Alors que Stephen Harper trouvait «modérée» la réponse d'Israël au Hamas et au Hezbollah, Louise Arbour, haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l'homme, s'interroge sur une possible «responsabilité criminelle» des généraux et ministres israéliens qui ont autorisé les bombardements touchant des civils. Sa déclaration n'a guère fait la manchette. Néanmoins, elle aura causé un choc. Une campagne est donc en marche pour la faire démettre de son poste à l'ONU.
Dès les premiers raids, les médias ont été inondés de réactions, les unes appuyant Israël et son «droit de se défendre», les autres condamnant les destructions à Gaza et au Liban. Les opinions sont tranchées, voire prévisibles, sur la légitimité de ces actions. Mais venant d'une juriste indépendante et expérimentée, l'interrogation de Mme Arbour a forcément plus de poids. Or, elle secoue l'image d'intervention défensive et limitée que les autorités israéliennes donnent à leur opération.
La réplique est venue de [Allan M. Dershowitz->1323], un professeur de droit de Harvard, qui s'est déjà illustré par sa défense de la torture dans la lutte au terrorisme. Parue dans le National Post de Toronto, l'attaque de l'universitaire a été relayée ailleurs au pays par la chaîne CanWest (un groupe dont l'appui est acquis à Israël). À Montréal, The Gazette en a publié le texte sous le même titre : Arbour must go. Sa faute présumée : elle nuit à la lutte des démocraties contre le terrorisme.
L'auteur ne se borne pas à y discuter du droit international en cause. Ni même à trouver «erronée» l'interprétation qu'en fait la juriste canadienne. À son avis, Arbour ne comprend ni le droit ni l'enjeu moral. Avec ses critères de poursuite pénale, écrit-il, les présidents Bush, Clinton, Nixon, Johnson, Eisenhower Truman et Roosevelt seraient des criminels de guerre, tout comme les premiers ministres Blair et Churchill et maints chefs des gouvernements français, russe et canadien. Car tous ont causé la mort «prévisible» de civils lors de bombardements de cibles militaires légitimes.
Le droit international n'est pas aussi stupide ou opposé aux démocraties que ce qu'en fait Arbour, poursuit Dershowitz. On peut attaquer des cibles militaires situées dans des villes, explique-t-il, tant qu'on fait un effort raisonnable pour minimiser les pertes civiles; c'est le bombardement massif de villes dénuées de cible militaire qui est interdit, sauf peut-être en représailles pour ses propres villes bombardées. Une question y reste irrésolue, à son avis. Que doit faire le pays démocratique si un ennemi voué à son extermination se cache dans des villes pour lancer des missiles visant à tuer le plus de gens possible ? Devrait-il laisser pleuvoir les missiles sur ses villes ?
Quand des terroristes, soutient Dershowitz, prennent des civils comme boucliers humains, ce sont les terroristes qui sont criminellement responsables de la mort «prévisible» de ces boucliers. «Arbour a dû manquer le cours de droit où cet enjeu est examiné, écrit-il, mais la loi au Canada -- comme dans tous les pays civilisés -- tient le voleur de banque, non le policier, coupable de meurtre quand le voleur prend un otage et que le policier tue l'otage en tentant d'empêcher le voleur de tirer sur des innocents autour. Ce devrait être vrai pour le droit international aussi.»
Les gens qui appliquent ce droit doivent comprendre, ajoute l'universitaire, qu'on n'est plus à l'époque des vieilles règles de guerre, quand des armées en uniformes s'affrontaient dans un champ de bataille loin des villes. Aujourd'hui ces principes de protection des civils sont «manipulés cyniquement» par les terroristes qui en ont fait une arme. Arbour inclura sûrement, ajoute Dershowitz, les chefs du Hezbollah et du Hamas parmi ceux qu'on devrait poursuivre comme criminels. Mais la neutralité de ses propos ne serait qu'apparente.
Ses commentaires, écrit-il, «masquent le fait qu'il y a une énorme différence entre des terroristes, qui cherchent à maximiser les pertes de civils, et les démocraties, qui cherchent à les minimiser». Au surplus, Arbour sait fort bien, ajoute-il, qu'il est irréaliste de penser poursuivre en justice les chefs terroristes, qui se cachent dans la clandestinité, alors que les dirigeants de pays démocratiques vivent et voyagent ouvertement.
Conclusion du professeur : Louise Arbour fait partie du problème, non de la solution. On devrait la remplacer comme haut-commissaire aux droits de l'homme «avant qu'elle ne fasse encore plus de mal à la capacité des démocraties de combattre le terrorisme en respectant la loi».
Malheur aux vaincus
Cherchez l'erreur. L'ex-juge de la Cour suprême, autrefois membre du TPI, est-elle si inepte en droit international et si incapable de distinguer un bandit d'un honnête soldat qu'il faudrait la limoger ? Ou n'est-ce pas le professeur de Harvard qui ignore l'histoire contemporaine ? Plusieurs des leaders «démocratiques» qu'il nomme auraient mérité de subir un procès. Des bombes incendiaires sur de grandes agglomérations d'Allemagne et du Japon durant la Deuxième Guerre jusqu'aux massacres de populations par la suite en Amérique latine et ailleurs, leur dossier est accablant. Ils n'ont échappé à la justice qu'en raison de la défaite de leurs victimes. Væ victis, disaient les Romains, malheur aux vaincus.
Au moins Churchill et Truman étaient-ils en pleine guerre, affrontant des forces encore puissantes. Rien de tel ne peut être dit aujourd'hui du Hamas et du Hezbollah. La comparaison du voleur de banque de Dershowitz est également inappropriée. Un autre exemple serait plus vraisemblable. Si de sa fenêtre d'hôpital un malade à l'esprit dérangé tire sur des passants, la police doit-elle faire sauter tout l'étage pour le mettre hors d'état de nuire ?
Des démocrates aussi commettent des atrocités. Même des victimes aveuglées s'engagent parfois dans d'injustes représailles. Tuer des terroristes avec des bombes aussi dévastatrices, c'est sciemment tuer aussi des civils. Forcer à l'exode des populations entières pour raser une partie du pays, comme au Sud-Liban, ce n'est pas raisonnablement préserver des vies, mais les dévaster cruellement. Le faire à des fins politiques est encore moins justifiable. Le ministre israélien de la Sécurité, Avi Dichter, ne s'en cache pourtant pas : «Des dizaines de milliers de Libanais qui fuiront vers le nord, cela va exercer les pressions nécessaires sur le Hezbollah.»
Injustes pour la population palestinienne, les incursions militaires d'Israël le sont aussi pour la population libanaise. Si vraiment le Hamas et le Hezbollah ne sont que des pantins de la Syrie et de l'Iran, c'est sur Damas et Téhéran qu'il faudrait exercer des pressions. Privés de tout, les Palestiniens sont dans l'incapacité de contrôler le Hamas. Le Liban n'est guère en meilleure position. Si les États-Unis, qui ont plus de 100 000 soldats en Irak, ne peuvent y juguler l'insurrection, notait à CNN un diplomate, comment Beyrouth pourrait-il désarmer sa milice chiite ?
La démonstration de force militaire au Proche-Orient est un aveu de faiblesse politique. Selon le New York Times, Washington livrait d'urgence à Israël ces jours-ci des armes sophistiquées, missiles téléguidés ou bombes de 5000 livres conçues pour détruire des bunkers. Une conférence internationale serait plus utile au Proche-Orient et aux populations qui y sont menacées.
redaction@ledevoir.com
Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.
«Arbour must go»
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