Dans le dernier numéro de la revue Hérodote (166/167), Jean-Robert Raviot (professeur de civilisation russe contemporaine à l’université Paris-Nanterre) nous explique comment Vladimir Poutine a assis son pouvoir et dans quel but. Convaincu que la Russie devait faire face à un ennemi intérieur, prêt, à l’exemple du fameux milliardaire Khodorkovski, arrêté en 2003, à pactiser avec l’ennemi afin d’accroître ses propres bénéfices, le président Poutine s’est entouré d’une garde prétorienne, d’ “un groupe restreint d’une quinzaine d’hommes” qui combinent la conduite traditionnelle de l’État avec la maîtrise des secteurs clefs de l’économie.
Parmi ces hommes on trouve Dmitri Medvedev, lié à Gazprom, Igor Setchine, “aujourd’hui à la tête de Rosneft” ou Sergueï Tchemezov “qui est depuis 2007 à la tête de la corporation d’État Rostekh (hautes technologies civiles et militaires)”. Cette garde prétorienne, qui est “un réseau non institutionnalisé”, constitue un “verrou” qui protège et assure la pérennité de l’État grâce à la mise en place d’une démocratie souveraine, non libérale et non compétitive, c’est-à-dire non poreuse aux influences affairistes occidentales. Un État-forteresse en somme, qui tient bon grâce à la cohésion du groupe qui est à sa tête – ces hommes sont tous nés dans les années 50 et ont des parcours liés – et qui, en attendant de passer la main à une équipe issue de la génération suivante et animée par les mêmes convictions, s’est dotée, en 2016, d’une garde nationale dont la direction a été confiée à l’un d’eux, Viktor Zolotov et se trouve directement pilotée depuis le Kremlin. Ainsi, on voit que, pour faire face à l’assaut des classes libérales tentées par les prétendues valeurs de l’Occident et par les profits qu’elles sauraient en tirer et qui feraient de la Russie un satellite de Wall Street, Vladimir Poutine et ses prétoriens de la garde ont mis en place un césarisme électif, une sorte de régime bifrons (comme Janus) qui permet à un État conservateur de faire bloc dans le contexte hypocrite et éminemment agressif de la mondialisation.
Il y a ceux qui admirent la figure romantique d’un Poutine père de la patrie et rempart contre les pillages sans frontières du néolibéralisme. Personnellement, et sans l’idéaliser pour autant, j’admire le Poutine stratège qui fait le sacrifice de sa vie pour sauver non pas un pays mais une civilisation, une civilisation qui, d’après Oswald Spengler, connaîtra encore de beaux jours quand l’Occident ne sera plus qu’un champ de ruines, épuisé et vidé de l’intérieur par la clique de banquiers mafieux charognards qui ont aujourd’hui tous les droits, détruisent nos États et nous précipitent dans tous les dépotoirs de la Décadence.
Ceux qui en Occident crient après l’autoritarisme de Poutine feraient bien de regarder comment fonctionnent nos démocraties parlementaires qui n’ont de démocratique que le nom et dont les murs ne servent qu’à dissimuler aux yeux du commun les abandons et les trahisons auxquels se livrent des élus achetés par le Moloch affairiste. La démocratie souveraine et inflexible de Poutine aura au moins le mérite de constituer un barrage devant la marée dite néolibérale qui porte dans ses vagues de sang les profits criminels arrachés au monde par nos bourgeoisies mafieuses et capitalistes.