Qui trop embrasse...

Quebecor - Le Journal de Montréal - un conflit qui s'étire en "modèle d'affaire"...



Les députés libéraux qui siègent à la Commission parlementaire de l'économie et du travail étaient visiblement ravis d'entendre le doyen de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, Gilles Trudeau, dire qu'au-delà des dispositions antibriseurs de grève, c'est l'ensemble du Code du travail qu'il fallait revoir.
De toute évidence, M. Trudeau ne partage pas l'opinion de Pierre Karl Péladeau et du Conseil du patronat, selon lesquels la législation québécoise en matière de relations de travail confère un avantage indu aux syndicats. Au contraire, il s'est dit d'avis qu'un déséquilibre favorable aux employeurs s'est produit au cours des dernières décennies.
Les péquistes et le député libéral de Marquette, François Ouimet, qui présidait la commission, ont vainement tenté de lui expliquer qu'envisager une réforme globale du Code, qui se transformerait inévitablement en foire d'empoigne, serait le meilleur moyen de perpétuer le statu quo. M. Trudeau n'a pas voulu en démordre: il faut voir grand.
Du point de vue d'un universitaire, l'inadéquation d'un système conçu à une époque où l'économie était largement dominée par le secteur manufacturier est sans doute choquante. Indéniablement, de nombreuses catégories de travailleurs, qui ne disposent d'aucun rapport de force pour négocier leurs conditions de travail, sont laissées en plan. Un politicien apprend cependant très vite à distinguer le possible du souhaitable. Évidemment, s'il s'agit de mal étreindre, mieux vaut trop embrasser.
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Même si son gouvernement rejette catégoriquement le projet de loi présenté par le PQ, le député libéral de Rivière-du-Loup, Jean D'Amour, assure qu'il n'est pas question de noyer le poisson.
Il y a cependant lieu d'être sceptique. Si M. Ouimet a fait preuve d'un rare activisme pour forcer la tenue de cette commission parlementaire, qui n'emballait manifestement pas la ministre du Travail, Lise Thériault, ses collègues libéraux semblaient nettement plus enclins à trouver des problèmes aux solutions que l'inverse.
La notion «d'établissement», qu'on retrouve encore dans le projet péquiste, a sans doute perdu beaucoup de signification à l'heure de l'Internet et du travail à distance, mais il faudra bien commencer quelque part.
Le président du syndicat qui représente les 253 lock-outés du Journal de Montréal ne s'est fait aucune illusion. Il est maintenant trop tard pour rétablir un équilibre qui permettrait d'éviter l'écrasement du syndicat. Même si l'Assemblée nationale s'y attelle dès ce printemps, il faudra des mois pour modifier la loi.
Une échéance s'impose d'elle-même: au Journal de Québec, dont les travailleurs ont déjà goûté à la médecine de Quebecor en 2007, on anticipe un nouveau lock-out dans deux ans. Le député adéquiste de Shefford, François Bonnardel, a cependant raison de parler d'un «contexte législatif extrêmement difficile». En huit ans, l'autorité morale du gouvernement et de son chef n'a jamais été aussi faible.
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L'époque où les centrales syndicales voulaient «casser le système» semble loin, mais l'harmonie relative qui règne depuis quelques années a peut-être fait sous-estimer la vigueur des antagonismes. Le patronat est tout aussi allergique à loi anti-scabs qu'il l'était lors de son adoption en 1977.
L'an dernier, M. Péladeau avait eu l'air d'un dinosaure quand il avait publié, à l'occasion du sommet économique tenu à Lévis, une lettre ouverte dans laquelle il dénonçait le traitement injuste réservé aux entrepreneurs québécois, qui devaient consacrer temps et argent à gérer les relations de travail pendant que leurs homologues étrangers pouvaient se consacrer en toute sérénité à leurs affaires. Cette semaine, il avait encore oublié que Quebecor avait été incapable d'imposer son «plan d'affaires» à ses imprimeries françaises en raison de l'opposition de la CGT.
Les décideurs présents au sommet de Lévis semblaient se demander sincèrement quelle mouche avait bien pu piquer PKP, mais il a fait des émules depuis. En commission parlementaire, le président du Conseil du patronat (CPQ), Yves-Thomas Dorval, dont les prédécesseurs nous avaient habitués à plus de modération, a manifesté une hargne inquiétante.
Son argumentation reposait sur un sophisme passablement déroutant. Au départ, les dispositions antibriseurs de grève avaient été introduites par le gouvernement Lévesque pour contrer la violence qui avait marqué plusieurs conflits de travail, a-t-il expliqué. Cette violence ayant disparu, ces mesures n'ont donc plus de raison d'être. Comme si elle n'était pas le résultat du déséquilibre que le CPQ souhaite maintenant consacrer!
Il a été fascinant d'entendre M. Péladeau exposer son point de vue de «visionnaire d'un Québec entrepreneurial», comme l'a qualifié la députée libérale de Mégantic-Compton, Johanne Gonthier. Soit, le lock-out est un «geste violent», a-t-il convenu, mais il est nécessaire à la création de la richesse qui permet de financer les services de santé, d'éducation et tout ce qui fait le caractère distinct du Québec. Au contraire, si on modernise la loi anti-scabs, les entrepreneurs seront effrayés et les pertes d'emplois vont se multiplier, a-t-il expliqué.
Autrement dit, il faut appauvrir les travailleurs pour enrichir la population. Sans doute devrait-on remercier M. Péladeau d'être responsable de 54 % des jours de travail perdus au Québec pour cause de lock-out.


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