Texte publié dans Le Devoir du 17 janvier 2012
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C’est au nom du pragmatisme, nous dit François Rebello qu’il quitte le Parti Québécois, un parti souverainiste, pour la Coalition Avenir Québec, un parti qui promet aux fédéralistes de ne pas les embêter pendant au moins dix ans avec la menace de la souveraineté. Après avoir remisé au vestiaire la seule arme qui a forcé le fédéral à faire des concessions au Québec, Rebello nous invite à croire qu’un gouvernement dirigé par son mentor François Legault obtiendra davantage du gouvernement Harper que Jean Charest. Drôle de pragmatisme!
Pour justifier son geste, François Rebello écrit : « Force est de constater que la stratégie souverainiste n’a pas fonctionné ». Que propose-t-il comme stratégie de rechange? Une stratégie non-souverainiste! François Rebello déclare conserver au fin fond de son cœur sa foi souverainiste, mais s’inscrit à l’Église des non pratiquants. Selon lui, la souveraineté serait toujours possible, mais il faudrait d’abord que « le Québec renforce sa situation », que « les Québécois reprennent leur économie en main », de façon à devenir « moins dépendants de facto et d’esprit ».
François Rebello est subjugué par le « pragmatisme » et le « sens des affaires » qu’il prête à François Legault. Il faut reconnaître que ce dernier était convaincant lorsqu’il parcourait le Québec avec son jeu d’acétates en expliquant que le déséquilibre fiscal minait toute stratégie économique et que seule l’indépendance permettrait de construire la Maison Québec. Aujourd’hui, notre planificateur fiscal nous invite à nous contenter de notre logement dans la Maison canadienne avec la promesse de l’agrandir par en-dedans par des rénovations.
« Libres en autant que les lois anglaises le permettent »
Aux rénovations économiques de François Legault, le Parti Québécois n’a rien de mieux à proposer qu’un plan de rénovations politiques, là aussi toujours dans le cadre de la Maison Canada, comme en témoigne le cahier de propositions soumis au Conseil national de la fin janvier.
Dans un texte fort éclairant, paru dans Le Devoir du 30 décembre 2011 sous le titre « Réformes démocratiques. Des tentatives étouffées dans le cadre canadien », André Binette a montré les limites constitutionnelles de plusieurs des projets de réforme des institutions politiques mis de l’avant dernièrement (Constitution québécoise, assemblée constituante, réforme du mode de scrutin, etc.) et il en tirait la conclusion que « seule la souveraineté du Québec donnera au peuple québécois la pleine capacité d'innover, d'approfondir sa démocratie et de se donner des institutions qui seront entièrement légitimes à ses yeux ».
C’est avec une approche similaire que, dans un texte que nous avons fait paraître sous le titre « De la démocratie au Québec » (Le Devoir, 26 septembre 2011), nous rappelions que, malgré les différentes modifications constitutionnelles ayant eu cours depuis la Conquête, les termes de la Proclamation royale de 1763 s’appliquent toujours, c’est-à-dire que le Québec est libre « en autant que les lois anglaises le permettent », et qu’à défaut de l’indépendance, la plupart des réformes démocratiques discutées ces derniers mois n’auront pour effet que de bonifier le « home rule », que nous a si gentiment octroyé la Couronne britannique.
Nous ne cherchons pas à nier l’importance de ces questions démocratiques. Au contraire. Cependant, nous croyons que les États généraux du mouvement souverainiste constituent le cadre approprié pour en débattre. C’est pourquoi nous avons été parmi les premiers à proposer la tenue de tels États généraux (Pour des États généraux, Le Devoir, 22 aout 2011) et à suggérer de les envisager comme un travail préparatoire pour l’Assemblée constituante chargée de l’adoption de la Constitution québécoise au lendemain d’un référendum gagnant.
Toutefois, la priorité des indépendantistes doit être l’élaboration d’une stratégie victorieuse pour mettre fin à notre dépendance et entreprendre la construction de la Maison Québec. C’est dans cette perspective que nous avons proposé le référendum d’initiative populaire sur l’indépendance, une réforme démocratique qualitativement différente des autres, parce qu’elle donnerait au peuple québécois une réelle emprise sur son destin collectif en lui confiant le choix du « moment jugé approprié » pour mettre fin à sa dépendance.
