Pour un enseignement supérieur libéré de la sujétion financière

Tribune libre

Il faut penser le projet d’université avant de déterminer son financement, déclarait Jacques Parizeau. Alors, posons la question primordiale: quelle est la mission de l’enseignement universitaire?
«Éveiller au désir de questionner», affirmaient Thierry Hentsch, Ivan Maffezzini et Donna Mergler au début du millénaire («L’université est un luxe, Le Devoir, 16 février 2000). Ils précisaient: «L’université, il faut le dire haut et clair, ne prépare pas directement au marché du travail. Ce n’est tout simplement pas sa tâche. Sa tâche est de former des esprits.» Par ailleurs, ils attiraient l’attention sur la fécondité du temps long: «L’obsession de la rentabilité immédiate tend à nous faire oublier ce que, depuis des siècles, la société doit à la libre curiosité et à l’esprit d’invention. Pour qu’il y ait l’informatique, il a fallu des Pascal.»
Bref, l’ampleur de l’apport de la réflexion à l’évolution de la société est souvent imprévisible, elle n’est pas nécessairement mesurable. Surtout, elle ne se traduit pas aussitôt en espèces sonnantes et trébuchantes. Toutefois, le progrès intellectuel suscite aussi, par surcroît, le progrès matériel.
Surplombant l’état de la société actuelle, la réflexion ne doit-elle pas prendre la distance que son intuition et son audace lui suggèrent — sans égard pour les dogmes idéologiques ou économiques —, pour mieux revenir vers son objet afin de le transformer?
N’est-ce pas ainsi que se déploie la réflexion libre et solidaire? Sa valeur inhérente, n’est-elle donc pas fondée sur la capacité intellectuelle de l’étudiant, plutôt que son portefeuille? Forcer le jeune adulte instruit à amorcer sa carrière — qui sera aléatoire à cause de la nature de plus en plus changeante du marché du travail — avec un poids financier considérable sur les épaules, cela ne constitue-t-il pas une nouvelle forme d’esclavage produisant le conformisme?
Si tel est le cas, il est impératif d’instituer immédiatement la gratuité scolaire, de la garderie au doctorat. Notre société d’affluence en a les moyens; il suffit de taxer (de nouveau) le capital des banques, comme le réclament le mouvement estudiantin et M. Parizeau. Banques sorties du gouffre dans lequel leur cupidité — nécessairement à courte vue — les avaient précipitées. Sauvées par les citoyens mis à contribution par les gouvernements complaisants ou complices.
Il faut donc le courage politique d’instaurer une perspective englobante à long terme, qui est humaniste. De résister à la parcellisation de la conscience causée par les anti-valeurs matérialistes de l’oligarchie cynique, spécialement celle de l’Amérique anglo-saxonne. Comment? En articulant la spirale du temps selon ses trois points de vue — passé, présent, futur — plutôt que de se résigner à ce qu’il soit réduit à l’insignifiant présent consumériste postmoderne.
Revenons à l’éminent acteur de la Révolution tranquille : alors que le peuple québécois s’affranchissait de la misère dans laquelle l’avait maintenu la domination politique du Canada anglais, M. Parizeau prévoyait que l’inflation allait à toutes fins utiles éliminer l’effet des droits scolaires minimaux. On pouvait d’autant plus l’espérer que les Nations unies adoptèrent au cours de la décennie suivante (1976) le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui spécifiait : «L'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité» [article 13, 2c)]. De nombreux pays y sont parvenus.

Où en sommes-nous? Le Québec n’est toujours que la province d’une autre nation, sous la tutelle fédéraste exaltée par le retour du refoulé ethniciste anglo-royaliste, cet insupportable narcissisme satisfait. Ainsi, le peuple québécois traité en valet sur son propre territoire est le dindon de la farce mcgillienne puisqu’il est amené à livrer sur un plateau d’argent près de 30 % de ses deniers publics en enseignement supérieur aux universités anglaises, alors que la communauté anglophone constitue 8 % de la population. (Cette minorité est pourtant démographiquement obèse parce que gavée par l’assimilation historique des francophones et de nos immigrants.) En prime sur le plateau frauduleux : rien de moins qu’un méga-hôpital — plutôt, un autre gouffre. Dans le régime monarchique subi par nous, la classe dominante estime qu’elle n’a pas de comptes à rendre à ses sujets : ni la reine richissime du royaume du Canada, ni l’ex-lieutenante-gouverneure dépensière de la province de Québec, ni la rectrice morguante de l’Université McGill, ni l’ancien directeur général — en exil financier — du Centre universitaire de santé McGill.
Or, avant même la tenue du sommet, le gouvernement du Parti québécois a publiquement écarté la gratuité scolaire. Il a opté pour l’indexation des droits scolaires, qui n’est que l’acceptation implicite d’une université «coûteuse», donc «canadienne». Compromis malsain qui évacue durablement la gratuité. N’est-ce pas semblable à la souveraineté repoussée de facto aux calendes bouchardiennes par les péquistes? Ne s’agit-il pas là de nouvelles formes perverses de l’étapisme, à rebours? Vers la capitulation inconsciente suscitée par l’Idée fédérale, cette idole captieuse dont le régime — qui n’est qu’une modalité du monarchisme — sécrète l’anglicisation?
Le temps est venu de renverser l’idole et son plateau de dupe. Et d’obliger les banques trompeuses à faire amende honorable et à rembourser l’argent arraché au peuple — quitte à les nationaliser en cas de refus. La libération du peuple est intrinsèquement liée à celle de la pensée, et inversement.


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