Depuis le début de la pandémie, le premier ministre Justin Trudeau ne cesse de temporiser avec la gestion de la frontière. Il a tardé à la fermer au mois de mars dernier et ne s’y est résolu que sous une pluie de critiques. À peine quelques semaines plus tard, il a rouvert celle-ci pour les réfugiés, pour ensuite étendre cette mesure aux étudiants étrangers (alors que tout le monde étudie à distance) et il a continué à ajouter des exceptions.
La permission faite par Ottawa de voyager durant les Fêtes, au pire de la pandémie, constitue le dernier exemple en date du refus de Trudeau de fermer véritablement la frontière. Cette attitude a d’abord été dénoncée par le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, et dans une moindre mesure ensuite par le premier ministre François Legault, lors de son annonce sur le nouveau confinement.
Encore une fois, Trudeau a bougé à reculons, se contentant d’éliminer une prestation inacceptable de 1000$ pour aider les Canadiens qui voyagent à faire leur quarantaine à leur retour, laquelle n’est aucunement encadrée par les autorités fédérales, contrairement à ce qui prévaut ailleurs. Pour plusieurs, l’attitude du premier ministre est incompréhensible. En réalité, elle s’explique si on analyse les choses avec la logique du multiculturalisme canadien.
Le multiculturalisme
Les partisans de cette idéologie, en commençant par Trudeau, sont foncièrement hostiles à l’idée de nation. Leur but est de déconstruire le Canada des deux peuples fondateurs et des Premières Nations pour en faire un État postnational dans lequel les communautés historiquement constitutives du pays n’existeraient plus.
Dans cette perspective, il faut miner l’enracinement des citoyens à une culture qui se déploie sur un territoire national donné. Cette utopie mondialiste vise en fait à faire émerger un homme quelconque, interchangeable d’un pays à l’autre, sans attache géographique. Aux yeux de Trudeau, comme son père avant lui, notre pays doit agir de façon messianique pour montrer la voie au reste du monde vers cet idéal.
Dans sa conception extrême, le multiculturalisme canadien devient un préalable à l’abolition des frontières qui verrait naître l’être humain universel, dénationalisé, coupé de toute racine et sans culture spécifique. La frontière constitue en effet un problème sérieux à la réalisation de ce fantasme. Elle sépare les citoyens du pays et ceux qui ne le sont pas, privant ces derniers de nos programmes sociaux, du droit de vote, du droit de vivre au pays, d’y revenir en tout temps.
L’État-nation
La frontière est l’une des institutions par excellence de l’État-nation, elle enracine les hommes sur un territoire et sépare les peuples les uns des autres. Elle se fonde sur des particularismes culturels historiques tout en les préservant et les renforçant, sans compter son rôle essentiel au niveau de la sécurité. C’est elle qui fait en sorte que notre pays n’est pas une auberge espagnole à grande échelle et dans laquelle on pourrait entrer et sortir à loisir.
En somme, pour les multiculturalistes canadiens, la frontière est une pierre d’achoppement vers une utopie. Elle constitue en quelque sorte un mal nécessaire porteur de discrimination. Faute de pouvoir la faire disparaître, il faut la réduire à sa plus simple expression.
Pour bien saisir les constantes tergiversations à agir de Trudeau dans ce dossier, il suffit de comprendre les tenants et les aboutissants du multiculturalisme canadien, la religion politique à laquelle officie notre premier ministre.
Frédéric Bastien, historien, Montréal
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