L’incohérence ronge la politique linguistique du Parti québécois. À cause, bien sûr, des coups portés par la Cour suprême à la Charte de la langue française. Mais aussi à cause d’un électoralisme malavisé.
Le statut bilingue que le PQ persiste à accorder aux municipalités à majorité anglophone en est un bon exemple. Comme je l’ai montré dans une récente chronique, ces municipalités demeurent des foyers criants d’anglicisation de leurs résidents francophones. Maintenir cette aberration relève d’une lâcheté toute politicienne.
Des lecteurs m’ont depuis fait part d’intéressantes observations complémentaires sur la genèse de ce fameux statut bilingue.
Selon le projet de loi du printemps 1977 portant sur la Charte de la langue française, les municipalités du Québec devaient, sans exception, s’afficher en français seulement. Celles à majorité anglophone avaient jusqu’à la fin de 1983 pour se conformer aux pratiques linguistiques imposées à toutes les autres. Le projet de loi originel ne leur accordait donc rien de plus qu’une période de transition pour se conformer à la norme définie pour l’ensemble.
Touchant le régime linguistique prévu pour l’Administration (ministères, corporations publiques, etc.), La politique québécoise de la langue française ou Livre blanc qui annonçait la Charte en mars 1977 explique ainsi cette exception : « Un changement d’une telle ampleur ne pourra pas s’accomplir instantanément, surtout dans le cas des municipalités à majorité anglophone. C’est pourquoi la Charte prévoira que ces organismes adopteront un programme de francisation, analogue à celui des entreprises, qui leur permettra de s’ajuster progressivement, dans un délai de six ans, à la situation prévalant dans les autres organismes de l’Administration. »
Selon la loi 101 telle que finalement adoptée en août 1977, ce délai exceptionnel prenait effectivement fin en 1983. C’est Gérald Godin, alors ministre responsable de la Charte de la langue française dans un gouvernement Lévesque au plus bas de sa popularité, qui, à la toute fin de 1983, a supprimé cette échéance.
Nos irréductibles Rhodésiens ont crié au martyre contre le projet de loi 14 de la ministre Diane De Courcy, comme ils l’avaient fait devant le projet de société lancé par Camille Laurin. Sauf qu’au contraire de Laurin, de Courcy n’en a plus que pour eux. « En renforçant le droit de vivre et de travailler en français, le projet de loi 14 ne vise à enlever ou à restreindre les droits de qui que ce soit », assure-t-elle dans son discours à l’occasion du vote en première lecture. Du même souffle elle agrée « l’importance symbolique que revêt le statut bilingue des municipalités [à majorité anglophone] ».
Pas question, donc, pour un PQ à nouveau sur la défensive de dissoudre ces virulents foyers d’anglicisation qu’il a cru bon de consolider voilà trente ans. « The squeaky wheel gets the grease », comme on dit dans ma langue maternelle. L’avenir est à ceux qui chialent. Et les anglophones purs et durs se défoncent à chialer fort, dans le dessein de faire transmuer une exception en un « droit ».
Autre exemple de génuflexion atterrante : De Courcy n’a pas rappelé son collègue Jean-François Lisée à l’ordre lorsqu’il a appelé la Société de transport de Montréal à obtenir que ses employés soient bilingues pour qu’ils puissent servir en anglais les usagers qui renâclent encore à employer le français. Pareil à-plat-ventrisme heurte de front le français en tant que langue publique commune, but premier de notre politique linguistique depuis 1977, aussi bien que le droit de vivre et de travailler en français supposément cher à De Courcy.
Il est vrai que l’article 15 de la loi 101 permet à l’Administration de correspondre dans une autre langue que le français avec des personnes physiques qui s’adressent à elle dans cette autre langue. L’article 89 également permet l’usage d’autres langues là où l’usage exclusif du français n’est pas prescrit. Le Livre blanc de 1977, lui aussi, prévoit que la documentation émanant de l’Administration sera uniquement française mais que cela « n’empêchera pas les particuliers de s’adresser à l’État et d’en recevoir une réponse dans une autre langue ».
