Les journaux font actuellement grand cas des poursuites-bâillons, mieux connues sous l'acronyme SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation). Dans les quelques articles parus, on apprenait qu'un comité d'experts mandaté par le gouvernement du Québec recommandait à ce dernier de légiférer pour empêcher que des entreprises n'utilisent les tribunaux abusivement pour bâillonner des citoyens et des regroupements de la société civile qui expriment des points de vue opposés à ceux défendus par ces mêmes entreprises. En alléguant des propos diffamatoires, les entreprises prennent des recours en justice qui contraignent les regroupements à se rétracter ou à dépenser des sommes astronomiques en frais juridiques, ce qui est financièrement impossible pour la plupart d'entre eux. Dans les deux cas, de telles poursuites constituent une grave menace à la liberté d'expression.
Le gouvernement du Québec a le devoir de protéger tous les organismes citoyens, surtout les groupes de défense de l'environnement, qui sont la cible des poursuites abusives en très grande majorité. Ceux-ci possèdent une expertise indépendante indispensable et sont détachés de tout intérêt mercantile. Quand ils s'opposent aux projets des entreprises, ce n'est pas par goût de l'immobilisme, mais bien parce que leur lecture des faits les porte à croire que l'intérêt commun est menacé au profit de l'intérêt particulier. Il est primordial que le gouvernement protège les citoyens qui dénoncent des situations où le droit à un environnement sain, récemment inclus dans la Charte des droits et libertés du Québec, semble -- à tout le moins -- violé.
Dans un contexte où le législateur est forcé de se pencher sur l'accès des organismes à la justice, nous apprenons que le gouvernement abandonne à son triste sort le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE), seul organisme québécois à posséder une expertise indépendante en matière de droits de l'environnement. En effet, faute d'un soutien financier pourtant promis à plusieurs reprises par l'actuel gouvernement depuis 2003, et dont il ne voyait pas encore la couleur, le CQDE a cessé ses activités à la fin de juin.
Paradoxalement, votre gouvernement ne semble pas comprendre comment la disparition du CQDE laissera les organismes environnementaux et les citoyens sans ressources quant aux aspects juridiques dans le domaine environnemental.
Entre 2003 et 2005, période au cours de laquelle j'ai été membre du conseil d'administration du CQDE, j'ai pu constater à quel point la survie de l'organisme était précaire. La détermination de son président, Me Jean-François Girard, a permis de repousser de plusieurs mois, voire de plusieurs années, la suspension de ses activités. Celle-ci a plusieurs fois semblé inévitable, mais l'espoir ravivé périodiquement par les titulaires du MDDEP et certains hauts fonctionnaires ont plusieurs fois convaincu le CQDE qu'il y avait une lumière au bout du tunnel.
Aucun signe de vie
En 2003, la plate-forme électorale du parti libéral promettait un soutien financier récurrent au CQDE. Peu de temps avant le déclenchement des dernières élections, le ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, Claude Béchard a confirmé verbalement l'octroi d'une subvention, morte au feuilleton avec le déclenchement des élections.
Qu'est-il advenu du soutien promis par M. Béchard? Nul ne le sait car, depuis votre nomination, Mme Beauchamp, au MDDEP, aucun signe de vie de la part du ministère n'a été manifesté.
La suspension des activités du CQDE signifie que les citoyens du Québec ne disposent plus d'aucun service de première ligne gratuit en matière de droit de l'environnement. Les organismes et les citoyens devront également débourser beaucoup plus d'argent pour obtenir des avis juridiques (gageons que cela en découragera plusieurs de prendre la voie des tribunaux pour défendre le patrimoine naturel). Le CQDE ne pourra plus intervenir dans les débats environnementaux impliquant des aspects juridiques. Bref, la perte d'une voix indépendante et avisée comme celle du CQDE se fera lourdement sentir.
Toute la semaine, j'ai cherché dans les journaux la trace d'une annonce de soutien financier du gouvernement au CQDE. Nul doute que le contexte aurait porté les contribuables à comprendre l'importance d'un tel soutien.
Gare à ceux qui pensent que, de toute façon, dix organismes naissent pour un qui disparaît. Le CQDE laisse un vide au Québec. La nature a horreur du vide laissé par le CQDE. Demandez aux organismes environnementaux du Canada anglais s'ils se passeraient du Sierra Legal Defense Fund.
En votre qualité de ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, Mme Beauchamp, vous disposez des pouvoirs nécessaires pour permettre au CQDE de reprendre ses activités, pour le plus grand bénéfice des Québécois et de leur environnement.
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Alexandre Meunier, Citoyen et ancien membre du conseil d'administration du CQDE (2003-05).
Lettre à la ministre Line Beauchamp
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