statistique Canada, dont quelques-unes seulement étaient liées au formulaire long du recensement.
«Le nombre de plaintes diminue», note la porte-parole, Anne-Marie Hayden. En 1991, il y avait eu 33 plaintes, en 1996, 16. En 2001, il y en a eu une seule, tandis qu'au dernier recensement de 2006, il y en a eu deux. Si le Commissariat avait senti le besoin de faire des recommandations à Statistique Canada sur la façon dont ces informations personnelles sont recueillies, il n'aurait pas hésité à le faire, a indiqué Mme Hayden, ajoutant que le gouvernement ne l'avait pas consulté avant de prendre sa décision.
Les libéraux ont par ailleurs calculé que chaque année de recensement, il y a de cinquante à soixante personnes faisant l'objet de poursuites parce qu'elles n'ont pas complété le formulaire, court ou long. Le sixième de ces gens (moins de 10) ont écopé d'une amende. Le formulaire court du recensement est envoyé à absolument tout le monde au Canada. Le formulaire long est envoyé à 20 % des foyers, soit 2,9 millions d'adresses. «Ce n'est pas un gros nombre quand on considère le nombre de gens qui remplissent ce formulaire», fait valoir Marc Garneau.
Le tiers ne répondront pas
Tard en soirée mardi, le ministre Tony Clement a émis une déclaration indiquant que sa décision était irrévocable. «Le gouvernement est donc d'avis que l'ENM [Enquête nationale auprès des ménages] constitue une enquête plus appropriée, et c'est pourquoi il ne se penchera pas à nouveau sur le sujet de l'ancien questionnaire détaillé.»
Le gouvernement répète que l'envoi d'un plus grand nombre de formulaires longs compensera le fait qu'il ne sera plus obligatoire. Il n'en est rien, assure Ivan Fellegi, qui a été statisticien en chef à Statistique Canada de 1985 à 2008. Le taux de réponse au recensement est d'environ 97 %. «Mais après de nombreux efforts!», s'exclame M. Fellegi en entrevue avec Le Devoir. «Le taux naturel de réponse est de 70 % les bonnes années. Si ça monte si haut, c'est le résultat d'une quantité très importante de suivis et de nos efforts de persuasion. Quand on fait un suivi pour demander aux gens de répondre au questionnaire, ils nous demandent: "Suis-je obligé?" Si on leur dit non, la réponse sera: "Alors non merci!"»
Historiquement, continue M. Fellegi, les gens qui sont financièrement moins à l'aise, les Autochtones ou encore les immigrants provenant de pays où on se méfie de l'État répondent moins au recensement. «Augmenter la taille de l'échantillon comme le propose le gouvernement ne corrigera pas le biais. Il fera seulement en sorte que plus de monde de la même catégorie répondra.» M. Fellegi assure que personne n'a jamais été envoyé en prison à cause du recensement.
Pour les libéraux, il est clair que la décision s'explique par un refus des conservateurs d'entendre des vérités qui ne feraient pas leur affaire. «C'est une question d'idéologie, croit M. Garneau. Ce gouvernement ne veut pas qu'on ait un portrait éclairé de l'état de notre pays concernant les minorités visibles, les groupes ethniques, les groupes linguistiques minoritaires.»
Recensement: les raisons d'Ottawa taillées en pièces
Aucune question sur le nombre de salles de bain. Une seule plainte en 2001, deux en 2006.
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