Le gouvernement du Québec a décidé de financer des écoles juives privées à la hauteur de ce qu'il accorde aux écoles du réseau public régulier afin de «favoriser les échanges culturels», a appris Le Devoir.
Le ministre de l'Éducation, Pierre Reid, a autorisé le mois dernier l'octroi du statut d'«école associée» aux institutions juives privées subventionnées qui concluront une entente avec une commission scolaire. Il répondait ainsi à une demande maintes fois répétée par l'Association des écoles juives et la Fédération de l'appel juif unifié (Fédération CJA).
Ce faisant, le financement alloué par Québec passera de 60 à 100 % du montant accordé aux écoles publiques (5200 $ par enfant). Les commissions scolaires auxquelles ces écoles sont associées prélèveront cependant 10 % de cette subvention pour couvrir les frais de gestion.
Pour l'heure, cinq écoles privées juives ont déjà signé une entente avec la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, en vigueur depuis le 1er janvier. Deux autres écoles devraient faire de même sous peu avec la commission scolaire anglophone Lester-B.-Pearson. Au total, 15 écoles juives accueillant quelque 7000 élèves, dont quelques rares non-juifs, pourraient bénéficier de ce nouveau statut. Si toutes ces écoles devaient conclure une telle entente, cela représenterait une dépense supplémentaire d'environ dix millions de dollars, précise-t-on au ministère de l'Éducation.
Le ministère de l'Éducation du Québec (MEQ) se défend de reculer pour ce qui est du processus de déconfessionnalisation en accordant un statut particulier aux écoles juives. «Ce n'est pas une entente basée sur des considérations religieuses. [...] C'est une entente historique dans le but de favoriser les échanges culturels», a déclaré l'attachée de presse du ministre Reid, Caroline Richard.
En décembre, lors de la cérémonie d'ouverture de la bibliothèque de l'école Talmud Torah, incendiée l'été dernier, Pierre Reid avait soutenu que le projet s'inscrivait dans la lignée de la volonté gouvernementale «de favoriser l'apprentissage interculturel chez les jeunes en milieu scolaire». Les commissions scolaires et les écoles concernées devront en effet élaborer des projets d'échanges culturels entre les élèves tandis que les enseignants pourraient bénéficier de programmes de perfectionnement offerts par les commissions scolaires.
L'attachée de presse du ministre ne ferme pas la porte à d'autres communautés qui souhaiteraient bénéficier des mêmes avantages. «Si c'est sur la même base que le projet des écoles juives, on en ferait l'analyse», a-t-elle poursuivi. Quatre autres institutions ont déjà ce statut, dont deux écoles grecques.
Frais de scolarité
Malgré ce financement accru, les écoles juives demeureront privées. Elles ne pourront cependant plus exiger de frais de scolarité pour l'enseignement des matières prévues au programme du ministère, a-t-on précisé au MEQ. En fait, l'entente d'association prévoit que les «frais exigés des parents doivent être de même nature que les contributions financières qui peuvent être exigées» par une commission scolaire.
N'empêche, la Fédération CJA encourage les écoles à maintenir les frais de scolarité à leur niveau actuel, qui varie généralement entre 1000 et 2000 $ selon l'organisme. Vérification faite, dans les quatre écoles Talmud Torah, ces frais oscillent plutôt entre 5000 et 7000 $. «Les frais de scolarité permettront d'assurer le maintien d'un niveau de qualité élevé et de veiller à ce qu'aucun sou du gouvernement ne serve à financer un enseignement qui n'est pas prévu par le ministère», a souligné le président de la Fédération CJA, Sylvain Abitbol. Il a fait valoir que le «cursus non laïque est assez chargé» puisque les écoles dispensent environ une dizaine d'heures de cours d'hébreu ainsi que de religion et d'histoire juives. Ces matières particulières s'ajoutent au programme du MEQ, auquel les écoles se conformaient déjà.
M. Abitbol a accueilli avec soulagement la décision du ministre Reid, qui avait fait l'objet d'une promesse du ministre libéral de l'Éducation en 1994, avant que son gouvernement ne soit défait. «Ces écoles étaient sous-financées par rapport aux écoles publiques», a-t-il ajouté. Jusqu'à maintenant, son organisme versait 2,5 millions au réseau scolaire juif, des sommes qui pourront désormais être utilisées à d'autres fins.
Si les écoles bénéficient d'un financement accru, les commissions scolaires y trouvent leur compte elles aussi. Elles pourront prélever jusqu'à 10 % de la subvention en frais de gestion, un montant «nettement supérieur» aux dépenses qu'elles devraient engager, de l'aveu même du président de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, Jean-Marc Crête.
M. Crête ne cache pas que l'entente a suscité un «malaise» au sein de son institution, où la résolution a été adoptée dans la division. Lui-même croit personnellement que l'État ne devrait pas «financer d'un iota l'école privée». «C'est clair que le résultat net se traduit par une hausse du financement de l'école privée. [...] Mais sachant que ces ententes-là se feraient chez nous ou ailleurs, on a embarqué dans le jeu. [...] En tant qu'homme d'affaires, il y a un bénéfice qu'on retire par le truchement d'un revenu supplémentaire assez substantiel», affirme M. Crête, à qui le gouvernement a soumis le projet en septembre dernier.
Le président de la commission scolaire Lester-B.-Pearson, Marcus Tabachnick, reconnaît lui aussi que l'entente est avantageuse d'un point de vue financier: «C'est un "business deal". Il y a une occasion de prendre un petit morceau de ce montant pour avantager nos élèves un peu.»
Étonnement
La décision du ministre Reid surprend la critique du Parti québécois en matière d'éducation, Pauline Marois. «Il y a déjà un bon moment qu'on a choisi la division de l'Église et de l'État. La tendance lourde est plutôt d'aller au bout de cette logique. [...] Cela donne un signal différent», a réagi l'ancienne ministre de l'Éducation, qui avait d'ailleurs opposé une fin de non-recevoir à des demandes similaires par le passé.
Mme Marois a rappelé que les commissions scolaires et les écoles ont été déconfessionnalisées au cours de la dernière décennie et que le gouvernement doit statuer d'ici l'été sur le renouvellement de la clause dérogatoire à la Charte canadienne des droits et libertés pour permettre l'enseignement religieux à l'école. «Il faut questionner cette entente. Cela va à l'encontre de l'orientation générale de laïcisation des écoles», a conclu la députée péquiste.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé