'ai lu avec intérêt le dernier essai de Jacques Beauchemin, La souveraineté en héritage. Dans ces pages, Beauchemin constate l’étendue d’une fatigue parmi les forces indépendantistes au Québec. La fatigue, ce serait une lourdeur qui s’installe parmi nous rendant l’existence plus laborieuse. La fatigue, c’est également l’envie de se dégager des considérations plus existentielles pour vivre en légèreté le temps présent.
Selon le sociologue, le temps presse pour arriver à faire société, car le climat de « l’ambivalence identitaire », qui règne depuis plusieurs décennies au Québec, est en train d’éroder le projet national. En rappelant ce qu’avait écrit Fernand Dumont quarante-cinq ans plus tôt sur « l’engagement solennel à ne pas trahir » l’oeuvre des ancêtres, le sociologue se demande comment dorénavant orienter le projet de la souveraineté.
L’inquiétude identitaire
Lecture captivante mais symptomatique de cette plume nationaliste à saveur plus conservatrice qui réagit devant l’incapacité à maintenir intact les fondations d’un récit national. C’est l’inquiétude identitaire qui caractérise cette sensibilité intellectuelle qui a su, depuis quelques années, déplacer le débat autour de la nation québécoise vers des considérations sur l’ethnicité, les clivages culturels et religieux. Petite société, le Québec serait victime de son caractère harmonieux et respectueux des différences de tout genre. Avec une certaine nostalgie et mélancolie, Beauchemin se donne comme devoir de réanimer la flamme avant qu’il ne soit trop tard.
Ce que Beauchemin, comme d’autres intellectuels cités dans l’ouvrage, nomme « la modernité tardive » est en passe de briser l’élan vital de la majorité francophone. La modernité mène à un effacement de la trace, à une banalisation de la narration d’une nation, de sa mémoire et de sa langue. En fait, la modernité plurielle du Québec se satisfait dans l’éloge du présentisme, produit de l’individualisme, de la différence, de l’éloignement et, fondamentalement, la perte de la possibilité de raconter une histoire nationale. C’est le discours euphorique des élites bien pensantes qui l’emporte, satisfaites de rappeler le progrès parcouru par ce peuple d’Amérique et obsédées à se débarrasser des leçons du passé.
Une autre logique
Selon Beauchemin, la « grande discussion sur la condition québécoise » doit alors réaffirmer plus vigoureusement le droit de la majorité de s’émanciper en tant que peuple francophone d’Amérique. Ce principe de l’affirmation est central, car le grand péril aujourd’hui, c’est que le projet de la nation se fasse absorber par une représentation plus diffuse de l’identité de l’appartenance à de nouvelles constructions collectives. La majorité doit composer avec d’autres imaginaires, d’autres formes de reconnaissances. C’est un peu agacé que Beauchemin critique la mollesse d’un nationalisme qui affiche son ouverture à l’autre. C’est le drame de la deuxième défaite référendaire de 1995.
Il semble que l’aboutissement de la pensée de Jacques Beauchemin consiste à développer le sentiment de responsabilité envers un monde commun pour l’avenir du Québec. Cette lourde tâche pèse sur les épaules de la majorité canadienne-française, et l’auteur en fait un devoir solennel. Il ne serait pas possible ni envisageable d’asseoir le projet de la souveraineté sur une autre vision plus ample des rapports sociaux et interculturels.
Ma première réaction consiste à me dire que l’enjeu de la souveraineté peut évoluer vers une autre logique que celle de l’héritage, soit celle du partage. Ce serait une façon de se dégager cette lecture de la perte d’un pays comme si l’unique moyen de s’y attacher passe par le respect du passé et du mythe de la survivance. Sans se faire accuser de renier les origines et de célébrer la société des identités, n’est-il pas plus rafraîchissant de poser la possibilité d’une nouvelle aventure nationale ? Il n’y a pas qu’inertie et fatalisme au Québec, mais plutôt la possibilité de nouvelles formes de bricolages identitaires, de forces vives inscrites dans des débats de société bien présents autour, par exemple, de l’environnement, du territoire, des conditions économiques.
Un regard plus libéré
Pourquoi ne pas poser les jalons d’une nouvelle dynamique identitaire ? Il s’agit ici de prendre acte des transformations profondes dans la société québécoise, notamment l’apport de l’immigration et de la diversité dans la définition du sujet québécois, la place de la communauté anglophone, du rapport aux peuples autochtones, les valeurs des nouvelles générations. À certains égards, les jeunes et des moins jeunes sont déjà rendus là et ne se sentent pas moins souverains dans leur manière d’appréhender le monde.
Enfin, c’est reconnaître l’importance du lieu à habiter en tant que réalité sociale qui permet d’aller au-delà de la vision assez abstraite du « monde habitable » proposée par l’auteur. Il est plus stimulant de savoir ce qui se passe véritablement « au coin de la rue », dans des quartiers montréalais ou dans les régions du Québec, de savoir le cerner par une sensibilité plus fine, par un regard plus libéré et capable de prendre en compte la réalité sociale et culturelle du Québec, et surtout de faire confiance à l’avenir.
IDÉES
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