Premier de deux textes
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Maillon faible du conflit israélo-arabe, le Liban paie cher son impuissance militaire. Pris entre trois feux, Israël, la Syrie et l'inspiration nationale légitime palestinienne, le pays du Cèdre a subi plusieurs invasions et interventions étrangères. Les intervenants ont toujours recouru à la religion pour justifier leurs méfaits.
La France, puissance mandataire et héritière de l'Empire ottoman dans cette partie du Levant, a taillé une constitution qui a gravé le confessionnalisme sur le corps de la structure du pouvoir au Liban. Les interventions américaines en 1958 et en 1983 étaient surtout destinées à creuser davantage le fossé confessionnel en appuyant le pouvoir pro-occidental chrétien. Les deux mésaventures malheureuses n'ont renforcé ni la position des protégés américains, ni celle des États-Unis au Liban et au Moyen-Orient.
Les plus importantes invasions du Liban par Israël, en 1978, en 1982 et en 1996, ont donné naissance à la création du Hezbollah et ont produit les massacres de la population palestinienne dans les camps de réfugiés de Sabra et Shatila (1982) et des Libanais à Cana (1996). L'aventure de 1982 a duré 88 jours et a tué 18 000 personnes. Toutes ces invasions, qui avaient pour objectif premier la destruction de l'OLP et du Hezbollah, ont produit des résultats opposés. L'organisation palestinienne devient partenaire de paix pour l'État hébreux et la volonté palestinienne de se libérer du joug de l'occupant se poursuit dans les territoires occupés. Le Hezbollah, pour sa part, émerge comme la seule force arabe contraignant Israël à évacuer un territoire arabe occupé.
Les trois invasions ont été sanctionnées par Washington, qui se réservait le droit d'imposer un règlement aux belligérants, tout en s'affairant à maintenir la suprématie militaire stratégique d'Israël sur les Arabes. L'intervention américaine arrivait à un moment critique, alors que survenaient des bavures israéliennes où la condition humaine des gens envahis soulevait l'indignation de l'opinion publique internationale.
Sur le plan stratégique, les invasions -- qui n'ont ni altéré sérieusement les rapports de force ni créé de nouvelles réalités durables sur le terrain favorisant la position des groupes libanais pro-israéliens -- compliquent tout règlement pacifique permanent des conflits sur la base d'une légalité internationale.
La crise actuelle dans les territoires palestiniens occupés, au Liban et en Israël, prouve la futilité des stratégies militaires jusqu'au-boutistes et des demi-solutions imposées.
La résolution de ces conflits serait plus facile que ce qu'on laisse penser, coûterait moins cher et produirait de meilleurs résultats si un «grand jeu» n'opposait pas les aspirations régionales aux attentes des grandes puissances.
Jeu des enjeux
Région sensible et stratégique, le Moyen-Orient était un enjeu important durant les décennies de la guerre froide. Israël constituait un élément central d'une alliance très hétéroclite proaméricaine qui englobait des pays arabes comme l'Égypte et l'Arabie Saoudite tandis que le Front de refus, la Syrie, l'OLP et d'autres, s'alignait sur l'Union soviétique. La fin du système bipolaire coïncide avec la présence écrasante des États-Unis dans tous les aspects de la vie régionale.
Les erreurs stratégiques du régime irakien en envahissant l'Iran (1980-1988), puis le Koweït (le 2 août 1990) et son programme de fabrication des armes de destruction massive, que les États-Unis utilisent comme prétexte pour remodeler tout le Moyen-Orient sur le schéma des conservateurs extrémistes au pouvoir à Washington, accélèrent la descente aux enfers des peuples de cette région et consolident la domination mondiale américaine.
Le projet de la démocratisation du grand Moyen-Orient doit répondre aux exigences politico-militaro-économiques des États-Unis. Dans cette nouvelle configuration qui devrait conduire à une Pax Americana, toute voix dissidente doit être étouffée et la soumission de la région sera absolue.
Un des objectifs de la présente guerre consiste à éliminer une de ces voix indésirables, celle du Hezbollah. Si Israël réussit à écraser la capacité militaire du mouvement et à le neutraliser dans l'équation politique au Liban avec la complaisance américaine et de la majorité des États arabes, le gouvernement de Tel-Aviv marquerait des points importants. Le réaménagement de la partition du pouvoir au Liban défavoriserait, comme dans le passé, les chiites et pourrait faciliter les tentatives des éléments libanais favorables à un règlement de conflit avec Israël. Cette stratégie, résultante de l'invasion de 1982, a échoué dans le sang.
