L’historien spécialiste de l’antisémitisme Gérard Noiriel attaque Éric Zemmour dans un essai intitulé «Le Venin dans la plume», aussi clivant que son sujet d’étude. D’après lui, le succès médiatique du polémiste et son temps d’antenne pourraient signifier que le monde médiatique français anticipe un virage à droite de la société.
«L’une des dimensions de ce genre de pamphlétaire c’est l’anti-intellectualisme.»
Dans un entretien donné à l’AFP, l’historien Gérard Noiriel n’a pas mâché ses mots à l’égard d’Éric Zemmour. Ce dernier est sous le feu des critiques depuis son discours prononcé lors de la Convention de la droite, événement qui a réuni plusieurs personnalités politiques, dont Marion Maréchal, à Paris le 28 septembre dernier. Diffusé en direct sur LCI, les propos d’Éric Zemmour, très offensifs envers l’islam et l’immigration, ont provoqué une levée de boucliers. SOS Racisme est allé jusqu’à parler d’«appel aux ratonnades» et une enquête pour injures publiques et provocation à la discrimination a été ouverte par le parquet de Paris.
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— SOS Racisme (@SOS_Racisme) September 30, 2019
Avant même qu’Éric Zemmour ne prononce son discours polémique, Gérard Noiriel publiait un essai intitulé «Le Venin dans la plume» aux éditions La Découverte.
«Il y a toujours une combinaison entre le nationalisme et l’anti-intellectualisme et je voulais alerter l’opinion sur ce danger-là, parce que tous les médias qui ont accueilli largement Zemmour n’ont jamais donné la parole à un historien pour qu’il défende son métier, je trouvais ça tout de même problématique», explique Gérard Noiriel.
L’historien est allé jusqu’à faire une comparaison qui ne manquera pas de faire polémique, elle aussi. Il a dressé un parallèle entre Éric Zemmour, de confession juive, et Édouard Drumont. Ce dernier était un journaliste français connu pour avoir popularisé des thèses antisémites au XIXe siècle. Fondateur du journal La Libre Parole, il s’était entre autres distingué par ses positions antidreyfusardes.
«Je me suis lancé dans le travail de comparaison pour dégager la structure de ce que j’appelle les discours de haine. C’est allé bien plus loin que ce que je pensais au départ, qui était que ces gens-là construisent leur notoriété par la provocation, en faisant scandale. L’histoire identitaire qu’ils racontent fonctionne de la même manière: la France est toujours victime, les ennemis viennent de l’extérieur, pour l’un c’est les juifs, pour l’autre les musulmans.
Drumont était un obscur journaliste, qui s’impose dans l’espace public en provoquant les gens, avec des insultes antisémites, etc. à l’époque, les choses se réglaient par des duels à l’épée ou au revolver. Zemmour c’est aussi des duels, mais c’est à la télé», explique l’historien.
Des médias dans l'anticipation?
Gérard Noiriel poursuit son parallèle audacieux entre les parcours de Zemmour et de Drumont. «Drumont s’impose au moment où il y a un bouleversement considérable dans l’histoire du journalisme, il y a quatre grands quotidiens qui se livrent une concurrence terrible et Drumont devient ce que l’on appelle le “bon client”, parce qu’il fait scandale. Zemmour commence comme journaliste politique, plutôt de gauche, et accède à la télévision au moment de l’irruption des chaînes d’info en continu et de la TNT dans un contexte de forte concurrence. Il est repéré pour animer des duels à la télé et c’est là qu’il s’impose comme un polémiste», analyse-t-il.
Manif contre #Zemmour devant CNews, ils sont... 20. Allez, 25. pic.twitter.com/ITqmKykUTT
— Gabrielle Cluzel (@gabriellecluzel) October 10, 2019
Éric Zemmour est une bête médiatique. Ses passages télévisés sont très suivis. Si en conséquence de la polémique provoquée par son discours prononcé à la Convention de la droite il a été écarté de RTL, le polémiste interviendra sur CNews à partir du 14 octobre, dans le cadre d’une nouvelle émission de débat, qui était déjà programmée avant l’allocution du polémiste durant le fameux colloque.
«Les chaînes de télévision cherchent à grappiller de l’audience parce qu’il fait scandale. Comme avec Drumont, comme il fait de l’audience, on commence à lui trouver du talent, tous les éditeurs lui font des ponts d’or», souligne Gérard Noiriel.
Les chiffres de vente d’Éric Zemmour en librairie expliquent peut-être aussi cette situation, l’essayiste se hissant régulièrement sur les podiums, toutes catégories confondues.
Par ailleurs, Gérard Noiriel, s’en prend aussi aux médias: «C’est trop facile de focaliser sur l’individu Zemmour, c’est l’arbre qui cache la forêt. Quand vous avez quelqu’un qui est installé depuis 15 ans maintenant au cœur des médias avec ses émissions télé, la radio, des chroniques quotidiennes sur RTL republiées en livre, en poche... forcément vous avez un écho.» L’historien livre ainsi une analyse détonante. Selon lui, il est possible que les pontes médiatiques français soient dans l’anticipation de changements politiques majeurs à venir:
«On peut se demander s’il n’y a pas une partie de ces grands patrons de chaînes qui ont décidé de jouer cette carte-là, la carte Fox News aux États-Unis, ceux qui ont fait Trump, un mélange de libéralisme économique, de nationalisme et de xénophobie, ce qui est le projet politique de Marion Maréchal. On peut se demander si ce n’est pas là un calcul stratégique d’un certain nombre d’entre eux, qui se disent que la gauche est dans un état de déliquescence, que les classes populaires, qui sont dans une situation de désespoir, on l’a vu avec les Gilets jaunes, vont se tourner vers le RN et donc que c’est de ce côté-là qu’il faut aller pour sauver les meubles et faire prospérer les affaires.»