Pour gazer les «Québécois d'origine canadienne française»...

Tribune libre 2008

Vendredi après-midi, par un des premiers beaux après-midi du mois de mai,
l'air se déchire soudain, hurlant une musique tonitruante qui envahit tout
le quartier où j'habite. Je me rends vite compte que ce boucan vient de
méga-haut-parleurs installés sur la bande verte, le long de la rue
Notre-Dame, dans l'est de Montréal, près de la rue Viau. Cinq ou six gars
dans la vingtaine sont installés dans l'herbe et ils tripent sur les pitons
d'une console, pour s'assurer que leur musique sonne assez fort pour les
rendre sourds, et nous avec. En allant leur parler, je découvre que s'ils
ont obtenu le droit de faire tant de bruit, c'est pour agrémenter le Tour
de l'île à vélo qui aura lieu ce soir. Pourtant, le vélo ne représente-t-il
pas la nature, le silence, le bon air, la possibilité de se parler
doucement? Bref, tout sauf cette musique rock de bars de centre-ville où
des voix hurlent leur colère. Rien à voir avec ce bel après-midi
ensoleillé où le muguet et les lilas parfument les narines.
Comment se fait-il que la Ville de Montréal accepte de donner un permis à
des gens pour harasser les résidents avec leur musique de cacanne
méga-amplifiée?
Y pensent-ils un instant, que des milliers de personnes vivent et
travaillent à côté? Que des centaines d'entre elles sont en train d'écrire,
de lire, de donner des massages, d'écouter un patient, d'endormir un bébé,
de travailler une pièce de piano, d'écouter une bande sonore, de monter un
film, de faire une sieste?
J'appelle la police pour me plaindre, on m'envoie à la Ville. J'appelle
la Ville, on m'envoie à l'Arrondissement et de là, aux Événements publics.
Partout, dring-dring, boîte vocale, pour le service en anglais appuyez sur
le 9, pour faire ceci appuyez sur cela. Et la voix défile une litanie
d'adresses internet et d'adresses postales, le message n'en finit plus. À
la fin... b-i-i-i-p. Plus rien. J'ai donc attendu tout ce temps
inutilement. Pourtant, j'avais des choses à dire et j'aurais aimé les dire
à quelqu'un.
Quoi donc? Que j'en ai ma claque de voir à quel point la Ville de Montréal
manque de respect pour ses citoyens, surtout quand ils habitent le sud de
l'île, à l'ouest comme à l'est, dans ces quartiers qui ont été fondés,
habités et développés par des «Québécois d'origine canadienne française»,
comme disait l'autre, cette race qu'on bafoue à qui mieux mieux et qui se
bafoue elle-même, sans demander son reste.
Selon mon ami Robert (le petit), «bafouer» c'est « traiter avec mépris...
». Le mot vient d'une onomatopée : baf ! Bafouer, comme dans «donner une
baffe». C'est ce que fait la Ville de Montréal, elle donne aux citoyens
des baffes, les unes après les autres.
Une des dernières et des meilleures, c'est quand cette administration
municipale a avoué aux résidents qu'elle jouerait le jeu du gouvernement
libéral, ce promoteur de béton qui s'apprête à endetter toute la province
pour RE-bétonner entièrement Montréal, afin de faire de cette ville un
royaume pour automobilistes, particulièrement dans ses quartiers
historiques, ceux qui longent le fleuve et le canal Lachine, comme si on ne
s'était pas rendu compte, depuis cinquante ans, que trop de béton rend fou
et enlaidit tout. Comme si on ne s'était pas rendu compte que le peuple
«Québécois d'origine canadienne française» aime la nature, la terre, la
forêt, les lacs et le fleuve, mais qu'il s'en trouve privé par ses propres
élites, celles-ci acceptant qu'on l'empoisonne au gaz carbonique et qu'on
l'enferme derrière un mur, le long de ce qu'ils osent encore appeler la RUE
Notre-Dame!
Oui, les dirigeants québécois s'apprêtent à gazer leurs propres enfants en
leur faisant respirer le monoxyde de carbone de 150 mille voitures par
jour, sur cette «rue» à huit voies bordée d'un mur, dans l'est de Montréal,
juste à côté du fleuve Saint-Laurent, ce fleuve géant près duquel le
«Canadien grandit en espérant», comme chantait Calixa-Lavallée en 1880.
Cet auteur pouvait-il imaginer qu'un jour ses descendants cesseraient
d'espérer et accepteraient de sacrifier leurs propres enfants? D'abord en
les rendant sourds, avec des mégadécibels rock, all in english, sous
prétexte qu'il y a une fête... Comme si la fête ne pouvait se faire en
français et sans vacarme! Pour une fois que la rue Notre-Dame était
libérée de ses milliers de véhicules bruyants, ne pouvait-on laisser les
citoyens déguster un peu de silence?
Mais on s'en fout. Elle peut bien devenir sourde et crever, la population
d'Hochelaga, de Maisonneuve, des faubourgs Sainte-Marie et Saint-Jacques,
de Saint-Henri, de Ville-Émard et de Côte-Saint-Paul. À l'époque de
Calixa, c'étaient eux, les Canadiens. Aujourd'hui, ils ne sont plus que des
«Québécois d'origine canadienne française». À mesure que leur nom
s'allonge, leur identité rapetisse. Ajoutons encore un segment ou deux à
cette appellation tarabiscotée et ils auront complètement disparu.
Monique Désy Proulx

Coalition pour humaniser la rue Notre-Dame
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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