La deuxième conséquence d'une victoire décisive éventuelle d'Israël serait l'isolement de la Syrie et la perte de ses droits légitimes sur son territoire occupé, les hauteurs du Golan.
Le troisième résultat de ce développement serait une politique militariste plus agressive dans les territoires palestiniens occupés. Le premier ministre d'Israël, Éhoud Olmert, serait conforté dans sa visée unilatéraliste d'imposer la carte territoriale et politique d'un futur État en Palestine. Les faits historiques nous enseignent l'inefficacité à moyen et à long terme d'une telle politique. En d'autres mots, la question palestinienne demeurera le noeud gordien de la situation bloquée au Moyen-Orient.
Le renforcement des régimes régressifs et proaméricains arabes sera une conséquence de ce développement. Cela ne fera que retarder momentanément l'inévitable changement politique et économique dans ces pays. Une radicalisation des mouvements contestataires, de couleur religieuse ou nationaliste, restera la seule issue de la situation bloquée.
Une relecture de l'histoire des pays du Moyen-Orient depuis les années 60 montre le recul de la modération au fil des échecs et défaites arabes envers Israël et les États-Unis. Donc, la vie d'une victoire israélienne, qui est en fait celle des États-Unis dans l'analyse des peuples de la région, ne sera que de courte durée. La prochaine tempête sera plus dévastatrice; elle ne laissera pas grand espace à la raison et à la modération.
La Syrie d'abord
Indépendamment de la couleur politique des dirigeants de ce pays, y compris dans la faible probabilité d'un changement de régime à Damas, la libération du Golan restera l'objectif suprême de la politique étrangère et de la défense de la Syrie. La victoire politique déjà acquise du Hezbollah dans l'opinion publique arabo-musulmane est une bonne nouvelle pour Damas.
L'éradication très peu probable du Hezbollah serait un coup très dur pour la Syrie. Contrairement aux déclarations israélo-américaines sur la subordination du Hezbollah au diktat de Damas, la Syrie reste un joueur important dans la région et le renforcement de son isolement ne sert ni les intérêts combinés israélo-américains ni ceux des régimes arabes dits pro-occidentaux.
Et l'Iran
Le régime islamique a des rapports idéologiques et organiques avec le Hezbollah, en plus des relations politiques et stratégiques que celui-ci entretient avec la Syrie. La Constitution iranienne a fait, pour le gouvernement de Téhéran, une obligation de solidarité avec les déshérités du monde, notamment les musulmans.
Cela n'a cependant pas empêché la République islamique d'être très pragmatique dans sa politique étrangère, de l'acceptation de la résolution 598 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui mettait fin aux hostilités avec l'Irak, au présent conflit israélo-libanais, où le régime de Téhéran a clairement déclaré son refus d'aider le Hezbollah militairement et a empêché le départ des étudiants iraniens volontaires prêts à se martyriser dans la guerre contre «l'arrogance [États-Unis] et le régime sioniste[Israël]».
Même si le déclenchement des hostilités par le Hezbollah était destiné à faire oublier la question nucléaire iranienne (une analyse israélo-américaine que nous ne partageons pas), il reste que le résultat de la crise actuelle aura un impact direct sur les rapports de l'Iran avec le reste du monde. Un Hezbollah sorti vivant de l'épreuve actuelle sera une carte gagnante avec une portée très limitée pour l'Iran dans ses rapports extérieurs.
Que faire ?
Si le sang versé des innocents libanais et israéliens conduit à une solution durable et juste du conflit israélo-arabe, la peine des enfants d'Abraham serait moindre. Si l'occupation des territoires arabes continuait et que l'insécurité d'Israël devait se traduire par d'autres destructions, le monde restera confronté à d'autres tragédies comme Cana.
La solution à ce conflit existe déjà dans le livre des résolutions de l'ONU : Israël libère les territoires arabes occupés en 1967, les Arabes reconnaissent l'existence d'Israël. Ce dernier ne doit pas choisir quelle résolution doit être respectée; il faut appliquer toutes les résolutions ou vivre dans la peur.
Demain : La politique canadienne.
Houchang Hassan-Yari
_ Professeur et directeur, département de science politique et d'économique, Collège militaire royal du Canada à Kingston
Pour qui le Liban brûle-t-il?
La crise actuelle dans les territoires palestiniens occupés, au Liban et en Israël, prouve la futilité des stratégies militaires jusqu'au-boutistes et des demi-solutions imposées
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