Le gouvernement canadien a décidé que le prochain recensement de 2011 ne comptera pas de formulaire long. Il faut préciser que depuis 35 ans, le recensement recueille des informations grâce à deux questionnaires, un court qui comporte huit questions de base (par exemple, l'âge, le sexe, etc.) et un long qui inclut toute une série de questions sur les caractéristiques socio-économiques des individus et des ménages. Cette décision a déjà été décriée par plusieurs personnes et organisations. Sans reprendre ici toutes les raisons qui rendent inacceptable une telle décision, j'aimerais insister sur deux aspects fondamentaux.
Premièrement, les données détaillées du recensement fournies par le questionnaire long constituent un outil essentiel pour tous les groupes minoritaires dans la lutte contre les discriminations. Seules ces données permettent non seulement d'examiner avec précision la situation socio-économique des groupes minoritaires, en particulier celle des minorités visibles, mais surtout de mesurer de façon systématique la discrimination sur le marché du travail. Le Canada a été un exemple cité partout dans le monde comme un pays fournissant des données de qualité permettant justement de faire le suivi des politiques antidiscriminatoires. Ce qui rend ces analyses si précieuses, c'est leur caractère convaincant et irréfutable. Alors que plusieurs pays européens se tournent vers le Canada pour prendre exemple de cette riche expérience historique, voilà que le gouvernement décide de la mettre à la poubelle.
Deuxièmement, pour le Québec surtout, cette décision sera lourde de conséquences négatives. En effet, depuis plus de 150 ans, les données du recensement permettent au Québec de suivre l'évolution des groupes linguistiques et de faire régulièrement le bilan de l'état du français. Pour le Québec, c'est une question de survie. En l'absence des données ethniques et linguistiques détaillées, n'importe qui pourra dire n'importe quoi! Comment pourrons-nous savoir à l'avenir si les politiques linguistiques sont efficaces?? C'est la voie ouverte pour la pire des démagogies?! Certains affirmeront que le français est en voie de disparition au Québec, d'autres au contraire que les politiques linguistiques ne sont plus justifiables. Certes, les débats linguistiques ont toujours été virulents et passionnés au Québec, mais ils sont demeurés dans des limites statistiques garantes d'une certaine paix sociale, et ce, grâce justement aux données des recensements.
En contrepartie, le gouvernement nous annonce que le questionnaire long sera remplacé par l'Enquête nationale auprès des ménages à laquelle la participation sera volontaire. Le questionnaire de cette enquête sera envoyé quatre semaines après la tenue du recensement à un tiers de la population canadienne et comportera entre autres des questions sur l'origine ethnique, le revenu et l'éducation.Mais il faut le répéter haut et fort, cette solution est inacceptable. En effet, outre le manque de comparabilité avec les autres données censitaires, le faible taux de réponse associé à une participation volontaire posera des problèmes réels de représentativité des données. De plus, il y aura une sous-représentation systématique de certains groupes vulnérables dont entre autres les autochtones, les mères monoparentales, les immigrants, les personnes démunies, les minorités visibles.
Le Québec est le grand perdant de cette décision politique. Chaque fois qu'une société restreint l'information nécessaire aux débats politiques et sociaux, c'est la démocratie qui en souffre. Les groupes minoritaires en particulier, y compris le Québec, perdent ainsi un outil essentiel à leurs revendications. À bien y penser, ne serait-ce pas là l'objectif inavoué de cette décision?
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Victor Piché
L'auteur est professeur honoraire de démographie à l'Université de Montréal.
La Presse
Recensement: le Québec grand perdant
Recensement 2011
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L'auteur est démographe-sociologue, professeur honoraire à l'Université de Montréal et conseiller en migrations internationales
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