De tels accommodements n’accordent pas pour autant aux anglophones le droit de recevoir jusqu’aux services les plus élémentaires en anglais. Autrement, on pourrait parfaitement prétendre que le même droit vaudrait tout aussi bien pour l’usage du créole ou du coréen.
Après les assauts répétés de la Cour suprême, ce qu’il nous reste aujourd’hui de la Charte peut sembler inviter à une forme de bilinguisme institutionnalisé plus ou moins franco-dominant. Il faut rétablir l’efficacité de la Charte à réaliser son but premier. Les anglophones ont bénéficié d’un délai de trente-cinq ans pour « s’ajuster progressivement » à l’usage du français comme langue publique commune. Il est grand temps de supprimer les articles 15 et 89.
En quête d’un illusoire appui anglophone, le PQ s’engage sur la voie contraire. « La langue de l’Administration, celle par laquelle on s’adresse aux citoyens, c’est le français, la langue commune, a roucoulé De Courcy lors du vote en première lecture. Occasionnellement, l’anglais est utilisé pour répondre aux besoins des personnes anglophones. C’est un droit et ça ne changera pas. »
Les Rhodésiens soupirent d’aise. De Courcy appelle « droit » ce qui doit demeurer une exception. On comprend maintenant pourquoi elle n’a pas tapoché Lisée.
Comment réconcilier ce « droit » que De Courcy reconnaît aux anglophones avec celui des employés de l’Administration de vivre et de travailler en français? « En aucun cas, le projet de loi 14 ne vise à enlever ou à restreindre les droits de qui que ce soit. C’est un projet de loi voué à protéger et à renforcer le droit de vivre et de travailler en français! » s’est-elle exclamée.
En quelque part, ça dérape. Le Livre blanc de 1977 ne tentait pas de pareilles pirouettes : « toute loi a pour objet d’accorder certains droits et d’en restreindre d’autres ».
Qu’arrive-t-il donc, alors, quand le droit de vivre et de travailler en français rencontre sur la place publique le « droit » de vivre en anglais? Car il s’agit bien de régler cela. Les hauts cris ont commencé lorsque Jack Jedwab et Don Macpherson ont condamné une prétendue surenchère de la part de la majorité francophone. Les anglophones ont accepté de se conformer à la loi 101, ont-ils protesté. Ils ont appris le français. Et maintenant, ô hérésie, la majorité voudrait qu’on l’utilise!
Lisée et De Courcy viennent de signer dans la Gazette un long texte intitulé We have listened. Nous vous avons entendus. Ils y répètent de concert que le projet de loi 14 ne vise d’aucune façon à restreindre les droits de qui que ce soit.
En réaction au pseudo-scandale du « Pastagate », Lisée et De Courcy s’engagent à « réviser le projet de loi de façon à prévenir toute perception quant au caractère excessif des pouvoirs accordés à l’OQLF ou au ministre responsable de l’application de la Charte de la langue française » [traduction libre]. Qui pensent-ils donc séduire en faisant guili-guili à ce point aux anglophones?
Les deux ministres s’aplatissent jusqu’à assurer que le PQ tient à ce que les enfants francophones apprennent l’anglais. Ils présentent, à ce propos, la décision de leur collègue Marie Malavoy de laisser les conseils d’établissement gérer le rythme d’implantation d’une demi-année d’anglais exclusif en 6e année du primaire, comme « rien d’autre qu’une question de bonne gouvernance, de respect pour l’autonomie des écoles et de disponibilité des ressources ». Ouf! Et nous qui craignions que la ministre de l’Éducation se préoccupe de bonne pédagogie et de la cohérence du programme scolaire.
Lisée et De Courcy affirment « vouloir faire entrer la Charte de la langue française dans le nouveau siècle ». Rien de moins. Sans même étendre la loi 101 au cégep.
En refusant de relancer l’invitation à faire société en français que le PQ avait adressée aux anglophones en 1977, ils font plutôt entrer dans notre politique linguistique le cheval de Troie du bilinguisme institutionnel.
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