L’exemple de l’Écosse
Rebello et Legault justifient leur abandon de la souveraineté en disant que « la majorité des Québécois n’est pas prête, maintenant, à voter pour la souveraineté ». Ils ne font que dire ouvertement ce que pense secrètement la direction actuelle du Parti Québécois. Ce qui explique l’absence de véritable stratégie, la « gouvernance souverainiste » n’étant qu’un concept vague et flou.
L’Écosse nous montre qu’il pourrait en être autrement. Au mois de mai dernier, le Scottish Nationalist Party (SNP) a remporté les élections, avec 45% des suffrages, et forme aujourd’hui un gouvernement majoritaire. Le premier ministre Alex Salmond sait que, bien qu’en progression, l’indépendance ne recueille l’appui que de 32% des électeurs. Il promet donc la tenue d’un référendum d’ici la fin de son mandat en 2016 avec trois options: 1) le statu quo; 2) l’indépendance; 3) une dévolution maximale des pouvoirs.
Cette troisième option signifie que l’Écosse percevrait tous les impôts et toutes les taxes sur son territoire et qu’elle en verserait une portion au Trésor britannique pour couvrir les frais des pouvoirs concédés au Parlement britannique (les missions diplomatiques, la Défense et la Royauté). Tous les autres pouvoirs relèveraient du Parlement écossais. L’Écosse n’aurait plus de représentation à la Chambre des Communes, mais aurait des représentants à la Chambre haute de la Confédération.
La proposition énerve au plus haut point le gouvernement britannique. Sachant que l’option de l’indépendance est en progression constante, le premier ministre David Cameron veut un référendum le plus tôt possible. Il vient de déclarer qu’il reconnaîtrait la validité d’un référendum, mais à la condition qu’il se tienne d’ici 18 mois. Il veut aussi éliminer la troisième option.
Quand Mme Marois prête flanc aux attaques fédéralistes
Nous ne proposons pas de copier la stratégie écossaise. Mais de reconnaître qu’eux, ils ont une stratégie! Soulignons au passage que Mme Marois proposait, dans une des premières moutures de sa stratégie de « gouvernance souverainiste », que le Québec perçoive tous les impôts sur son territoire.
Mais, devant la levée de boucliers des fédéralistes, elle a rapidement retraité et la proposition a été retirée de la stratégie souverainiste et rétrogradée, dans le programme adopté au congrès de 2011, dans le chapitre sur la création de la richesse. Cela n’est pas anodin.
L’instauration d’un rapport d’impôt unique ne repose plus sur un argumentaire souverainiste, mais est présenté comme « une mesure qui fera économiser des centaines de millions de dollars par année aux entreprises et aux citoyens du Québec ». En situant le débat sur le terrain de « l’efficacité économique », Mme Marois ouvre la porte aux fédéralistes qui se montreront d’accord avec un rapport d’impôt unique, mais géré par le fédéral! Après tout, n’est-ce pas la situation des neuf autres provinces?
L’orchestre du Titanic
De l’avis général, les raisons de faire l’indépendance se font de plus en plus pressantes. On pourrait remplir des pages à les énumérer. Contentons-nous de mentionner l’absence de représentation du Québec au Parlement fédéral, une situation que va pérenniser la refonte de la carte électorale. Le déplacement vers l’ouest du pays du centre de gravité de l’économie canadienne, encouragé par les politiques du gouvernement fédéral, qui laissent le Québec sur la touche, comme le démontrent éloquemment les récentes statistiques sur le chômage, le Québec étant la seule province à enregistrer des pertes d’emplois.
Pendant que les vents favorables s’élèvent, le navire amiral du mouvement souverainiste semble sans gouvernail et son équipage fait de plus en plus penser à l’orchestre du Titanic.
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Les auteurs sont respectivement président et secrétaire du SPQ Libre
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