Tandis que les répercussions du retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien accaparent l’intention des opinions publiques, un autre dossier cher à Téhéran devient de plus en plus critique : la présence iranienne en Syrie.
Or, si les frappes israéliennes contre des cibles iraniennes ne sont pas passées inaperçues, la nouvelle petite musique émise par Moscou et Damas semble échapper aux oreilles des nombreuses médias.
Une bombe (oratoire) russe
Mercredi dernier, Vladimir Poutine a rencontré Bachar Al-Assad à Sotchi. À la suite de leurs échanges, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a gratifié les journalistes de l’habituelle langue de bois. Cela a donné quelque chose de cette eau : « Des pourparlers assez approfondis ont eu lieu », « Le président russe a félicité le président syrien pour les succès de l’armée gouvernementale syrienne dans la lutte contre les groupes terroristes, qui ont permis de créer des conditions supplémentaires en faveur d’une activation du processus politique à grande échelle. » Mais dans ce prêchi-prêcha qui endort jusqu’à celui qui le prononce, se cachait une véritable bombe : le président Poutine a estimé qu’« avec le début du processus politique dans sa phase la plus active, les forces armées étrangères vont se retirer du territoire syrien ».
Poutine n’a pas précisé à quelles « forces étrangères » il faisait référence. S’agit-il des Turcs qui occupent la ville d’Afrine ? Des forces américaines présentes aux côtés des Kurdes ? Ou bien sont-ce les forces iraniennes (pasdarans, milices chiites et Hezbollah) ? L’ambiguïté du communiqué de presse russe ne peut être comprise autrement que comme un signal envoyé à Téhéran. Et, pour rendre le message encore plus claire, Vladimir Kujine, un conseiller du président Poutine chargé des coopération militaires et techniques, a déclaré il y a huit jours, soit 24 heures après la visite de Benyamin Netanyahou à Moscou, que la vente à la Syrie des systèmes de défense aérienne S-300 n’était plus à l’ordre du jour. Motif invoqué ? « L’armée syrienne dispose de tout ce dont elle a besoin pour faire face à ses ennemis. » Quinze jours auparavant, le gouvernement russe insinuait pourtant le contraire.
Israël bien compris par la Russie
Si on traduit ces subtilités diplomatiques en français, cela signifie que les Russes ont accepté la position israélienne. Ainsi, ils ne pensent pas que Tsahal vise les Syriens (lesquels n’ont donc pas besoin d’améliorer leurs défenses aériennes). Israël a donc obtenu le droit de faire respecter par la force des lignes rouges bien comprises par Moscou. Autrement dit, puisque la guerre civile est terminée, les Iraniens sont de trop en Syrie. Y compris aux yeux des Russes. Il faut dire que la survie d’Assad – il serait excessif d’appeler cet énorme gâchis une « victoire » – pose de nouvelles questions stratégiques. Pour le président syrien, l’objectif est évident : retrouver la situation d’avant mars 2011.
La chose n’est pas impossible mais pas pour tout de suite. Assad doit se débarrasser de ses alliés un par un. Par opportunisme, les Iraniens sont les premiers à trinquer. Trop pressé de porter la guerre à Israël, Téhéran est allé trop vite en besogne. Or, ses différentes forces ont avancé sans couverture aérienne, sans défense anti aérienne, étant ainsi très exposées aux services de renseignement israéliens. Résultat : des frappes israéliennes ont fait fortement reculer les capacités iraniennes et les ont empêchés d’installer des moyens de défense efficaces contre de tels bombardements. C’est notamment le cas du système sol-air de fabrication iranienne « 3 Khordad » (3 khordad – 24 mai 1982 – est la date à laquelle les Iraniens ont repris aux Irakiens la ville de Khorramchahr, victoire commémorée depuis comme « la journée de la résistance ») supposé être largement « inspiré » du S-300 russe détruit par Israël il y a une dizaine de jours avant de pouvoir être déployé.
Merkel et Macron bientôt chez Poutine
Or, si Assad souhaite voir partir toutes les forces militaires présentes sur son sol, les Russes aimeraient rester l’unique puissance étrangère en Syrie. Cela pourrait un jour créer des tensions mais pour le moment Poutine et Assad ont une occasion en or de pousser les Iraniens dehors. Ironie de l’histoire, Israël tire pour eux les marrons du feu. S’est formée une triple alliance de circonstance – Moscou, Damas et Jérusalem – trois acteurs qui, chacun pour ses propres raisons, aimerait voir les Iraniens et leurs sous-traitants quitter la Syrie.
Hier, c’était au tour d’Angela Merkel d’être reçue par Poutine à Sotchi puis jeudi Emmanuel Macron se rendra à Saint-Pétersbourg pour s’entretenir avec le président de toutes les Russies. On peut raisonnablement supposer que la question de la présence syrienne en Iran – c’est-à-dire sinon le départ de ses forces, du moins la baisse significative de leurs prétentions – fait d’ores et déjà partie de la grande négociation planétaire avec Téhéran.