Le gouvernement Couillard met la main à la poche pour relancer son Plan Nord. Investissement Québec injectera au moins 120 millions de dollars dans le démarrage du controversé projet Mine Arnaud, à Sept-Îles. Même si les groupes citoyens et le maire de la ville estiment que plusieurs questions demeurent sans réponse sur ses impacts, le gouvernement y voit « un projet exemplaire de développement durable ».
Après des années de controverse et la publication d’un rapport particulièrement sévère du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), le gouvernement a donc finalement signé le décret autorisant la construction de la plus grosse mine à ciel ouvert en milieu habité au Québec. Les travaux devraient débuter dès 2016 et l’exploitation est prévue pour une période de 30 ans.
Le démarrage du projet nécessitera des investissements totaux de quelque 854 millions de dollars. Ce montant exclut cependant les coûts associés à la construction d’un nouveau quai qui servira au chargement du minerai d’apatite, qui sera exporté à l’état brut vers l’Europe.
Mine Arnaud repose d’abord sur un investissement public de 120 millions de dollars provenant d’Investissement Québec (IQ), selon ce qui a été précisé lundi. La société d’État s’est toutefois associée à Yara International, une firme norvégienne spécialisée dans les engrais. Cette entreprise a déjà été reconnue coupable de corruption en Libye, en Inde et en Russie.
Selon IQ, Yara doit injecter elle aussi 120 millions de dollars dans le projet. Mais alors que Le Devoir lui demandait si une entente formelle avait été signée avec la multinationale, le ministre des Ressources naturelles, Pierre Arcand, n’a pas été en mesure de donner de précisions. « Je ne pourrais pas vous dire. Il faudrait voir avec Investissement Québec. Mais ce que je comprends, c’est qu’il y a à tout le moins une entente de principe. Il ne semble pas y avoir d’enjeu sur la participation de Yara. »
Un troisième partenaire devrait se greffer au projet, a précisé IQ. Mais la société d’État n’a pas voulu donner de précisions parce que les discussions seraient toujours en cours. L’objectif est d’atteindre un total de 400 millions, dont 160 millions provenant d’un partenaire toujours inconnu. C’est ce dernier qui serait notamment chargé d’exploiter la mine. Pour aller chercher les 400 millions manquants, un prêt sera contracté auprès d’institutions financières.
Pour le ministre Arcand, l’investissement de Québec est porteur, malgré les inquiétudes sur la viabilité économique du projet soulevées dans le rapport du BAPE. Il faut dire que le marché du phosphate (l’apatite est composée de phosphate) est caractérisé par une offre mondiale abondante, ce qui exerce une pression à la baisse sur les prix de la ressource.
La Banque mondiale prévoit d’ailleurs que les prix du phosphate continueront de reculer au cours des prochaines années. Selon un rapport publié en janvier dernier, les prix, actuellement situés à 110 $ la tonne, devraient poursuivre leur recul, pour atteindre 90 $ la tonne en 2025. Or, selon Mine Arnaud, le seuil de rentabilité du projet se situerait à environ 120 $.
«Projet exemplaire»
Pour la région de Sept-Îles, éprouvée par les reculs des derniers mois dans le secteur minier, l’annonce arrive à un bon moment. Le milieu des affaires a d’ailleurs salué lundi le feu vert donné par Québec. Quelque 330 emplois directs seront maintenus durant l’exploitation de cette mine.
La délégation ministérielle de passage à Sept-Îles lundi a surtout insisté pour dire que Mine Arnaud est « un projet exemplaire de développement durable ».
Selon ce qu’a fait valoir le ministre de l’Environnement, David Heurtel, le promoteur a pris 17 engagements afin de répondre aux très nombreuses lacunes inscrites dans le rapport du BAPE. Qui plus est, Québec a ajouté 11 « conditions spécifiques » dans le décret. Celles-ci concernent les impacts sociaux et environnementaux du projet.
Manque d’informations
Les citoyens opposés au projet estiment néanmoins que les informations fournies sont incomplètes. « Il nous manque beaucoup d’informations et nous avons encore beaucoup d’inquiétudes », a résumé Louise Gagnon, du Regroupement pour la Sauvegarde de la grande Baie de Sept-Îles. Elle s’étonne notamment du fait que le gouvernement ne prévoit aucun suivi de la qualité des eaux du lac des Rapides, situé près de la mine. Ce lac est pourtant une source d’eau potable essentielle pour la ville.
Mme Gagnon a également rappelé que les études menées par Mine Arnaud pour répondre aux constats du BAPE n’ont toujours pas été rendues publiques. Elles devraient l’être sous peu, selon le ministre Heurtel. Néanmoins, a souligné la résidente de Sept-Îles, « ils ont invité les gens d’affaires et la classe politique, mais pas les groupes de citoyens. Et c’est un projet pour la classe d’affaires ».
Le maire Réjean Porlier, qui gère depuis des mois les tensions sociales aiguës entre partisans et opposants à Mine Arnaud, a pour sa part l’impression que la controverse demeurera vive. « Si le ministre [Arcand] veut vraiment que la controverse soit derrière nous, il faudra faire une séance publique et expliquer comment nous sommes passés d’un projet inacceptable à un projet acceptable, et ce, en toute transparence », a-t-il expliqué au Devoir.
M. Porlier ne doute pas que Québec a analysé le projet avec rigueur. Mais il estime essentiel de mieux informer la population de Sept-Îles. « Le fait de ne pas communiquer laisse toute la place à la spéculation et nous n’avons pas besoin de cela à Sept-Îles. Il faut combler ce vide pour apaiser les craintes » et améliorer le climat social. Lui-même n’a pas eu connaissance de la teneur du décret ministériel avant la conférence de presse de lundi. Il n’a pas non plus été en mesure de prendre connaissance des études menées pour répondre au BAPE.
Il redoute d’ailleurs la suite des choses. « Les gens vont continuer de demander ce qui s’est passé. Mais moi et mon équipe, on ne veut pas avoir à gérer cela constamment, notamment lors des séances du conseil municipal. Comment est-ce que je peux leur expliquer ? »
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