Québec -- En plein coeur de la controverse autour de l'usage du français dans les commerces de Montréal, la ministre de la Culture et des Communications, Christine St-Pierre, devait participer à une conférence de presse pour dévoiler des études commandées par l'Office québécois de la langue française (OQLF) sur la situation linguistique au Québec. Prévue le 18 janvier dernier, cette activité a toutefois été annulée à la dernière minute.
Quand, à la mi-janvier, la ministre St-Pierre a brandi une pseudo-étude rassurante sur les services en français dans 2500 commerces de Montréal, elle venait tout juste de prendre connaissance d'une série d'études rigoureuses que l'OQLF avait commandées auprès de chercheurs reconnus. Ces études, dont au moins une envoyait un signal d'alarme quant à la situation du français sur l'île de Montréal, devaient être rendues publiques le 18 janvier.
Le 9 janvier dernier, neuf mois après sa nomination, Christine St-Pierre s'est intéressée à la question de la langue en participant à un briefing technique portant sur quatre études commandées il y a belle lurette par l'OQLF mais qui n'avaient jamais été rendues publiques. Les auteurs de ces études étaient présents pour répondre aux questions de la ministre, a précisé le porte-parole de l'OQLF, Gérald Paquette.
Le lendemain, l'OQLF a demandé au démographe Marc Termote, auteur d'une étude sur les perspectives démo-linguistiques du Québec, de préparer une présentation de type PowerPoint en vue de la tenue d'une conférence de presse à l'Institut de l'hôtellerie, à Montréal, la semaine suivante, le vendredi 18 janvier. À la veille de cette conférence, on l'a avisé qu'elle n'aurait pas lieu, a relaté M. Termote. On ne lui a pas donné de raisons.
L'étude de M. Termote, dont la version finale a été remise à l'OQLF en août 2006, concluait que vers 2021, ceux qui parlent le français à la maison seront devenus minoritaires sur l'île de Montréal. Ce phénomène pourrait même survenir un peu plus tôt en raison du nouveau seuil annuel d'accueil des nouveaux arrivants. Relevé l'an dernier par le gouvernement Charest, ce seuil fait passer de 45 000 à 55 000 le nombre d'immigrants reçus chaque année.
C'est à la ministre de décider quand les études commandées par l'OQLF sont rendues publiques. Mais au cabinet de Mme St-Pierre, on indique que la ministre n'a rien à voir avec cette annulation, qu'aucune date ne lui a été soumise pour la conférence de presse et que c'est l'OQLF qui a pris cette décision. M. Paquette a indiqué hier que l'OQLF avait décidé de reporter à la fin de mars la diffusion des études parce que certaines d'entre elles ne seraient pas achevées et qu'on préférait les dévoiler en bloc. Elles seront rendues publiques en même temps que le rapport quinquennal sur le suivi de la situation linguistique au Québec, un document auquel l'organisme apporte une derrière main.
Tant au cabinet de Mme St-Pierre qu'à l'OQLF, on nie que le caractère délicat sur le plan politique de certains résultats contenus dans ces études ait pu justifier le report de leur dévoilement.
Depuis 2002, l'organisme a commandé une douzaine d'études, dont moins de la moitié ont été rendues publiques, afin d'assumer sa responsabilité du suivi de la situation linguistique au Québec et de produire son rapport quinquennal. C'est sous un gouvernement péquiste que la Loi sur la Charte de la langue française a été modifiée et que l'OQLF s'est fait confier ce mandat de suivi, en 2002.
Toutes ces études ont été évaluées et validées par le comité de suivi de la situation linguistique, présidé par le sociologue Simon Langlois. «Les études s'accumulent et ne sortent pas, ou elles sortent au compte-gouttes», a souligné le démographe Charles Castonguay, un des membres indépendants du comité de suivi de l'OQLF. Le chercheur déplore cette situation. «Il y a des auteurs qui ont travaillé très fort. Et je peux vous dire que le comité de suivi a pris son travail très au sérieux.»
Parmi les études dont le dévoilement est retardé depuis longtemps figure celle de Marc Termote sur les perspectives démo-linguistiques du Québec et de la région de Montréal, dont l'horizon s'étend jusqu'en 2051. Le chercheur a remis à l'OQLF une première version de son étude au tout début de 2006. Le comité de suivi a ensuite procédé à son évaluation et a transmis ses commentaires à M. Termote, qui a fourni la version finale de son étude six mois plus tard. Soulignons que l'auteur assume l'entière responsabilité du contenu de son étude.
Normalement, cette étude aurait dû être remise à la ministre de l'époque, Line Beauchamp. Le porte-parole de l'OQLF n'a pas pu préciser quand cette étude avait été transmise à la ministre, ni si c'était au cabinet de Mme Beauchamp ou à celui de Mme St-Pierre qu'elle avait été remise.
«L'OQLF est entre le fer et l'enclume», juge Marc Termote, qui estime que l'organisme n'est pas responsable de cette situation. Il croit que l'OQLF «ne demandait pas mieux que de publier les études le plus tôt possible». Le chercheur croit qu'il aurait été «élémentaire» de sortir son étude avant.
L'OQLF lui a demandé de faire des prévisions sur la langue parlée à la maison au Québec à partir du recensement de 2001. Mais on aura attendu que les données du recensement de 2006 sortent pour dévoiler ses prévisions.
Quoi qu'il en soit, les prévisions de l'étude sont «tombées pile» sur celles du recensement de 2006, a soutenu M. Termote. Les données du dernier recensement montrent qu'un peu moins de 54 % de la population de l'île de Montréal parle français à la maison.
En outre, le chercheur avait déjà réalisé la même étude en 1999, basée sur le recensement de 1996. Il a évalué différents scénarios plus ou moins pessimistes quant à l'usage du français sur l'île de Montréal. Or c'est son scénario de 1999, le plus pessimiste, qui devient son scénario de référence dans sa dernière étude, a-t-il confié au Devoir. Ainsi, vers 2021, ceux qui parlent français à la maison seront en minorité sur l'île de Montréal, autour de 48 %.
«Il ne faut même pas être démographe pour comprendre ce qui se passe. Tous les facteurs démographiques jouent contre le groupe francophone, particulièrement sur l'île. La fécondité des francophones est la plus basse, plus basse encore que celle des anglophones et, bien sûr, des allophones. L'exode vers la banlieue joue plus fortement pour les francophones tandis que l'immigration joue contre le groupe majoritaire», affirme M. Termote.
Le gouvernement Charest se réjouit toutefois de voir qu'une proportion de plus en plus élevée de transferts linguistiques, soit 75 %, se font en faveur du français au détriment de l'anglais. Mais la mobilité linguistique est un facteur marginal, réplique Marc Termote. Très peu d'immigrants cessent d'utiliser leur langue maternelle à la maison. Et ce n'est qu'après une ou deux générations que les transferts linguistiques s'effectuent. «On se fait des idées sur la mobilité linguistique», fait-il observer. «Ça prend du temps. Et pendant ce temps, il y a tous ces phénomènes démographiques qui jouent à plein.»
- source
Québec tait des données alarmantes
Conférence de presse de l'Office de la langue française annulée sans raison
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