L’OTAN est-elle en « mort cérébrale », comme l’a affirmé le président français Emmanuel Macron au magazine The Economist le 8 novembre dernier, soit moins d’un mois avant le sommet de la tout juste septuagénaire Alliance atlantique, les 3 et 4 décembre à Londres ?
La délégation étasunienne auprès de l’OTAN n’a pas manqué de réagir à ces propos, qui critiquent indirectement le virage trumpien dans la politique étrangère des États-Unis, et en particulier ses implications en Syrie.
Fait rare, la Maison-Blanche n’est pas isolée au sein de l’OTAN lorsqu’il s’agit de tancer l’attitude du président Macron : le premier ministre canadien Justin Trudeau s’est en effet aligné sur la position de Washington, ce qui peut, à première vue, surprendre. Les orientations de la politique étrangère d’Ottawa n’ont-elles pas, depuis 2015, majoritairement suivi celles fixées par l’Union européenne ?
Le prochain sommet de l’OTAN à Londres s’annonce tumultueux. Justin Trudeau peine à faire oublier le fiasco du G7 de Charlevoix : il y était apparu en position de grande faiblesse face à un Trump dont les sautes d’humeur avaient quasiment paralysé le sommet. Aujourd’hui, Ottawa désire donc s’imposer comme un interlocuteur incontournable au sein de l’OTAN.
Mais cela contraste-t-il réellement avec son positionnement historique au sein de l’Alliance atlantique ?
Proches ou distants, les liens avec l’OTAN tributaires du premier ministre
L’histoire des relations internationales a fixé des cycles dans les liens entre le Canada et l’OTAN, et leur rythme se superpose à celui des mandats fédéraux.
Depuis Louis St-Laurent, officialisant l’adhésion de la Confédération à l’OTAN par pragmatisme, se sont succédé tantôt de francs atlantistes, tantôt des premiers ministres plus distants envers l’OTAN. Dans la première catégorie, on peut inclure John Diefenbaker, Lester B. Pearson, Brian Mulroney et Stephen Harper. Pierre Elliott Trudeau et Jean Chrétien sont les meilleurs représentants de la seconde.
À l’instar de l’ensemble de la politique étrangère canadienne, la place du Canada dans l’OTAN paraît déterminée par les politiciens depuis Ottawa. La perspective est trompeuse, car elle oppose de manière un peu caricaturale les « continentalistes », proches de l’Alliance atlantique et de Washington, aux « européistes », plus fervents défenseurs d’un multilatéralisme à l’européenne, selon lequel tout État souverain dispose d’une voix légitime dans les affaires mondiales.
S’en tenir à cela, c’est négliger plusieurs invariants dans les relations entre le Canada et l’OTAN. Quelques principes sous-tendent en effet celles-ci depuis sept décennies, et ils sont toujours valables à l’heure actuelle. David Long, professeur en affaires internationales à l’Université Carleton, les a synthétisés par une métaphore efficace : le Canada peut être vu comme Mercure, messager des Dieux, intermédiaire entre un Mars personnifiant les États-Unis et une Vénus allégorie de l’Europe.
Une diplomatie de niche et de puissance moyenne
Deux axes structurent le positionnement du Canada dans l’OTAN depuis ses débuts.
Le premier, développé par Louis St-Laurent, est celui de la doctrine de la puissance moyenne (middlepowermanship). Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Canada constitue en effet une puissance économique réelle, dotée d’un soft power croissant. Partant, Ottawa ambitionne d’intervenir dans les affaires mondiales sans pour autant faire ombrage aux poids lourds qui en tirent les ficelles — URSS et États-Unis jusqu’en 1991, membres du Conseil de sécurité des Nations unies après 1991. Le Canada a ainsi vu dans l’OTAN une arène où se tailler la réputation de puissance moyenne sans fragiliser ses liens bilatéraux.
Malgré la localisation du siège de l’OTAN à Bruxelles, l’égide étasunienne y reste très forte : pour reprendre l’expression consacrée par Pierre Elliott Trudeau en 1969, l’éléphant avec lequel le Canada partage son lit n’est jamais loin. Afin de s’en accommoder, Ottawa a échafaudé au sein de l’OTAN une véritable diplomatie de niche, notamment depuis les années 1980.
Il s’agit de se spécialiser dans un domaine particulier des affaires internationales afin d’en apparaître comme un acteur incontournable. L’orientation choisie par le Canada est celle de l’expertise dans la pacification des relations internationales. Cela a contribué à construire l’image d’un Canada « garant de la paix » (peacekeeper).
L’OTAN, un laboratoire de la politique étrangère canadienne
Il ne faut cependant pas négliger le fait que l’émergence du Canada sur la scène internationale est récente. La proximité à l’Empire britannique a longtemps déterminé la politique étrangère de la Confédération — au grand dam de Québec. En 1949, l’Alliance atlantique semble être la structure idéale pour que la diplomatie canadienne puisse faire ses authentiques premiers pas, légitimés par le Statut de Westminster (1931) puis par la Seconde Guerre mondiale.
L’OTAN a conservé ce rôle de laboratoire pour la politique extérieure fédérale. Aujourd’hui, elle réunit tous les partenaires d’un quatuor atlantique dans lequel le Canada est soucieux de s’inscrire — aux côtés des États-Unis et de deux « mères patries » souvent concurrentes, la France et le Royaume-Uni.
L’Alliance atlantique fait en outre partie des institutions internationales sur lesquelles le pouvoir fédéral garde toute prérogative, ce qui en fait l’un des bastions de son action à l’étranger.
Rappelons que Québec n’a pas officiellement voix au chapitre de l’OTAN, quoique celle-ci ait pu y être indirectement portée par la France.
Ainsi, c’est à la lumière des tendances lourdes qui caractérisent la politique extérieure canadienne qu’il importe d’analyser le rôle du Canada dans le prochain sommet de l’OTAN.
En s’opposant assez frontalement à Emmanuel Macron, Justin Trudeau n’est pas tant dans la rupture que dans la continuité. Il se fait somme toute le héraut d’une voix fédérale susceptible de séduire des milieux conservateurs, qu’il a tout intérêt à attirer vers lui à la suite des élections de 2019. Leur bastion, dans les provinces des Prairies, a en effet tendance à s’autonomiser, ce qui met la Confédération à l’épreuve de nouvelles forces centrifuges.
Gardons donc à l’esprit que c’est les évolutions de la scène politique interne au Canada qui détermineront, pour partie, le message porté à Londres par un Canada-Mercure, l’intermédiaire entre les puissants.
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un média en ligne qui publie des articles grand public écrits par les chercheurs et les universitaires.