->11979]«Il a des subalternes qui parlent le français», déclarait le porte-parole de la Caisse de dépôt du Québec à propos d’un haut cadre, unilingue anglophone, pour amoindrir le tumulte provoqué par un tel constat. Une phrase que l’on aurait cru tout droit sortie de l’époque pré-révolution tranquille. L’époque où un francophone, même bilingue, avait des conditions de vie bien en deçà des anglophones. L’époque où arpenter les rues de la métropole montréalaise assenait de la visible domination économique anglo-saxonne, par le visage du paysage linguistique qu’elle exhibait, et par l’usage de la langue que l’on devait utiliser dans bien des transigeances quotidiennes. Une époque que l’on aurait presque cru assimilable à ce que dépeint tristement un magnifique poème de Michèle Lalonde du nom de [« Speak white ».
Mais suivie de cette période de notre histoire, en est venu un temps où il en était trop, où des changements étaient exigés. En est venu la Loi 63, 22 puis, la Loi 101, toujours en vigueur, soit la Charte de la langue française, faisant du français la seule langue officielle de l’État québécois et consacrant de plus le français comme langue de travail, d’enseignement, de commerce, d’affaires et de communication.
Des institutions étaient aussi créées, la Caisse de dépôt du Québec en est là un exemple, en y mettant à la tête des québécois francophones, qui alors déjouaient la perception que seuls les anglophones pouvaient efficacement se saisir de la gestion et de la finance, et déroutait l’idée négative que bien des Québécois s’étaient fait d’eux-mêmes, en prouvant que les francophones, égaux à tous autres, pouvaient aspirer à réaliser leurs rêves, et le faire dans leur langue à eux.
Une voix ignorée au Canada
Rappelons l’état de la situation. Comme on le sait, le 2 mai dernier, le parti conservateur remportait les élections fédérales et formait un gouvernement majoritaire sans l’appui marqué du Québec. La belle province avait préféré l’élection du NPD, et mettait ainsi en siège à Ottawa des députés du Québec ayant des difficultés manifestes à s’exprimer convenablement en français.
Le gouvernement Harper, lui, poursuivait sa lancée en procédant à des nominations de ministres unilingues anglophones, en plus de commettre l’affront supplémentaire d’engager un directeur des communications méconnaissant la langue française.
Plus encore, le gouvernement passait à la nomination d’un deuxième juge unilingue anglophone. Au même moment, le commissaire aux langues officielles publiait son rapport annuel en mentionnant une inquiétude face aux réductions budgétaires fédérales, quant à l’impact sur les services faits aux francophones.
Une semaine plus tard, le gouvernement procédait aux choix d’un vérificateur général du Canada, en choisissant encore une fois un unilingue anglophone, brisant de même la tradition vieille de 20 ans de nommer une personne bilingue, et causant un heurt retentissant de plus à la vitalité de la langue française. C’est alors qu’un membre du comité de vérification du Bureau du vérificateur général du Canada, posait sa démission pour dénoncer la situation, arguant que c’est de tout un schème de valeurs et de jugements culturels francophones que se coupe un unilingue assigné à une telle fonction.
Le français au Canada a donc subi, particulièrement au cours de ces derniers temps, une raclée considérable.
Un État québécois atrophié
Il ne suffit que de faire quelques kilomètres, pour entrer au Québec, afin de constater que la situation à l’intérieur même de l’État francophone n’est guère dans une situation favorable. Le 9 septembre 2011, l’Office québécois de la langue française publiait un rapport, officialisant que les résidants montréalais de langue maternelle française s’avéraient désormais minoritaires sur l’île de Montréal, qu’ils étaient sous la barre des 80% pour l’ensemble du Québec, et que les allophones optaient, comme langue de transfert, à une proportion que de 51% pour le français.
Le 5 novembre dernier, le Mouvement Québec français exprimait sa lassitude d’un affichage entrant honteusement infraction à la Loi 101 lors d’une grande manifestation, alors que par exemple, dans la seule circonscription de la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, on constatait 76 infractions d’entreprises à ce sujet.
La semaine suivante, on apprenait dans les médias que l’OQLF procédait au lancement d’une campagne de sensibilisation, dans laquelle elle propose notamment de rétribuer financièrement l’équivalent jusqu’à 75% des coûts des entreprises contrevenantes ne s’étant pas conformées à la loi, afin de procéder à un affichage réglementaire. Une telle campagne a jeté l’indignation de plusieurs mouvements linguistiques qui ne voient rien de satisfaisant dans cette campagne, bien au contraire.
Au cours de la même période, l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) dévoilait une étude qui révélait que 13,9 % des emplois publics au Québec possèdent l’anglais comme langue de travail principale, démontrant l’anglicisation des services gouvernementaux.
Enfin, les médias répertorient maintenant d’autres cas répréhensibles quant au traitement de la langue française, tel celui des cadres unilingues anglophones de la Caisse de dépôt ou ceux de la Banque Nationale. Dans une irritation de plus en plus prenante, la situation linguistique qui est mise au jour dénote de sérieuses préoccupations.
Une langue courroucée
Des mots, c’est ici le seul instrument que je possède pour épancher mon affliction, m’indigner, réclamer un changement de cap politique et surtout, en appeler en une conscientisation de ceux qui n’ont guère saisi toute l’importance que peut receler une langue. J’écris ici pour faire comprendre qu’une poignée de patrons anglo-saxons obligeant de troquer son idiome pour celle de son supérieur, porte atteinte à nos avancées, et enlise la vitalité et la confiance que nous pouvons avoir en ce que nous sommes.
Que quelques termes d'un affichage rédigés dans la langue nationale, ne sont gère la formulation d’un caprice cosmétique, ou la demande d’extrémistes férus de détails, mais bien le symbole de l'estime que tout un peuple peut avoir sur lui-même. Que, sous le revers de chacune de nos phrases, se véhicule bien plus qu’une articulation mécanique pour se faire comprendre, mais contient bien là toute la saveur d'une culture qui conçoit et songe son univers sous une forme pour laquelle jamais aucune traduction ne pourra saisir l'entier sens.
Et enfin, j’écris ici pour tenter de faire comprendre qu’il n’est nullement un signe de fermeture sur le monde, ou d’archaïsme, que de demander de vivre dans la langue de la culture d’ici, mais bien la reconnaissance que toutes les langues du monde importent suffisamment pour ne jamais mériter d’être supplantées.
Je n’ai que des mots pour le dire, mais ce sont ceux de ma langue, la courroie qui nous lie. Je n’ai que des mots, mais c’est ici l’instrument d’un enjeu primordial avec lequel nous poursuivons la lutte d’exister encore.
Pour se délier la langue
Le français au Canada a donc subi, particulièrement au cours de ces derniers temps, une raclée considérable.
Anglicisation du Québec
Sabrina Plante2 articles
Étudiante à la maîtrise en études politiques appliquées et militante pour le français
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